Cet atelier a été tenu par vidéoconférence entre les bureaux de la TÉLUQ à Québec et à Montréal, le 14 août 2013. Autour de Jacques Rodet, consultant-formateur en FOAD et initiateur et animateur t@d le portail du tutorat à distance, l’atelier a réuni Sylvie Pelletier, tutrice à la TÉLUQ, ainsi que France Henri, Caroline Brassard et Pierre Gagné, tous trois professeurs à la TÉLUQ.
L’atelier a été l’occasion d’échanger à partir des expériences des participants pour émettre des préconisations en matière d’encadrement à l’intention des concepteurs de MOOCs. L’expérience des participants des MOOCs était très variée : expériences directe d’étudiant inscrit, visites et observations de MOOCs, échanges avec un proche inscrit à un MOOC.
Cette synthèse n’est pas tant un résumé des échanges qu’une tentative d’en organiser les éléments en intégrant ce qui a été exprimé formellement, ce qui a été effleuré ou ce qu’il est possible d’inférer des propos tenus. De plus, la discussion ayant été très libre, la synthèse ne correspond pas non plus au déroulement des échanges.
Nous avons organisés nos propos de la manière suivante : d’abord de cerner le phénomène des MOOCs, puis présenter les caractéristiques observées dans l’expérience des participants, enfin, regrouper ce qui a été dit concernant la manière de concevoir l’encadrement dans un MOOC. Évidemment, cette synthèse a pour limite l’étendue relative de l’expérience directe des MOOCS des participants présents.
1. Les MOOCS, un phénomène très diversifié
Dès le départ, un premier tour de table a permis de constater qu’il y a MOOC et MOOC. Ainsi, une participante avait participé à un MOOC d’inspiration connectiviste alors que d’autres avaient participé ou observé des xMOOCs dont certains n’étaient pas aussi « massifs » que l’expression le prétend. Au-delà de ces différences facilement observables, on découvre que les MOOCs procèdent d’intentions et d’objectifs institutionnels, de modèles pédagogiques et de modèles d’affaires variés.
Les intentions des établissements qui pratiquent l’enseignement par MOOC peuvent être d’acquérir plus de notoriété, d’élargir à terme leur base de fréquentation, d’innover en pédagogie et de remplir une partie de leur mission traditionnelle en donnant accès à un très large public aux savoirs dont elles sont dépositaires et créatrices[1].
Les modèles pédagogiques qui sous-tendent les MOOCs sont potentiellement aussi variés qu’ailleurs dans l’enseignement. Les approches socioconstructivistes ou connectivistes donnent lieu à des cMOOCs articulés autour des démarches très ouvertes, faisant une large place à la collaboration entre apprenants et campent l’encadrement comme un accompagnement qui vient en soutien aux initiatives diverses des individus et des équipes. Les xMOOCs font appel à des démarches pédagogiques plus traditionnelles qui font appel à la médiatisation des interventions d’enseignement et à des démarches individualisées[2]. Rien n’empêche d’imaginer des configurations différentes.
En ce qui a trait aux modèles d’affaires, on peut constater jusqu’à maintenant leur absence dans les initiatives des grandes institutions. Les MOOCs sont expérimentaux et les établissements semblent moins préoccupés de leur trouver un modèle viable de financement et d’en tirer des revenus que d’explorer leur potentiel de fréquentation, de notoriété, d’innovation pédagogique pour leurs programmes campus.
2. Caractéristiques des MOOCs dans l’expérience des participants
Les MOOCs observés possèdent trois caractéristiques communes : l’ampleur de leur fréquentation, leur traitement pédagogique plutôt rudimentaire, et leur dépendance par rapport à l’autonomie des étudiants.
Premièrement, considérant leur prétention d’élargir, voire de massifier, l’accès aux savoirs spécialisés, les MOOCs sont conçus pour servir de très grands nombres d’étudiants. Il y a là un changement d’échelle pour les établissements campus ou à distance où la fréquentation d’un cours n’atteint pas souvent le millier d’étudiants. Même quand ces objectifs de fréquentation ne se réalisent pas, le MOOC n’en demeure pas moins conçu et organisé en fonction de cette capacité d’accueil.
Deuxièmement, la pédagogie des MOOCs est souvent rudimentaire quand on la compare à celle qui a cours dans les établissements de formation à distance et dans plusieurs initiatives de e-learning. Le traitement médiatique est à l’avenant : par exemple, des séquences vidéo relativement statiques véhiculent le contenu (conférences de professeurs), des textes à télécharger, des tests en ligne avec ou sans autocorrection. Les technologies sociales y sont plus plus ou moins élaborées et y jouent un rôle plus ou moins intense selon les approches pédagogiques préconisées : alors qu’elles doivent soutenir des interactions fréquentes et complexes dans les démarches connectivistes des cMOOCs, elles ont un usage plus limité dans les démarches individualisées des xMOOCs. Les compétences des intervenants en encadrement ne sont pas toujours à la hauteur des attentes des apprenants. Cependant, même peu développé, le traitement pédagogique et médiatique peut constituer une innovation très positive pour un enseignant sur campus. Par contre, l’utilisation des MOOCs se pose différemment dans les établissements de formation à distance, où leur conception implique une réduction (downgrading) contrôlée d’un dispositif à l’origine plus élaboré.
Troisièmement, les MOOCs, peut-être à cause de leur forte fréquentation et de leur faible élaboration pédagogique, misent implicitement sur l’autonomie de l’étudiant. Les services d’encadrement y sont peu élaborés, soit concentrés sur le lancement d’une démarche essentiellement autodidacte (individuelle ou collaborative), soit centrés sur les fonctions socio-affectives de l’apprentissage (soutenir la motivation, créer un sentiment d’appartenance, etc.) et moins sur les fonctions cognitives (répondre aux questions de contenu, élaborer sur les points mal compris, etc.) qui exigent des interventions plus spécialisées.
3. Que peut-on préconiser en matière d’encadrement pour les moocs
Les trois caractéristiques décrites ont des conséquences sur la manière de concevoir l’encadrement dans les MOOCs.
À cause des fréquentations élevées visées, on peut penser qu’il est impossible d’offrir le niveau d’encadrement caractéristique des cours à distance et que l’encadrement dans un MOOC doit être planifié et organisé en fonction d’un ratio tuteur étudiant beaucoup plus élevé que celui qu’on rencontre habituellement en formation à distance. Même si les modèles d’affaires n’ont pas été encore formalisés, on peut prévoir que les établissements voudront profiter des économies d’échelle et garder sous contrôle la partie des coûts qui grandit avec le nombre d’étudiants, dont les coûts d’encadrement. Il serait donc approprié d’adopter une approche d’ingénierie du tutorat.
Ainsi, en tenant compte des potentiels et des contraintes issues du contexte institutionnel, pédagogique et économique particulier à chaque MOOC, il serait souhaitable de procéder à une analyse des besoins d’encadrement pour identifier les services et les tâches d’encadrement à offrir. À cet égard, des dispositifs de recherche sur le comportement des étudiants dans les MOOCs sont grandement souhaitables. En attendant, on peut réfléchir à différentes approches.
Une première approche amènerait à structurer les services d’encadrement selon le degré d’engagement de l’apprenant dans sa formation et selon son évaluation de ses propres besoins. Ainsi, on pourrait concevoir plusieurs niveaux de services que l’apprenant pourrait choisir au départ de la formation. Par exemple, un niveau de base assurant le dépannage technique et administratif, pour assurer l’accès à la formation, qui s’appliquerait à tous les apprenants. Puis, un niveau de soutien cognitif, composé d’interventions facilitant l’appropriation des contenus. Ensuite, un niveau de soutien socio-affectif visant le maintien de la motivation, ou dans les cas d’apprentissage en équipe, la régulation des échanges, l’appartenance au groupe, etc. Puis, un niveau de soutien cognitif augmenté, où l’apprenant pourrait obtenir une rétroaction sur les productions. Enfin, un niveau de soutien métacognitif, pour objectiver son expérience d’apprentissage et améliorer sa maîtrise du métier d’apprenant.
À chaque niveau, on doit se concentrer sur les services nécessaires, ceux dont l’absence fait courir le plus grand risque d’abandon et d’échec de la formation. Le leitmotiv dans ce cas pourrait être : pas d’abandon de la formation par défaut de dispense de services d’accompagnement.
À chaque niveau, les interventions nécessaires à la prestation des services, incluant l’évaluation des apprentissages, ont avantage à être déléguées. Ainsi chaque fois que cela est possible, on peut concevoir des documents, des outils, des interventions préenregistrées, confier certaines tâches aux pairs. Cela permettrait de réserver les interventions des tuteurs aux tâches d’encadrement les plus spécialisées. L’autonomie de l’étudiant doit également être considérée comme un actif sollicité et valorisé, ce qui implique que les attentes soient correctement ajustées dès le départ.
À tous les niveaux, on doit se rappeler qu’une offre d’encadrement constitue déjà un encadrement : la disponibilité du service offert contribue à entretenir chez l’apprenant le sentiment qu’il n’est pas tout seul dans cette aventure. Ce sentiment a des effets positifs sur l’apprentissage, même si le service réel n’est jamais sollicité. Par contre, la qualité du service, lorsque qu’il est requis, doit être à la hauteur des attentes.
En matière de financement, on peut penser à des niveaux de facturation associés aux niveaux de service sollicités. On peut également penser à des frais minimaux universels qui permettraient, en raison des économies d’échelle, de financer l’ensemble des services offerts.
Dans la perspective d’élargir l’accès au savoir, une autre approche serait de modulariser l’offre de formation en unités plus petites. Par exemple, un cours donné pourrait être fragmenté en trois unités. Une première propose un survol du contenu, avec des activités assez simples et des services minimaux d’encadrement : elle viserait la compréhension générale du phénomène et la capacité d’en parler dans des contextes peu spécialisés. Elle s’adresse donc à un grand public. Une deuxième et une troisième proposent un approfondissement des contenus et des compétences plus élaborées qui s’exprimeraient dans des activités plus complexes et exigeraient des interventions d’encadrement plus élaborées à l’intention de personnes qui ont des besoins plus poussés.
4. Aspects financiers relatifs à l’encadrement des apprenants des moocs
À l'égard des préconisations exprimées sur l'encadrement dans les MOOCs, le plus difficile serait sans doute de trouver du financement, tant pour la conception que pour l'offre de services d'encadrement. Il est admis que les MOOCs sont des formations gratuites et non diplômantes. Or, l'État accorde son financement aux universités sur la base du nombre d'étudiants inscrits à des formations diplômantes. Quelles universités peuvent s'offrir des MOOCs à leurs frais ?
Les grandes universités à charte peuvent sans doute sacrifier des revenus en échange d'une plus grande visibilité pour leurs programmes menant à des formations diplômantes. Voudraient-elles investir davantage pour offrir un meilleur encadrement aux étudiants qui fréquentent leurs MOOCs ? Autrement, est-il pensable que les étudiants inscrits à leurs MOOCs acceptent d'assumer une partie des coûts d'encadrement afin qu'on puisse les aider à réussir des cours qui ne mènent pas au diplôme ?
Nous avons évoqué l'idée d'ouvrir un passage du MOOC vers la formation diplômante pour l'apprenant qui souhaite se voir reconnaître des crédits universitaires. Le cas échéant, l'université pourrait toucher la subvention gouvernementale et les frais d'inscription de l'étudiant qui migre du MOOC vers le cours crédité. Cette éventuelle source de revenus pourrait inciter l'université à investir dans les MOOCs. Encore faudrait-il qu'elle cible des contenus de cours dont la popularité est démontrée afin de pouvoir amortir les coûts de développement de ses MOOCs dans un délai raisonnable.
Quant à l'idée d'offrir des MOOCs comportant des frais d'inscription, si minimes soient-ils, il est à craindre la résistance farouche de l'internaute qui croit fermement au principe selon lequel tout ce qui se trouve sur Internet se doit d'être gratuit (même en sachant que si c'est gratuit, c'est lui le produit!).
En dépit de ces désagréables considérations financières, le MOOC apparaît être une vitrine formidable pour promouvoir l'offre de cours d'une université. Le défi est d'autant plus facile à relever pour l'université qui dispose d'une solide expertise en FAD. Cela apparaît d'ailleurs un avantage concurrentiel dans le marché des MOOCs, car les autres acteurs sont bien souvent de grandes universités campus qui jouissent d'une solide notoriété, mais qui ne maîtrisent pas encore l'art d'enseigner à distance.
Si l'expérience des MOOCs s'avère profitable pour l'université, il est permis de croire qu'elle veuille bien débourser davantage pour offrir des services d'encadrement convenables aux milliers d'apprenants qu'elle a réussi à séduire.
Conclusion
Comme entreprise d’accessibilité du plus grand nombre aux savoirs spécialisés, les MOOCs méritent notre intérêt, mais à condition qu’ils se préoccupent non seulement du nombre d’entrants, mais également du nombre de sortants, i.e. des résultats d’apprentissage qu’ils prétendent atteindre. Dans ce contexte, le développement des MOOCs constituent une occasion de faire évoluer de manière importante les modèles de tutorat tels qu’ils ont été développés pour les dispositifs de formation à distance.
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[1] Plusieurs de ces intentions peuvent cohabiter dans un même établissement et entretenir entre elles des rapports instrument-finalité différents.
[2] Rien n’empêche d’imaginer des MOOCs faisant appel à n’importe quelle variante pédagogique dans un contexte de distance. Cependant, en matière de fréquence, on devrait retrouver la même distribution des cours à travers les approches pédagogiques qu’on trouve dans l’enseignement universitaire.