Tuteurs à distance en pause déjeuner ?
Je pense que vous avez tous remarqué comment le petit monde du e-learning était régulièrement "soubressauté" par des thèmes qui cristallisent alors de nombreuses énergies et prises de position.
Ainsi, l'apparition de nouveaux outils provoque son lot de promoteurs, de décrieurs et je trouve assez remarquable que les arguments échangés ne diffèrent que bien peu de ceux utilisés par Thot et Thamous à propos de l'invention de l'écriture.
Il y a un trois ans environ, le tutorat à distance a lui aussi fait l'objet d'une actualité toute brûlante dans laquelle repères passés et perspectives ouvertes se fondaient en une seule expression "l'industrialisation du tutorat".
Au sein de t@d nous avions eu de nombreux échanges sur ce thème et j'en avais tiré matière pour la rédaction d'un article intitulé « Industrialisation du tutorat : de quoi parle-t-on ? » dont je reproduis quelques passages ci-dessous.
L’industrialisation renvoie à la rationalisation, la standardisation, l’automatisation de l’organisation du travail. Lorsque l’on industrialise, il ne s’agit pas seulement de s’inspirer ou de suivre une méthodologie mais de modéliser les actions et de soumettre la réalisation de celles-ci aux modèles définis.
Est-ce que ce sont les interventions du tuteur qui devraient être industrialisées ou bien les outils et la production de traces qui lui permettraient de définir ses interventions ? Peut-on parler d’industrialisation d’une activité qui a encore peu de reconnaissance professionnelle et statutaire ?
Une des manières de rendre le tutorat plus performant, plus économique et plus réactif semblerait résider dans l’analyse des traces d’apprentissage de l’apprenant. Je veux parler ici, plus particulièrement des traces informatiques laissées par les apprenants-usagers de plateformes e-learning.
Quelles conséquences pour le tuteur ? Le tuteur, à l’instar de l’éclaireur, devra tout d’abord repérer les traces. Ce travail de repérage se révèlera d’autant plus lourd que la production de traces sera importante. Quelles seront les traces réellement signifiantes et celles qu’il sera nécessaire d’ignorer ? Ce choix pourra-t-il être laissé aux algorithmes ? Le tri parmi les traces n’est-il déjà pas constructif de la relation du tuteur avec les apprenants ? Si oui, ne serait-il pas préférable de laisser le tuteur effectuer ce tri ? Une fois le tri effectué ou de manière simultanée, le tuteur devra identifier ces traces. Quelles sont-elles ? Quels sont leurs contours ? Quelles sont leurs formes ? Quelle est leur « fraicheur » ? Que contiennent-elles ? Enfin, il restera au tuteur à interpréter les traces, c'est-à-dire à en tirer du contenu et à le rapprocher de ses connaissances et de ses représentations issues de son expérience de tuteur. A partir de cette interprétation le tuteur sera alors en mesure d’agir envers l’apprenant.
A mon sens, la production de traces peut se révéler tout à fait utile pour le tuteur. Toutefois, elle devrait être définit déontologiquement et ne pas s’effectuer à l’insu des acteurs. Elle ne devrait pas non plus se limiter à ce qui est facile de tracer d’un apprenant (temps de connexion par exemple). Il peut être plus intéressant de savoir si tel document produit par l’apprenant est le résultat d’un seul jet ou à été modifié à plusieurs reprises. De même, il serait utile d’avoir des traces des interactions entre apprenants, etc. Les traces ne servent qu’une cartographie quantitative de l’activité de l’apprenant. Elles n’ont réellement d’intérêt pour l’apprentissage que si elles peuvent aider le tuteur à produire une analyse plus qualitative.
Je trouve étonnant de parler d’industrialiser (c'est-à-dire rationaliser, standardiser, massifier) le tutorat (c'est-à-dire les relations entre être humains). Alors même que l’expression « industrialisation de la formation » fait encore débat, comment imaginer l’industrialisation de la composante de la formation à distance la plus liée aux médiations humaines ? Ne se paye-t-on pas de mots ? La formule se veut-elle provocante pour animer le débat ? De quoi parle-t-on ?
Ma préférence pour instrumentation par rapport à industrialisation vient du fait qu’il me semble difficile d’industrialiser avant d’avoir instrumenter dans la mesure même où l’industrialisation est en partie le résultat d’un processus de rationalisation-standardisation-massification de l’instrumentation. Il me semble donc que l’instrumentation est plutôt un préalable qu’une tangente de l’industrialisation. De plus, je ne suis pas persuadé que toute instrumentation doive fatalement amener à une industrialisation. Dans le cas du tutorat, je suis extrêmement réservé par rapport à son industrialisation mais il est vrai que là, l’instrumentation n’en est qu’à ses débuts et que celle-ci peut se révéler utile pour les tuteurs et les apprenants. Je suis donc très ouvert aux expérimentations de l’instrumentation dès lors qu’elles se font par, avec et pour les acteurs de la relation tutorale.
Je retiens finalement l’expression « l’instrumentation dans la relation tutorale » en lieu et place de celle « d’industrialisation du tutorat ».
Trois après la tenue du colloque de l'Eifad, et deux ans après le numéro de la revue Distances et Savoirs (3/2 - 2005) intitulé « Tutorat à distance et logiques industrielles » le thème de l'industrialisation du tutorat a largement perdu de son actualité mais cela ne signifie pas que ces échanges n'aient pas eu des influences sur certaines manières de concevoir et de pratiquer le tutorat aujourd'hui.
Si la photographie d'Edward Burtynsky qui illustre cet article ne représente pas la réalité actuelle ni même une vision prophétique du tutorat à distance, il est intéressant de savoir où nous en sommes vraiment.
C'est pourquoi, je lance un appel à vos témoignages. Que ceux-ci concernent les stratégies de massification du tutorat, son instrumentation, les conséquences sur les pratiques, les rôles ou les fonctions du tuteur, tous sont bienvenus.
S'il ne s'agit pas de dresser un panorama complet des traces de l'existence d'un processus d'industrialisation dans l'activité tutorale, ces témoignages permettraient d'une part, de rendre compte des essais, des réussites ou des échecs sur le terrain, et d'autre part, mettraient en perspective les termes du débat qui a agité les acteurs du e-learning il y a trois maintenant.
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