Texte d'appui à mon intervention lors de la table ronde du REFAD « Encadrement et MOOC : paradoxe ou réel potentiel ? » 20 novembre 2014
Evoquer l’encadrement dans les moocs revient aujourd’hui davantage à poser des questions, parfois à élaborer des solutions, plutôt qu’échanger et mutualiser sur les résultats que ces solutions auraient permis d’enregistrer. Ceci n’est pas anormal dans la mesure où la récente apparition des moocs, que je qualifie volontiers de dernier avatar de la mise à distance de la formation, n’échappe pas aux travers qu’ont connus, à leurs débuts, ses prédécesseurs. En effet, que ce soit les cours par correspondance, ceux par radio ou télévision, puis l’EAO, la FAD, la FOAD, la e-formation, la formation hybride… tous ont dans un premier temps accordé peu d’attention à l’accompagnement des apprenants… et ont connu des taux d’abandon très élevés, dépassant fréquemment les 90%.
Des données récentes [1] font apparaître que seuls 10% des inscrits aux moocs d’edX sont actifs. Dans les moocs de l’UCL sur edX, seulement un peu plus de la moitié de ses 10% d’actifs terminent leur parcours par l’obtention d’une certification.
Il apparait donc que les moocs, comme les autres formes de FAD avant eux, doivent répondre au défi de l’abandon et donc à celui de l’accompagnement, du soutien à l’apprentissage, du tutorat à distance.
Parmi les questions qui peuvent être posées, en voici quelques-unes.
L’arrivée, via les moocs, de nouveaux acteurs dans la sphère de la formation à distance ne possédant pas la mémoire de la FAD, ce qui est plutôt un signe de vitalité de ce secteur d’activité, ne favorise-t-elle pas l’oubli de la nécessité première de l’accompagnement des apprenants ?
La focalisation sur la construction et la gestion des dispositifs des moocs n’est-elle pas comparable à celle sur la technique et les outils qu’ont connue les premières FOAD ? Focalisations qui rejettent au second plan, voire à un horizon lointain et indistinct, la prise en compte du soutien à l’apprentissage ?
L’inspiration connectiviste de certains moocs ne rejoint-elle pas celle de l’approche transmissive d’autres moocs, lorsque dans un cas comme dans l’autre, les apprenants sont promus autonomes dans leurs apprentissages, du seul fait qu’ils s’inscrivent à un mooc ? [2]
La gratuité consubstantielle aux moocs n’est-elle pas un handicap au développement des services d’accompagnement ? [3]
Bien d’autres questions peuvent être posées, en particulier sur les modalités que les interventions tutorales pourraient avoir lorsqu’il ne s’agit plus d’encadrer quelques dizaines, voire quelques centaines d’apprenants mais bien des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers. Il apparait très vite qu’une simple duplication des solutions tutorales appliquées dans les FOAD est impraticable dans les moocs. Il faut donc inventer autre chose.
Durant l’été 2013, j’ai participé, à la Téluq, à un atelier [4] réunissant quelques personnes : Sylvie Pelletier, tutrice à la TÉLUQ et Présidente du syndicat des tuteurs, France Henri, Caroline Brassard et Pierre Gagné, tous trois professeurs dans cette même institution. Cet atelier avait pour but la formulation de quelques idées sur le tutorat dans les moocs afin d’introduire la table ronde [5] traitant du même sujet qui s’est tenue le 25 novembre 2013 dans le cadre du séminaire des 10 ans de t@d. [6]
De cet atelier, et de réflexions précédentes que j’avais notamment présentées aux JEL 2013 en juin, [7] j’ai retiré les sept idées suivantes :
- Procéder à une ingénierie tutorale lors de la conception d’un mooc.
- Utiliser la période d’inscription pour analyser les besoins d’aide des apprenants.
- Structurer les services d’encadrement selon le degré d’engagement de l’apprenant dans sa formation et selon son évaluation de ses propres besoins.
- Chaque fois que cela est possible, concevoir des documents, des outils, des interventions préenregistrées apportant du soutien à l’apprentissage.
- Organiser le tutorat par les pairs.
- Former les animateurs des moocs aux fonctions tutorales.
- Procéder à des enquêtes auprès des apprenants sur les services tutoraux dont ils bénéficient et les associer à leur amélioration.
De manière plus récente, j’ai formulé sept propositions pour l’accompagnement dans les Réseaux Sociaux Massifs d’Apprentissage, dont les moocs sont, à mon sens, préfigurateurs. [8] Je me suis plus particulièrement intéressé à un modèle organisationnel des interventions tutorales réactives au sein de ces dispositifs. En effet, s’il est relativement aisé de penser les interventions proactives, le grand nombre d’apprenants d’un mooc rend plus délicat la réalisation des interventions réactives qui sont pourtant de la première importance dans la mesure où c’est bien lors de ces interactions que le soutien peut être personnalisé. Mes sept propositions sont les suivantes :
Proposition 01. L’accompagnement doit faire l’objet d’une stratégie élaborée lors d’actions d’ingénierie tutorale qui précèdent la diffusion du dispositif.
Proposition 02. Les rôles et fonctions, ainsi que les modalités des différents acteurs de l’accompagnement doivent être décrits et leurs champs d’intervention précisés. Ils peuvent l’être à partir des fonctions tutorales et des plans de support à l’apprentissage à investir.
Proposition 03. Les modalités d’accompagnement doivent être variées : experts, tuteurs, tuteurs-pairs ou community managers, pairs, ressources de support à l’apprentissage.
Proposition 04. La proactivité des accompagnateurs est indispensable. Une constante dans l’accompagnement est que ce sont rarement ceux qui ont le plus besoin d’être accompagnés qui sollicitent d’eux-mêmes les services d’accompagnement. La proactivité consiste donc, pour les accompagnateurs, à rejoindre les apprenants là où ils sont et les encourager à s’engager dans la relation d’aide.
Proposition 05. Les modalités d’accompagnement doivent être présentées très clairement aux apprenants. Le recours à une charte tutorale étant conseillé.
Proposition 06. Le choix des outils de réseaux sociaux doit idéalement être réalisé avec les apprenants en amont de la formation, durant la phase d’inscription, et être guidé par le respect des critères d’accessibilité de l’outil et d’acceptabilité par les utilisateurs.
Proposition 07 : La réactivité ascendante structurée autour des étapes suivantes : i) L’apprenant est son premier soutien et peut s’appuyer sur les ressources de support à l’apprentissage ; ii) S’il ne trouve pas de réponses satisfaisantes dans les ressources de support à l’apprentissage, il interroge ses pairs ; iii) Si les pairs ne l’aident pas, ce sont les tuteurs-pairs qui prennent le relais ; iv) Si les tuteurs-pairs ne l’aident pas, ce sont les tuteurs de l’équipe pédagogique qui prennent le relais ; v) Si les tuteurs de l’équipe pédagogique ne l’aident pas, ce sont les experts qui prennent le relais.
A ce jour, les moocs étant encore largement un terrain vierge en termes d’accompagnement des apprenants, nul doute que l’aménagement d’actions visant à contrer les abandons permettrait d’enregistrer de rapides progrès. La pérennité des moocs et la tenue de leurs promesses ne sont-elles pas à ce prix ?
Au plaisir d’échanger…
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Notes
[2] A noter, que tant l’autonomie des apprenants que l’accessibilité des moocs sont très largement réduites par le rythme d’apprentissage imposé dans ces dispositifs, fréquemment de 4 à 6 semaines.
[3] La gratuité est trop souvent l’alpha et l’omega de l’accessibilité des moocs. Or, la notion de flexibilité a enrichi très fortement la vision de l’accessibilité. Sur la flexibilité, cf. les actes du colloque « Flexibilité des apprentissages et du tutorat dans la FOAD et la formation hybride » ACFAS 2014.
http://www.jrodet.fr/tad/tutorales/tutorales13.pdf consulté le 11/11/14.
[8] Les principes des RSMA sont les suivants : L’existence d’une formation en ligne ou hybride. Un groupe massif d’apprenants (de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers). La volonté d’horizontaliser les communications entre tous les participants. Une stratégie d’accompagnement annoncée et appliquée. Une définition des rôles des participants (de consommateur à producteur). Une charte précisant les droits et devoirs des participants. La présence de formateurs, tuteurs, animateurs. Un ou des outils de réseaux sociaux permettant de structurer, de mémoriser et de retrouver les échanges entre les participants. Des outils permettant d’évaluer la cohésion et la productivité. Des instances d’auto-régulation. Rodet J. (2014) La réactivité ascendante, et quelques autres modalités d’accompagnement des apprenants à distance dans les réseaux sociaux massifs d’apprentissage (RSMA)
Quelques autres éléments