La classe inversée fait de plus en plus parler d’elle. L’audience
de Marcel Lebrun,
qui en présente les principes dans ses conférences et qui la pratique,
notamment au sein d’elearn2,
est réelle et touche des cercles de plus en plus larges d’acteurs de l’éducation
et de la formation. Je ne ferai donc pas une présentation détaillée de la
classe inversée (cf. le billet de Marcel Lebun « Classes inversées, Flipped Classrooms … Ca flippe quoi au juste ? ») mais formulerai quelques réflexions tant il est toujours nécessaire, en
particulier dans le domaine de la formation, de questionner les formules
pédagogiques qui apparaissent, à un instant t, comme la solution à toutes les
insuffisances des dispositifs de formation. A cet égard, Adrien Ferro, dans un
commentaire à un post sur Facebook, note « Le problème de la classe
inversée est que les préliminaires au présentiel sont totalement dépendants des
variables locales, familiales notamment. C'est justement pour éviter ceci que
l'école existe. »
Hybridation plutôt qu’inversion ?
Le principe cardinal de la classe inversée est de confronter
les apprenants à l’enseignement, au discours du formateur, aux aspects
conceptuels ou notionnels en situation distancielle, à partir de ressources. Il
s’agit donc pour les apprenants d’effectuer en autonomie une prise d’informations
(ce qui sous-tend un étayage-désétayage progressif selon les caractéristiques
propres à chaque apprenant). En situation classique de formation, cette étape
correspond le plus souvent à l’exposé, au cours magistral. Dans un deuxième
temps, la situation présentielle est dédiée, en présence du formateur, à la
remédiation et à la manipulation des informations recueillies par les
apprenants afin qu’ils les transforment en savoir, savoir-faire et savoir-être.
Le travail collaboratif autour de situations authentiques étant la pratique d’inspiration
socio-constructiviste la plus utilisée.
Dans ce scénario, on peut remarquer que la séquence déductive
traditionnelle théorie puis pratique n’est
pas inversée comme cela peut être le cas dans la formule de la formation-action,
de nature inductive, où les apports
théoriques n’interviennent qu'au moment où ils s’avèrent nécessaires et que pour
servir les finalités de l’action, (sur la formation-action).
La classe inversée n’inverse donc pas automatiquement le processus cognitif qui
peut rester d’ordre déductif.
Dans les expériences de classes inversées les plus abouties,
un troisième temps, qui peut être aménagé tant en présentiel qu’à distance,
vise à faciliter la conscientisation, par les apprenants, de leurs acquisitions
et du processus qui les a permises. Cette étape d’ordre métacognitif, bien que
toujours possible, est rarement aménagée dans une démarche pédagogique
classique ou académique. Elle présente une haute valeur ajoutée mais elle n’est
pas une caractéristique spécifique de la classe inversée.
L’inversion en classe inversée peut donc sembler correspondre
davantage à une hybridation des temps de formation où les concepts sont étudiés
à distance et la mise en pratique réalisée en présentiel. Il est toutefois
remarquable qu’elle peut se situer, selon les intentions des concepteurs dans plusieurs
scénarios de la typologie Competice et dans la plupart des types de la typologie Hysup.
Il apparait donc que l’hybridation des temps présentiel et distanciel ne suffit
pas à la décrire et que les postures des acteurs et l’approche pédagogique
structurant les différentes étapes du scénario de la classe inversée soient autant
d’éléments à prendre en compte pour la caractériser.
Enseigner moins pour
qu’ils apprennent plus
Dès lors, il étonnera peu que je relie le changement de
posture du formateur ou de l’enseignant à l’effectivité de l’inversion. Ne plus
se focaliser sur la seule transmission, même médiatisée, mais au contraire
accorder une importance plus grande au soutien à l’apprentissage, à l’accompagnement,
à l’aide tutorale, tel me semble l’enjeu principal de l’inversion. Ce
rapprochement entre la posture tutorale en formation à distance et le rôle de l’accompagnement
dans les classes inversées a été exploré par Marcel Lebrun lors de la
conférence données dans le cadre du séminaire des 10 ans de t@d : « Classes inversées : quand le tutorat à distance inspire l'accompagnement en présence »
A l’issue de cette conférence, les conclusions que Marcel
Lebrun a rassemblé sous le titre « Les Flipped Classrooms, un nouveau
métier pour les ... enseignants » étaient les suivantes :
- Mieux utiliser les espaces (mobilité, présence-distance) et les temps (flexibilité, synchrone-asynchrone) de l'enseigner et de l'apprendre (flipper l'espace-temps)
- Proposer une formation plus individualisée et davantage en résonance avec les rythmes, les styles et les activités de chacun (flipper surface-profondeur, sérialisme-holistisme)
- Mieux balancer la nécessaire transmission des savoirs et le développement des savoir-faire et savoir-être, des compétences et de l'apprendre à apprendre (flipper les savoirs et les taxonomies)
- Apprendre à mettre de l’ordre dans des structures désordonnées (flipper cartes et boussoles, ordre et désordre)
- Rendre les étudiants davantage actifs et interactifs, plus impliqués (flipper transmission et appropriation)
- Répondre à des questions que les étudiants se posent plutôt que de répondre à des questions qu'ils ne se posent pas (flipper les rôles)
- Pour les enseignants, leur permettre une appropriation (un développement professionnel) progressive ... nul besoin de tout "flipper" en une fois
Je ne suis pas pleinement convaincu qu’il s’agisse d’un
nouveau métier (cf. la conférence de Viviane Glikman « Peut-on parler du"métier" de tuteur à distance ? »), plus
probablement comme l’indique en creux la conclusion 7 de Marcel Lebrun, d’une
évolution progressive, certes, mais nécessaire. Il serait d’ailleurs plus juste
de parler d’évolutions au pluriel tant la mise à distance de la formation, même
partielle comme dans le cas de la classe inversée, redistribue les cartes, les
rôles, les fonctions.
L’éclatement de la fonction d’enseignant lors de la mise à
distance de la formation
Aussi, les conclusions de Marcel Lebrun n’impactent pas le
seul enseignant, à moins de le considérer comme « seul maitre à bord »
ce qui serait contradictoire avec l’esprit même de la classe inversée.
« Flipper l’espace-temps » est une question d’ingénierie
pédagogique et concerne donc le concepteur, organisateur et scénariste qui n’est
pas forcément le formateur-animateur-tuteur.
« Flipper surface-profondeur, sérialisme-holistisme »
relève de l’individualisation qui est également une question d’ingénierie
pédagogique (cf. mon billet « L'individualisation, élément de la flexibilité d'une FOAD »)
et de personnalisation. J’en donne la
définition suivante : « La personnalisation, en formation, désigne le
processus relationnel qui va permettre à l’apprenant de voir pris en compte ses
caractéristiques personnelles au cours de sa formation. Elle induit
l’établissement d’une « relation privée » entre le tuteur et un apprenant. »
(cf. mon billet « Le tutorat, élément de la flexibilité de la FOAD »).
Elle concerne donc les animateurs, tuteurs et évaluateurs.
« Flipper les savoirs et les taxonomies » est tout
à la fois une question épistémique et de construction du discours didactique qui devrait être structuré autour du développement de perspectives multiples. Cela concerne
le concepteur et le producteur.
« Flipper cartes et boussoles, ordre et désordre »
renvoie à l’ingénierie pédagogique d’une part mais aussi et surtout à l’accompagnement
tutoral. Cela concerne donc prioritairement les animateurs, tuteurs et
évaluateurs.
« Flipper transmission et appropriation » et « Flipper
les rôles » relèvent du choix de l’approche pédagogique qui à mon sens ne
peut être de la seule responsabilité du formateur mais du partage de celle-ci
avec l’institution et les apprenants.
La classe inversée se révèle être une pratique riche et
prometteuse. D’une part, car elle provoque un écho auprès d’un nombre de plus
en plus grand de formateurs et d’enseignants et d’autre part, parce qu’elle pose
la question centrale de la distribution des rôles entre les professionnels de l’éducation
et de la formation et les apprenants. Elle acculture à la mise à distance de la
formation qui pour de nombreuses raisons est une réalité incontournable du
paysage de la formation tant initiale que professionnelle. Elle vient aussi
bousculer les modèles de FOAD, s’invite dans les moocs. Au terme de ce billet, plusieurs questions
restent ouvertes. Une classe inversée basée sur la modèle déductif peut-elle
réellement tenir toutes les promesses de l’inversion ? L’hybridation de
la classe inversée et de la formation-action n’est-elle pas souhaitable ? La
mise en place de classes inversées où les temps présentiel et distanciels sont
mixés n’amène-t-elle pas à devoir la penser plus comme un projet à co-construire
par une équipe techno-pédagogique plutôt que comme une offre élaborée par un seul
enseignant ou formateur ?