samedi 15 septembre 2007

Analyse des pratiques du tutorat au sein des formations ouvertes et à distance (FOAD) bénéficiant du soutien de l'AUF



Sandrine Decamps a réalisé en début d'année une « Analyse des pratiques du tutorat au sein des formations ouvertes et à distance (FOAD) bénéficiant du soutien de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) ». http://foad.refer.org/IMG/pdf/Rapport_pratiques_tutorat_UTE_AUF.pdf

Trois questionnaires différents en direction des responsables pédagogiques, des tuteurs et des apprenants ont servi à recueillir les données.

Je vous invite à lire la totalité de cette enquête. Je me contente ci-après de relever quelques extraits et, plus que de les commenter, de partir d'eux pour poser quelques questions.

Extrait 1 : sur la disponibilité et la proximité des tuteurs

« Si les apprenants reconnaissent aux tuteurs des qualités intellectuelles et morales, ils regrettent bien souvent leur manque de disponibilité [...] l'idée que le tuteur doit être « plus proche des étudiants tout en étant à distance » revient en leitmotiv. »

La disponibilité et la proximité sont souvent les maîtres mots des apprenants lorsqu'on leur demande de préciser les qualités qu'ils souhaitent voir possédées par leurs tuteurs.

La disponibilité renvoie à la temporalité, au temps s'écoulant entre l'apparition d'un besoin de soutien chez l'apprenant et le moment où le tuteur va formuler une réponse à ce besoin. A noter, qu'il serait certainement également utile d'établir la distinction entre le temps de l'apparition du besoin et celui de sa formulation par l'apprenant au tuteur. L'impatience ou l'exigence de l'apprenant envers le tuteur n'est-elle pas renforcée par les efforts et le temps qu'il passe, ou qu'il ne veut pas passer, à diagnostiquer et à verbaliser son besoin de support ?

Il me semble que l'indication de règles, dans un guide de tutorat, règles pouvant éventuellement être négociées directement par le tuteur et l'apprenant sous réserve que le résultat de la négociation soit contractuel, devrait donner toutes les informations et précisions aux apprenants pour qu'ils ne ressentent pas de manière irrationnelle certains délais nécessaires à la rétroaction de leur tuteur.

La question de la proximité est d'une autre nature. Elle renvoie à la qualité de la relation établie entre tuteur et tutoré. Celle-ci se situe-t-elle davantage sur le plan institutionnel ou sur celui plus individuel ? Une relation de confiance s'est-elle instaurée ?

Mais, il ne faut pas oublier que la relation tuteur-tutoré s'établit dans un cadre, celui des contraintes fixées par l'institution et que parfois, cette dernière préfère rester dans une certaine ambiguïté, voire nier la contradiction entre missions prescrites et moyens mis à disposition pour les remplir. Est ce que la définition des missions du tuteur précise ses interventions sur le plan socio-affectif ? Le tuteur y est-il préparé ? Ces tâches sont-elles prises en compte dans le statut du tuteur ? Enfin, N'y a-t-il pas contradiction, comme le soutien Alain Baudrit, entre professionnalisation du tutorat et proximité tuteur-tutoré tant celle-ci doit avant tout être sociale ? La proximité ne souffre-t-elle pas non plus du fait que le tuteur soit investi, à côté de sa fonction d'aide et de soutien, de celle de contrôleur ou d'évaluateur ?

Extrait 2 : sur la professionnalité des tuteurs

« Seuls 5 tuteurs (7,5%) exercent cette fonction à titre d'activité professionnelle principale. Plus de de la moitié des formations (60,9%) rétribuent leurs tuteurs sous formes d'heures comlplémentaires à une activité principale [...] Les commentaires libres laissent transparaître que le statut « accessoire » du tutorat est perçu par les tuteurs comme un manque de reconnaissance et par les apprenants comme susceptible de conduire à un manque de disponibilité qui peut affecter la qualité de l’encadrement pédagogique [...] La reconnaissance du tutorat comme une profession à part entière est une revendication qui émane aussi bien des tuteurs que des apprenants... ».

A ma connaissance, c'est une des premières études qui souligne aussi nettement l'intérêt convergent des tuteurs et des apprenants pour une professionnalité reconnue de la fonction de tuteur à distance. Les revendications statutaires des tuteurs sont anciennes (t@d a toujours voulu en être un acteur) et ont connu des sorts très divers selon les pays. Dans le contexte universitaire français, les tuteurs sont majoritairement des professeurs. Tant que ceci sera une réalité, il n'y a aucune chance de voir le métier de tuteur émerger statutairement tant ce statut ne pourrait être que moins avantageux que celui de professeur ou de maître de conférences. Une des raisons qui amènent à constater une forte proportion de professeurs chez les tuteurs tient à mon sens à la primauté donnée au support cognitif sur les autres plans méthodologique, administratif, technique, motivationnel, socioaffectif et métacognitif. Cette primauté est sensible tant chez les concepteurs et responsables de formation que chez les apprenants. Ainsi dans cette étude, il apparaît que 83,3% des responsables de formation jugent indispensable (50%) ou très important (33,3%) le fait que le tuteur ait un bon niveau d'expertise du domaine. A la même question les apprenants répondent de la même manière à 80,8 % (51,8% et 29%) et les tuteurs à seulement 67,2% (38,8% et 28,4%).

Ainsi, si les apprenants pensent qu'ils gagneraient à ce que le tutorat soit assuré par des personnes dont c'est l'activité professionnelle principale, leur demande de tuteurs experts du domaine les condamnent à ne jamais voir satisfaite leur revendication de professionnalisation du tutorat qu'ils semblent porter (du moins dans cette étude) avec les tuteurs, plus exactement avec les tuteurs qui ne bénéficient pas d'un autre statut professionnel jouissant d'une meilleure reconnaissance sociale.

En bref, les apprenants veulent que les profs deviennent des tuteurs, les profs tuteurs veulent rester avant tout des profs faisant en complément du tutorat, les tuteurs non profs veulent accèder à une reconnaissance professionnelle du tutorat.

La recherche de réponses à d'autres questions pourrait permettre de sortir de cette quadrature du cercle. Pourquoi les apprenants, lorsqu'ils sont interrogés, surévaluent très fréquemement leurs besoins de support sur le plan cognitif au regard de leurs demandes effectives en cours de formation ? Pourquoi les responsables de formation, alors qu'ils sont souvent les mieux placés de par leur connaissances de la pédagogie pour ne pas le faire, restent focalisés sur l'expertise disciplinaire des tuteurs ? Quels sont les ressorts des convergences des responsables de formation et des apprenants sur cette question de l'expertise des tuteurs ? Habitus ? Institutionnels ? Symboliques ? Contractuels ? Si la professionnalité du tuteur ne peut résider dans sa seule expertise, quelles sont les autres dimensions qui la constitueraient ?

Extrait 3 : sur la formation des tuteurs

« Lorsqu’on interroge les tuteurs sur la formation dont ils ont bénéficié pour devenir tuteurs, plus de la moitié d’entre eux déclarent avoir reçu une formation au tutorat soit sous forme d’une information sur les modalités de tutorat spécifiques à la formation (58%), soit sous forme d’une formation spécifique à l’encadrement des apprenants de la formation en question (57%). Les tuteurs qui se sont préparés à exercer leurs fonctions en suivant une formation spécialisée en ingénierie de la formation ou l’atelier 3.4 des formations Transfer (Tutorer une formation à distance) représentent une part minoritaire de l’effectif (16% et 10%) [...] Les tuteurs sont 28 (41.8%) à souhaiter suivre une formation complémentaire spécifique au tutorat et leurs desiderata s’orientent davantage vers des formules de formation à distance spécialisées en ingénierie pédagogique (57%), des formations Transfer ou dans le fait de pouvoir bénéficier d’une formation spécifique à l’encadrement (50%). »

Lorsque les concepteurs pensent à la formation des tuteurs, ils raisonnent souvent à l'intérieur des limites des formations dans lesquelles ces tuteurs vont intervenir. Ainsi, les formations sont souvent sur les outils, sur les spécificités du système tutoral mis en place ou sur les obligations des tuteurs envers l'institution. Ces formations sont utiles mais ne sauraient être suffisantes. Des formations plus transversales sur l'ingénierie pédagogique, la conception d'activités d'apprentissage, l'animation de groupes d'apprenants, la collaboration, les interventions sur les plans de support à l'apprentissage autres que le cognitif, sur l'écoute active, sur l'évaluation et la rétroaction, etc. sont essentielles aux tuteurs et restent encore largement à construire.

Et si les participants de t@d s'y mettaient ?

1 commentaire:

Christian MARTIN a dit…

Bonsoir Jacques,
Vous dites "et si les tuteurs t@d s'y mettaient?" En vous référant à la construction d'une formation de tuteurs qui dépasse la simple formation aux outils et contenus du dispositif spécifique. Je m'y suis essayé parfois, en travaillant sur les aspects spécifiques à l'apprentissage des adultes, en évoquant des aspects plus théorique (constructivisme, socio-constructivisme, style d'apprentissage, ...) mais souvent on me demandait des recettes pour gérer les situations difficiles dans le contexte du dispositif. Comme vous je crois qu'il faudrait développer les compétences transversales des tuteurs, mais le temps disponible n'est pas souvent suffisant, il suffit a peine à lever les principales résistances et les doutes des e-tuteurs-stagiaires sur leurs propres aptitudes à remplir cette fonction.