mercredi 16 décembre 2009

Chronique d'Hélène Bukiet > L’insertion professionnelle et le tuteur d’entreprise


« L’insertion professionnelle est l’un des facteurs majeurs de l’insertion sociale des individus, tant pour l’obtention de ressources financières nécessaires à un minimum d’autonomie que pour l’établissement de liens sociaux afin de donner à chaque individu un statut valorisant reconnu dans la société dans laquelle il vit. Toutes les statistiques montrent un déficit considérable de l’embauche des personnes handicapées par rapport au reste de la population et les handicaps mentaux et psychiques sont particulièrement pénalisés » (Wolff M. et Sperandio J.C. oct. 2005). « Actuellement, peu d’autistes sont intégrés professionnellement en milieu ordinaire. Ces cas existent et doivent être étudiés finement ». (ANAE 2005).

En deçà de l’information institutionnelle sur le handicap transmise par les cabinets de consultants spécialisés, les ressources humaines et les associations de personnes handicapées, il est une immédiateté de la relation sur le terrain de l’insertion d’une personne en situation de handicap qui renvoie chacun des acteurs à ses propres capacités de perception, et à sa construction territoriale personnelle et qui s’exprime de façon non verbale indiquant au partenaire le champ des possibles entre eux. « Dans cet engagement dans la relation, se niche l’impossibilité de ne pas communiquer par au moins un « canal », qu’il soit verbal, kinésique ou proxémique ». (Birdwhistell R.). L’étude d’une situation contemporaine triviale, celle de l’individu qui « ne peut» employer de façon acceptable l’idiome cérémoniel de son groupe … peut constituer une source d’enseignements quant à la nature des cérémonies» (Goffman E., 1974) pour le monde de l’entreprise.

L’insertion et le maintien d’une personne en situation de handicap psychique en entreprise ordinaire vient interroger clairement les individus sur ce qu’ils peuvent échanger et jusqu’où. « Si un individu échoue à préserver ce que les autres estiment une apparence convenable, et s’il refuse de se soumettre à ceux qui sont chargés de le rendre présentable, ceux-ci ne pourront accomplir leur tâche qu’au prix de sa dignité et de la déférence qu’ils lui doivent, ce qui risque alors de créer en eux des sentiments complexes (Hall E.T., 1966) voire «de très fortes humiliations » (Nuss M. 2008).

Je suis le fusible de l’entreprise me disait en tout début d’un premier entretien informel le tuteur de Monsieur Jean. Le sentiment d’usure du tuteur et sa solitude à gérer la fragilité du handicap indiquent clairement que d’autres ressources internes et externes à l’entreprise sont à trouver.

Il en est une que Monsieur Jean a développée : celui des « tuteurs-relais » ainsi baptisés par son tuteur. Ces individus se trouvent chacun à un étage dans un bâtiment qui en compte sept répartis sur deux ailes avec cinq cents personnes. Ces tuteurs-relais, choisis par Monsieur Jean, autiste Asperger seraient apparentés à un groupe d’individus dont les capacités de perceptions, de communication kinésique et proxémique sont particulières.

Ces particularités ne seraient-elles pas justement celles qui font qu’une Direction de Ressources Humaines aurait intérêt à privilégier lorsqu’elle propose des tuteurs à une personne en situation de handicap, quelque soit le handicap ? Si oui, Monsieur Jean ne serait-il pas acteur de son maintien non seulement par sa fiabilité dans ses missions, sa présence constante à son poste, son comportement qui appelle autour de lui à une intelligence distribuée mais aussi par sa compréhension dite «intuitive» de la juste relation qu’il peut entretenir avec les uns et les autres sur le terrain ?

Au cœur de la mission de tuteur d’entreprise se joue le « maintien de l’identité personnelle », et celui du « maintien de l’ordre social » (Nizet et Rigaux 2005).


Points d'attention

JURIDIQUE : Les tuteurs de personnes en situation de handicap ne sont pas reconnus par l’entreprise ni sur le plan du salaire, ni sur le plan du temps, ni souvent dans l’organigramme institutionnel des réunions. Les Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peuvent devenir des partenaires utiles pour relayer le tuteur en entreprise.

MEDICAL: Une évaluation fonctionnelle de la personne en situation de handicap par le biais du guide d’évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées (GEVA) vient en appui de l’appréciation individualisée et globale de la situation de la personne. Cet élément fondamental introduit par la loi du 11 février 2005, n’est presque jamais engagé en entreprise car il n’est pas encore identifié comme un outil d’insertion et de maintien par les ressources humaines.

SOCIAL : Des partenaires extérieurs au tutorat peuvent ponctuellement venir enrichir les pratiques et éclairer certaines situations. Ils sont rarement sollicités : assistante sociale de secteur, médecin du travail, ergothérapeute, ergonome, éducateur spécialisé. Ils répondent à des besoins bien spécifiques. On les trouve dans les MDPH, conseils généraux, établissements spécialisés.

PSYCHOLOGIQUE : Se rappeler qu’il existe deux formes d’approche psychologique : clinique et comportementale. C’est l’évaluation fonctionnelle qui permettra d’aller vers un thérapeute ou un autre. L’approche comportementale en entreprise est bien développée dans les pays anglo-saxons mais peu ou pas utilisée en France. Le tuteur et/ou la personne en situation de handicap peuvent faire l’objet de cette démarche. La prise en charge est négociable dans le cadre de la prestation de compensation et des aides à l’insertion.


Illustration, Sigmar Polke, sans titre (2001-2006)

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