jeudi 2 mars 2017

L’utilisation des outils d’analyse du système tutoral : une logique en cascade. Par Véronique Natoli et Stéphane Lebel



Comment démontrer aux responsables d’une structure de formation désireux de développer une version online d’un parcours de formation existant en présentiel, que l’accompagnement des apprenants à distance, et surtout le bon dimensionnement et l’orientation appropriée des services tutoraux, est un facteur de réussite essentiel ?

C’est le cas très concret qu’il a été donné d’expérimenter à notre trio d’étudiantes dans le cadre d’un enseignement sur le support à l’apprentissage à distance, dispensé par Jacques RODET, au cours du master MFEG que nous préparons à l’université de Rennes1.

Il s’agissait pour nous de définir le système tutoral du dispositif étudié, 1er livrable de l’ingénierie tutorale, [A] en utilisant une méthode et des outils permettant d’objectiver nos préconisations de réponses tutorales aux besoins d’aide des apprenants.

Notre terrain d’étude : un dispositif blended learning de formation préparatoire au concours d’entrée en Institut de formation en Soins Infirmiers.

Notre intention, au travers de ce témoignage sur cette expérience vécue en tant que novice, est de pointer certains écueils à éviter dans la mise en œuvre concrète de la méthode et de rendre compte de l’interdépendance des étapes qui se succèdent dans une logique en cascade.

A propos des données convoquées et provoquées, et de la littérature scientifique…

La première étape vers l’objectivation du système tutoral, qui conduit à réaliser un inventaire des besoins de soutien à l’apprentissage, a consisté en une analyse de données.

Celles issues d’une revue de la littérature sur le tutorat afin d’obtenir un éclairage scientifique et d’initier une première représentation des besoins d’aide des apprenants dans un parcours à distance.

Celles qui existent déjà au sein de la structure de formation : les données convoquées, portant sur l’accompagnement des apprenants (plaquettes de présentation, projet pédagogique, compte rendus de groupes de travail), qu’il a fallu réunir et trier pour en isoler les informations pertinentes.

Celles, enfin, qu’il a fallu recueillir en réalisant des enquêtes auprès des acteurs du dispositif (les apprenants, l’équipe pédagogique) et qui ont constitué le socle de notre analyse proprement dite : les données provoquées.

Ce que nous a enseigné la mise en pratique, c’est que l’ensemble des analyses qui vont servir à définir le système tutoral dépendent de la pertinence des données collectées, notamment les données provoquées. Il est donc essentiel, avant de concevoir ses outils de recueil de données, d’avoir bien compris l’enchainement des analyses à réaliser et d’identifier très précisément les informations et indicateurs dont on aura besoin par la suite.

Ces informations, quelles sont-elles ?

Des outils d’analyse à construire… un cadre interprétatif à définir…

Les données, une fois collectées, doivent être traitées et regroupées pour pouvoir être restituées, sous forme de besoins d’aide exprimés par les apprenants, dans une grille d’analyse, le but étant de les classer en plans de support et fonctions tutorales. [B] Il est ensuite nécessaire d’établir une priorisation argumentée. En effet, la liste des besoins qui appellent une réponse tutorale, dépasse bien souvent les moyens que l’institution peut consacrer à cette fonction.

Le cadre méthodologique proposé par Jacques RODET laisse toute liberté pour construire ses propres grilles d’analyse et pour choisir une méthode de priorisation. Pour ce qui nous concerne, nous avons opté pour l’étude de criticité issue des techniques d’évaluation des risques, afin de mesurer, pour chaque besoin d’aide, le risque qu’il y aurait sur la réussite de l’apprenant, à ne pas apporter de réponse tutorale. Ce risque s’évalue en fonction de sa gravité et de sa probabilité, l’une et l’autre étant valorisée sur une échelle graduée de 1 à 4. Un taux de criticité peut alors être calculé par le produit de ces deux indices. Cette méthode, qui vise à une évaluation la plus objective possible des risques identifiés, nécessite que soient explicités à partir de données du terrain, les critères de probabilité et de gravité. Nous avons retenu les définitions suivantes :



Notre retour d’expérience sur l’usage de cette méthode pointe deux nécessités : celle de disposer de données statistiques significatives (échantillon >= 100 apprenants) pour pouvoir quantifier la fréquence de chaque besoin d‘aide, mais également celle de pouvoir qualifier leur niveau de gravité. C’est là que nous avons mesuré l’importance de travailler en collaboration avec un professionnel issu de la structure étudiée qui seul, par sa connaissance des apprenants de la formation concernée, est en mesure d’évaluer ce niveau de gravité au regard d’un risque d’abandon en cours de formation. Nous en avons tiré un commentaire explicatif que nous avons choisi de reproduire intégralement dans notre grille d’analyse pour la bonne compréhension de l’indice de gravité attribué à chaque besoin d’aide (1). Nous avons alors pu construire un modèle de grille d’analyse recensant les besoins d’aide issus du questionnaire apprenants (2), ainsi que leurs critères de qualification respectifs (3). Puis nous les avons regroupés par plan de support (4), et classés par taux de criticité (5) : voir extrait ci-dessous.



De la priorisation des besoins d’aide aux plans de support à investir par les tuteurs…

La grille d’analyse est un outil fonctionnel pour présenter dans un même espace toute l’information collectée sur les besoins d’aide des apprenants, que nous avons choisi, à ce stade, de restituer de manière exhaustive, afin de rester fidèles au retour des apprenants. Mais elle ne fourni pas une représentation suffisamment synthétique des plans de support à l’apprentissage à privilégier.

Pour obtenir cette vision synthétique, nous avons positionné les équivalents génériques des besoins d’aide issus de notre grille d’analyse, sur la matrice des interventions tutorales proposée par Jacques RODET, en reportant leur taux de criticité. En outre, pour faire apparaître le poids relatif de chaque plan de support, nous avons calculé un taux de criticité global par plan, en totalisant les taux de criticité de chaque intervention tutorale divisé par 112 qui est la valeur maximale de criticité qu'un plan peut atteindre (7 fonctions par plan x 16 points [maximum de l’occurrence du risque X maximum de gravité de ce risque = 4 X 4]).



Une méthode alternative pour prioriser…

L’étude de criticité est très riche d’enseignement mais, elle ne se fonde que sur les attentes des bénéficiaires de la formation. Jacques RODET suggère une autre méthode qui a le mérite de confronter ces attentes avec les représentations qu’en ont les deux acteurs du dispositif de formation que sont l’équipe pédagogique et l’institution. Il s’agit de la méthode du triangle des priorités. [C]

Bien qu’ayant le même objectif de priorisation que l’étude de criticité, le triangle des priorités nous a paru pouvoir la compléter car elle nous a permis de repérer des besoins que l’institution et/ou les formateurs jugeaient prioritaires mais qui n’étaient pas perçus comme tels par les apprenants et inversement. Cette information pourrait se révéler utile pour justifier d’éventuelles réallocations de ressources tutorales vers les besoins les plus critiques pour les apprenants. Toutefois la pertinence à mener cette étude est à questionner au regard du temps investi.

Prioriser, et après ?

Une fois établie la sélection des besoins de soutien prioritaires, il faut encore s’interroger sur les contraintes qui pèsent sur les acteurs du dispositif. C’est alors qu’intervient un dernier outil d’analyse: le tableau des contraintes.

Nous avons fait le choix de détourner un outil qui appartient au monde du marketing et permet d’analyser les contraintes internes et externes à un projet, la matrice de McKinsey. En effet il nous a semblé important de resituer la formation dans une approche systémique globale avant de définir plus précisément les contraintes internes sur lesquelles l’institution allait pouvoir agir à savoir essentiellement, les contraintes socioculturelles, RH, politiques et structurelles.



Cette dernière analyse suppose de convoquer des données qu’il aura été nécessaire d’anticiper lors de la phase initiale de recherche documentaire (pour les contraintes externes qui dépassent le simple cadre de la formation étudiée) mais également lors de la construction du guide d’entretien visant à interroger les acteurs de terrain pour la mise en évidence des contraintes internes et de leur poids respectif sur le dispositif de formation.

Définition des rôles et fonctions des tuteurs… le début du système tutoral

La sélection des besoins d’aide et des interventions tutorales prioritaires nous a permis de bâtir le système tutoral et de définir les profils et missions des différents tuteurs grâce à la juxtaposition des indices résultant des analyses précédentes.




Ce travail, à réaliser en amont du scénario tutoral et du plan de diffusion, doit permettre de formaliser une action essentielle à la réussite d’un dispositif de formation quel qu’il soit et qui plus est à distance. En effet, les fonctions tutorales restent bien souvent dans l’informel avec un temps de travail laissé au bon vouloir ou en fonction des possibilités matérielles des acteurs. Au travers de notre travail, nous avons pu prendre pleinement conscience de l’importance d’inclure dès le départ l’étude des rôles et fonctions des tuteurs dans le dispositif d’ingénierie pédagogique.

Travail collaboratif, synchrone ou asynchrone ? Comment construire ensemble ?

Le cadre collaboratif dans lequel s’est inscrit notre travail implique une bonne synchronisation tant dans l’approche du terrain que dans l’appropriation des méthodes et outils de définition du système tutoral. La difficulté de la co-construction réside dans la nécessité de caler, dès le départ, les choix méthodologiques sur des objectifs clairs et des idées précises de la matière à exploiter. Faute de quoi, il existe un risque de dispersion de l’énergie et de la réflexion individuelle pouvant altérer la dynamique de travail.

Notre démarche a été itérative, du fait de notre inexpérience d’une part, mais aussi du fait de rebondissements liés à la collecte d’informations qui ne peut toujours se faire de manière linéaire sur le terrain. Elle a donc nécessité de nombreux temps d’échanges et de calages en synchrone, relativement chronophages, ce qui engage à réfléchir sur les moyens à mettre en œuvre dans le cas d’une commande émanant d’un client et doit être bien évalué par les futurs étudiants qui réaliseront cet exercice, par ailleurs très enrichissant.

Véronique NATOLI et Stéphane LEBEL

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Notes

[A] : Rodet, Jacques (2016). L’Ingénierie tutorale. Définir, concevoir, diffuser et évaluer les services d’accompagnement des apprenants d’un digital learning. JIP Editions - 2016
https://sites.google.com/site/ingenierietutorale/

[B] : Rodet, Jacques (2012). Des fonctions et des plans de support à l’apprentissage à investir par les tuteurs à distance.
http://blogdetad.blogspot.fr/2012/06/des-fonctions-et-des-plans-de-support.html

[C] : Rodet, Jacques (2014). Prioriser les besoins de soutien des apprenants à distance pour déterminer ceux qui doivent faire l'objet de réponses tutorales.
http://blogdetad.blogspot.fr/2014/10/prioriser-les-besoins-de-soutien-des.html

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