Voici un nouveau texte faisant écho au conflit des tuteurs de la Téluq. Où l'on constate que la direction sans mémoire, ignorant les acteurs qui font l'ADN de la Téluq, prétend faire son avenir.
L’Université TÉLUQ : un changement bien mal parti
J’ai lu avec surprise et tristesse la réponse du directeur général de l’Université TÉLUQ à la lettre de mon ancien collègue Richard Pitre. Quoi ? La Téluq serait encore aux prises avec des problèmes douloureux et envisagerait maintenant un changement radical afin d’assurer son avenir après avoir été, il n’y a pas très longtemps, menacée de fermeture ? Quoi ? Plus de 200 personnes, les tuteurs, qui assuraient jusqu’à présent le lien pédagogique essentiel de l’institution avec ses étudiants se voient dès maintenant en passe de perdre leur emploi ? Le tout sans explication aucune, et sans qu’aucun reproche ne leur ait été adressé ? Et ceci alors que les inscriptions étudiantes sont en légère hausse ? Mais que se passe-t-il donc ? J’ai étudié l’histoire de la Télé-université et je cherche moi aussi à saisir ce que tente d’expliquer le directeur général. Mais j’ai beaucoup de difficulté à le suivre.
Un changement, donc, est en cours pour répondre aux besoins des étudiants et à ceux de la société. Mais de quoi s’agit-il ? Le plan stratégique 2016-2019 de la Téluq, adopté en mars 2016, qui énonce un ensemble de principes directeurs, parmi lesquels l’actualisation de l’offre de formation, le soutien à la réussite étudiante et l’augmentation de la fréquentation étudiante, ne parle pas des besoins de la société et ne fait pas état des changements envisagés. Plus audacieux, le document « L’enseignement supérieur à l’ère du numérique », élaboré un mois plus tard et qui se présente comme le positionnement stratégique de la Téluq, définit les trois principes qui fondent ses actions, soit l’innovation portée par la recherche, l’accent mis sur la réussite étudiante, ainsi que la mise à jour continue des cours. Il propose ainsi un ensemble d’actions pour favoriser le développement de la formation continue numérisée en partenariat avec les autres universités du Québec et de la francophonie. Et rien de plus. En fait, le changement du modèle d’encadrement de la Téluq trouve plutôt sa source dans la nouvelle convention collective des professeurs signée en mai 2017, où figurent toutes les nouvelles règles du jeu. Adoptée par le conseil d’administration lors d’une réunion secrète en vidéoconférence, ses justifications demeurent inconnues et le directeur général a refusé à plusieurs reprises de s’en expliquer.
Il y a plus. Le directeur général affirme que les personnes tutrices sont un corps d’emploi créé à l’Université TÉLUQ pour soutenir le corps professoral. Or, cela est faux puisque cette « Université TÉLUQ » n’est autre que la vitrine publicitaire de la Télé-université, créée en 1972 sans professeurs et où le corps professoral ne s’est développé qu’à partir de 1983, alors que les personnes tutrices, présentes dès le début, ont continué à y assumer une importante charge d’enseignement. Ce rôle d’enseignant vient d’ailleurs d’être souligné par les syndicats de chargés de cours des universités québécoises qui reconnaissent dans les personnes tutrices des enseignants d’expérience [i]. Mais on remarquera aussi que pour le directeur général, « ce sont les professeurs qui conçoivent les cours, les révisent et en sont responsables. » Voilà une bien étrange représentation de l’enseignement d’où est absente l’interaction, si essentielle quand l’étudiant éprouve des difficultés et que sa réussite est en jeu, ou tout simplement quand le cours, devenu désuet, nécessite quelques réajustements avant d’être enfin révisé. À cet égard, bien plus que l’adaptation aux besoins de la mythique société 4.0, cette vision de l’université rappelle la séparation entre le professeur et l’étudiant dans l’espace et dans le temps, issue de l’enseignement par correspondance et érigée ici en principe. On est loin du 4.0, et même du 2.0.
L’importance d’un changement à la Télé-université n’est cependant plus à démontrer. En effet, selon les dernières estimations, le taux de réussite à la Téluq tourne autour de 25 %. Qui plus est, elle a perdu à partir de 2010 sa position de leader au profit de l’Université Laval qui représente maintenant 58 % du marché de la formation à distance universitaire, contre 33 % à la Téluq [ii].
Mais non ! Déni, fuite en avant, dissimulation, absolutisme. Ces travers de l’Université TÉLUQ font en sorte qu’elle est maintenant contredite par ses propres enseignements, qu’il s’agisse de la gestion des ressources humaines, du droit du travail, des relations de travail, de la stratégie d’entreprise, ou bien sûr de l’éthique [iii]. Peut-être lui faut-il, à son tour, retourner sur les bancs d’école pour réapprendre qu’avant de se précipiter sur des recettes magiques il faut prendre la mesure de ce qui doit être changé. Elle découvrirait sans doute ainsi que les succès de l’Université Laval ne résident pas tant dans la taille de son corps professoral que dans l’option qu’elle a prise il y a quelques années de développer une offre de formation hybride basée sur un éventail de formules basées sur l’alternance entre des études à domicile et sur campus, permettant aux étudiants de choisir le mode d’interaction avec les professeurs qui leur convient le mieux. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que l’UQAM ait elle aussi récemment choisi de lancer un projet pilote de trois ans portant sur une formation en mode présentiel enrichi, hybride, bimodal et à distance. Il s’agit là d’une approche à laquelle se refuse l’Université TÉLUQ, toute persuadée qu’elle est de la supériorité de son modèle basé sur une banque de cours numériques si bien conçus qu’ils ne nécessitent qu’une assistance minimale.
Changer, oui, bien sûr. Mais la condition première d’un changement réussi, surtout quand il est radical, est la communication transparente de ses objectifs et moyens, accompagnée d’une négociation. Au lieu de quoi, outre les cachotteries et l’envoi aux personnes tutrices d’un ultimatum les sommant d’accepter les nouvelles règles du jeu, le message qui leur est adressé et dont témoigne la lettre du directeur général, est qu’elles sont en quelque sorte du personnel jetable, maintenant qu’elles sont remplacées par des professeurs sous contrat. Des professeurs, d’ailleurs, qui n’en sont pas vraiment, et qui sont eux aussi jetables, comme le démontre le professeur de l’UQAM Ricardo Peñafiel [iv).
Décidément, ce changement, dont on ne sait à quels besoins il prétend répondre, est bien mal parti et j’y vois un terrible faux pas de la part de cette Université TÉLUQ si pressée de retrouver sa gloire passée. Elle joue son va-tout, indifférente aux dommages collatéraux qu’elle inflige. Mais je commence à craindre que cette arrogance ne lui soit, à elle aussi, fatale.
Patrick Guillemet
Retraité de la Télé-université et auteur de l’ouvrage : « Former à distance. La Télé-université et l’accès à l’enseignement supérieur 1972-2006 », Presses de l’Université du Québec, 2007.
[i] Déclaration
commune des syndicats de chargé-es de cours, Journal Métro, 13 et 15 mars
2018.
[ii] Portrait des
inscriptions à des cours en formation à distance (secondaire, collégial et
universitaire) au Québec depuis 1995-1996, Clifad, juin 2017.
[iii] Notamment les cours ADM 1015,
RIN
2015, DRT 1080,
RIN
1008, RIN 1012,
RIN
1022, ADM 4007,
ADM 4010
et ADM
3010
[iv] Conflit
de travail à la TÉLUQ. Prélude de e-campus ?, À Bâbord, No 74, avril/mai 2018.
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