Giorgio Morandi, Natura morta, 1948-49 |
Le fait que le
tutorat à distance soit une aide à l’apprenant, plus exactement un ensemble d’interventions
destinées à l'aider à réaliser les activités d’apprentissage, provoque
fréquemment une augmentation des exigences des apprenants vis-à-vis des tuteurs
à distance, en tour les cas, des demandes bien supérieures à celles que
demandent des apprenants en présentiel à leurs formateurs. Ceci est tout à fait
naturel dans la mesure où la mise à distance de la formation change les repères
auxquels sont familiers les apprenants. Un de ces changements importants est le
transfert de charge de l’institution et des formateurs vers les apprenants de la gestion de l’apprentissage
(cf. Aider les apprenants à planifier leur apprentissage). Ceci est
très souvent mal compris par les apprenants qui ont bien du mal à dégager le
temps nécessaire à leur apprentissage à distance. Il est vrai, que leurs
institutions d’appartenance ont également des difficultés à intégrer le fait
que la FOAD, pas plus que la formation présentielle, ne peut être réalisée en
temps caché. Dès lors, il appartient aux apprenants de rendre visibles, pour
eux-mêmes mais également pour leur contexte professionnel, voire familial, les
exigences spatio-temporelles de leur apprentissage. Pour ce faire, ils peuvent
obtenir de l’aide de leurs tuteurs mais c’est bien à eux qu’appartient la
responsabilité de mener ces actions.
Ces éléments, mais
aussi une mauvaise appréciation, par les apprenants, des efforts à consentir
pour apprendre ; le fait que la formation à distance soit souvent
présentée comme plus ludique d’où la traduction hâtive qu’elle demande moins d’engagement ;
l’aménagement d’une relation de confiance avec le tuteur générant une proximité
souvent inconnue en présentiel ; l’absence de reconnaissance explicite du
statut de tuteur considéré alors comme un « sous formateur » ;
la posture du tuteur qui n’est plus seulement un sachant mais d’abord un
facilitateur… tous ces éléments contribuent à une appréciation erronée, chez
certains apprenants, de leurs devoirs envers leurs tuteurs.
Au gré de nombreuses
missions de tutorat dans des dispositifs très variés et d'échanges avec d'autres tuteurs, j’ai pu observer que la
désacralisation du sachant pouvait conduire certains apprenants à l’absence de
considération des tuteurs, à une remise en cause de leur légitimité, à une
contestation de leur exercice du pouvoir lié à leur liberté pédagogique. Sur ce
plan, les devoirs d’un apprenant à distance ne sont pas très différents de ceux
qu’ils ont en situation présentielle. En particulier, le fait que le tuteur
investisse une posture « à côté » de l’apprenant, qu’il descende de l’estrade,
ne devrait pas amener les apprenants à l’irrespect parfois constaté. A noter
également que la proximité souhaitable entre un tuteur et un apprenant ne
devrait pas non plus amener ce dernier à moins bien considérer le tuteur, à ne
plus lui manifester les signes de bienséance, de courtoisie qui sont tout
autant essentiels, voire plus, à distance qu’en présentiel.
L’établissement de
la relation de confiance entre un tuteur et un apprenant ne dépend jamais
uniquement du tuteur. Comme toute relation, elle nécessite l’engagement des individus
concernés. Le fait que le tutorat soit une relation d’aide, impose certes au
tuteur de manifester sa disposition et sa disponibilité à entrer dans une
relation socio-affective et motivationnelle avec l’apprenant mais c’est bien à
l’apprenant de se saisir de cette possibilité. En ce sens, il ne peut y avoir d’exigence
de résultats envers les tuteurs mais seulement une exigence de mise en place de
moyens (dimensionnés par l’institution) permettant aux apprenants de s’engager
à leur tour. L’émergence de la confiance est toujours le résultat d’une
construction progressive où, comme en amour, les preuves comptent plus que les déclarations.
Au-delà de ces
quelques constats, il semble bien que la formation à distance, provoque chez
certains apprenants, des attitudes consuméristes peu adaptées à l’apprentissage
et à la construction de connaissances. Tel étudiant, ayant fait la démarche de
s’inscrire à une formation universitaire, manifestera des exigences envers ses
tuteurs qui sont davantage celles de la formation professionnelle : moins
de théorie, plus de pratique, la mise à disposition de méthodes voire de
recettes, un accompagnement relevant davantage de la prestation de consulting
que d’un parcours universitaire. Si les cursus professionnalisant offerts par
les universités, en particulier les masters, tendent à amener ces organisations
à une meilleure prise en compte des réalités de terrain, ce processus ne pourra
jamais s’effectuer au détriment des exigences propres à l’université : prise
de recul théorique, négociation du sens, efforts d’apprentissage visant l’excellence
et non pas le juste ce qui faut au moment où il le faut… La recherche de la reconnaissance
universitaire par les individus s’inscrivant à des masters a un coût cognitif
auquel ceux-ci doivent se préparer et être aider à l’aborder (cf. Comment les tuteurs peuvent aider les apprenants à distance à faire face à leurs conflits cognitifs).
Une université tout comme une école ne sera jamais réductible à un centre de
formation. Le fait que ces organisations aient beaucoup à retirer des pratiques
de formation professionnelle ne peut les réduire à être un centre de formation
comme un autre.
Au cœur de cela, réside
la liberté pédagogique des enseignants, qui est celle également des
enseignants-tuteurs ou des tuteurs. C’est certainement un des biens les plus
précieux de l’université. L’absence d’évaluation des activités de ces
personnels est malheursement souvent une traduction bien erronée de cette
liberté. Il n’en reste pas moins que l’activité universitaire ne peut être
seulement une réponse à une demande mais qu’elle se présente toujours comme une
offre auxquels les étudiants ont à souscrire.
En centre de formation,
l’attitude consumériste est en quelque sorte la règle de départ, j’achète une
formation pour développer telle ou telle compétence, pour accèder à tel ou tel
savoir. Par ailleurs, les ambitions d’un centre de formation ne sont jamais
identiques aux missions d’une université. Elles consistent principalement en la
mise en œuvre des moyens permettant aux apprenants d’atteindre des objectifs
identifiés et en nombre restreint. Dès lors, les apprenants à distance peuvent
être en droit d’exiger certaines attitudes de leurs tuteurs. Il n’en reste pas
moins que ces exigences ne pourront être réellement prises en compte qu’à
partir du moment où les apprenants s’acquittent également de leurs devoirs dont
le premier est bien de réaliser leurs activités d’apprentissage.
La FOAD présente le
grand intérêt de rebattre les cartes de la formation présentielle et de
rééquilibrer la relation pédagogique en faveur des apprenants. Ceci ne doit pas
faire oublier à ces derniers, qu’ils ont également des devoirs envers leurs
tuteurs. Il serait certainement intéressant de confronter les représentations
que les apprenants et les tuteurs mais aussi les insitutions ont des devoirs
des apprenants. Dans l’attente d’une recherche à mener sur cette thématique,
vos commentaires pourraient donner quelques indications.
Au plaisir d’échanger…
2 commentaires:
Bonjour Jacques,
Il me semble que certaines techniques tutorales en début de formation peuvent remédier à quelques travers dans l'attitude de certains apprenants à distance que tu évoques dans ton billet. Par exemple :
- sur l'engagement : faire verbaliser par l'apprenant les apprentissages qu'il souhaite acquérir ;
- sur la dispo : lui fournir une feuille de route précisant les échéances de production ;
- sur le comportement : une netiquette négociée (qui a valeur de contrat) à laquelle chacun peut se référer à tout moment).
Je pense comme toi que lorsqu'au début, un cadre clair est posé qui permet à l'apprenant de se représenter ce qu'il va acquérir, et le cadre dans lequel ces acquisitions se construiront le plus efficacement possible, l'apprenant aura plus naturellement recours à son tuteur dans la relation d'aide et d'accompagnement et n'attendra pas de lui qu'il prenne en charge ce qui relève de lui-même (donner du sens à la formation) ou de l'institution (les moyens, le contenu de la formation).
Amicalement,
Anna Vetter
Merci Anna pour cette contribution qui montre que la contractualisation est au coeur de la démarche tutorale.
Ceci suppose que, d'une part, l'institution aménage de réelles marges de manoeuvre aux tuteurs permettant justement de mener à bien la contractualisation et d'autre part, que l'apprenant ait aussi une certaine liberté de contractualisation laissée par sa hiérarchie.
Bref que la le commanditaire comme l'institution de formation aménagent le cadre de la contractualisation entre tuteur et apprenant.
Amicalement,
Jacques
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