lundi 18 septembre 2017

Rôle et compétences du community manager : le cas d’un MOOC chez EDF SA


Comme je l'ai souvent rappelé, le Blog de t@d se veut être un espace de mutualisation des expériences tutorales. C'est donc avec plaisir que je vous incite à lire l'entretien qu'Olivier Supiot et Eric Chevalier ont eu ensemble sur l'accompagnement des participants d'un mooc proposé par EDF.

J'espère qu'il encouragera certains d'entre vous à oser passer à l'écriture ;-)

Jacques Rodet



Interview réalisée le 25 avril 2017
Témoin : Eric Chevalier
Interviewer : Olivier Supiot



Olivier Supiot : Dans un premier temps Éric je te propose de répondre à la question : quel était le projet et qu’est-ce qui t’a amené à y contribuer ?

Eric Chevalier : c’est une sollicitation du comité de pilotage du MOOC : « Marchés de l’électricité : fonctionnement, acteurs et enjeux ». Celui-ci regroupe à la fois le chef de projet stratégique de la DRH, le chef de projet opérationnel (Pôle formation et Campus Groupe) les représentants des académies métiers SI et Finances, l’expertise R&D (en charge du contenu) et les experts e-campus. Ce comité a souhaité qu’un community manager soit associé à la réalisation, sur conseil du prestataire (Symétrix) chargé de la réalisation technique du MOOC.

O.S. Comment cette demande t’est parvenue, alors que ta mission est justement d’animer des grands groupes lors d’évènements ?

E.C. La demande est passée par le chef de projet opérationnel du Pôle Formation & Campus Groupe qui s’est tourné vers le réseau AIDE (Animation et Ingénierie D’Evénements) pour solliciter la compétence d’un community manager. C’est une mission que le réseau n’a jamais eu en charge auparavant. Mais avec le responsable de réseau nous nous sommes posé la question : est-ce que c’est notre métier ? Nous nous sommes dit que la compétence d’animateur grand groupe présentiel pouvait être utilement complétée par une compétence d’animation grand groupe à distance. De mon point de vue, les compétences de facilitation, d’animation, de régulation (maintien de la motivation notamment), étaient de même nature et pouvaient être utilement traduites dans l’animation d’une communauté apprenante d’un MOOC.

C’est l’effet grand groupe qui a fait que nous avons choisi d’accepter le rôle de facilitateur et de régulateur au sens du maintien de la motivation de la communauté. Ce rôle est absolument nécessaire pour faire vivre un MOOC. La seule différence c’est qu’il fallait que ce que nous faisions en présentiel soit traduit à l’écrit et en asynchrone.

O.S. Donc là on sent bien que ton accroche se réfère à tes compétences maîtrisées en animation de grands groupes et aussi ton intérêt d’expérimenter le transfert de tes compétences dans la situation à distance : tu voulais donc explorer quelque chose de nouveau. Quels sont les éléments qui ont nourri ta décision ?

E.C. J’avais vraiment envie d’y aller, j’avais de la disponibilité. Et ce qui m’a fait accepter aussi c’était le fond de la thématique parce que ça concernait le fonctionnement des marchés de l’électricité que j’abordais régulièrement dans mes animations présentielles en grand groupe avec les apports d’experts internes et externes (Délégué Régional EDF et Economiste). J’avais donc une connaissance du contenu et mes compétences d’animation que je pouvais utiliser en tant que community manager. De plus j’avais déjà travaillé avec l’expert Recherche et Développement que j’allais retrouver au sein du MOOC.

O.S. Alors en plus de l’envie d’y aller, c’est ta connaissance du domaine qui a été déterminante dans ton choix ?

E.C. Oui car je pensais que ce serait assez difficile d’être community manager sur un domaine où on n’a pas d’appétence ou de connaissances sans toutefois être spécialiste du fond. Avoir une connaissance « a minima » du domaine d’apprentissage permet d’être pertinent dans les formes de communication, dans la formulation des relances, dans l’animation des forums en complément de l’expert. Cela rejoint la mission tutorale qui exige à la fois d’avoir une connaissance des contenus et de la pédagogie de l’animation.

O.S. Tu as raison dans un certain sens parce qu’on s’aperçoit des limites d’un community manager « homme orchestre ». Il y a justement une autre approche qui consiste à examiner les parts de compétences, de leur répartition sur plusieurs personnes de manière à ce que chacune reste pertinente dans son apport ou dans l’accompagnement.

E.C. Oui, un tuteur ou un community manager à fortiori n’est pas forcément détenteur de tous les savoirs et de la connaissance, il a aussi le rôle d’orientation des apprenants vers les bonnes ressources pour résoudre un problème et leur permettent d’avancer dans leurs apprentissages.

O.S. Et dans ce rôle que tu décris, celui de l’homme-orchestre, est-ce que tu as eu des sollicitations à la fois sur le fond, la connaissance, sur le plan technique et organisationnel des cours ?

E.C. Oui, alors là on rentre dans le concret c’est à dire le questionnement des apprenants qui ont alimenté le Forum.

Les questions ont été au démarrage centrées sur les difficultés de connexion, sur les aspects techniques du MOOC. Pour ces premières réactions, au-delà de la réponse concrète il m’a paru très important de remercier à chaque fois l’émetteur de la question pour le signalement du problème rencontré parce que cela permettait d’alerter la communauté sur des aspects récurrents et alimentait la démarche d’amélioration continue du MOOC. L’information était systématiquement relayée aux spécialistes e-campus ou au prestataire le cas échéant, ceci en coordination permanente avec le Chef de projet opérationnel.

Pour les questions sur le contenu celles-ci ont été traitées soit directement par d’autres participants en réponse et par l’expert Recherche et Développement en complément. Là aussi mon rôle a été de valoriser la production des participants en les remerciant pour celles-ci.

Ce qui a été très important pour jouer pleinement mon rôle c’est d’avoir été associé dès le départ au sein du Comité de pilotage du MOOC et dans l’équipe projet sur la construction du MOOC et des éléments de communication. J’ai toujours eu les éléments d’information et la possibilité de donner mon avis dès lors que je me sentais légitime pour le donner.

O.S. A quel moment t’es-tu senti le plus en capacité de répondre aux attentes ?

E.C. Au quotidien c’était quand les apprenants me sollicitaient et que j’ai pu contribuer à résoudre ou aider à résoudre leurs problèmes. Les apprenants étaient contents, j’ai eu des remerciements et c’était valorisant parce que ça veut dire que j’ai été utile soit dans l’accès au MOOC, soit dans l’apprentissage.

O.S. Si tu avais à choisir la médiation avec un apprenant qui serait un élément typique de l’incarnation du rôle de community manager...

E.C. Un moment où j'ai vraiment pris conscience de l’importance de donner du rythme pour le community manager. C’était la question des relances parce que certains apprenants étaient en attente de ces relances pour réaliser les activités. Il s’agissait de rappeler « la semaine dernière voilà ce qui s’est passé » « voilà les contributions importantes de vos collègues » « vous pouvez encore réaliser ces activités » et d’indiquer « voici les activités de cette semaine », « participez aux débats, échangez sur le forum ».

Il y a des apprenants qui disaient que lorsqu’ils recevaient le mail de relance cela les poussait à réaliser les activités et c’est là où je me suis senti le plus utile dans ce rôle de proximité. Et aussi dans la valorisation de ce qui était fait ou ce qui était apporté sur le forum auprès de l’ensemble de la communauté en disant « allez-y, aller voir ». Puis ça a été de prendre conscience, parce que je le sentais mais je n’avais pas de preuves tangibles, que de donner un rythme au MOOC semaine après semaine, c’est là où le community manager a le plus d’effet. Sur l’animation du forum la fonction était partagée entre l’expert et moi à tel point que sur le prochain monde prochain MOOC qui va commencer en mai 2017 je suis attendu sur un renforcement de l’animation du forum.

O.S. Qu’est-ce qui va changer pour toi ?

E.C. C’est peut-être la partie la plus difficile pour moi… Autant lancer les activités, relancer avec bienveillance, pousser et valoriser la contribution de chacun est plutôt une chose acquise pour moi. Autant sur l’aspect communautaire : créer les conditions pour faciliter et favoriser les échanges entre participants en intervenant directement sur le forum (au-delà de la réponse aux questions posées) c’est moins facile et je me sens moins « outillé ». Je pense toutefois qu'un objet de travail en commun pour les participants, à travers un exercice collaboratif, favoriserait grandement les échanges et me faciliterait la tâche.

O.S. Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose les points clés ou peut-être donner un conseil aux autres professionnels ?

E.C. Oui un conseil : c’est la disponibilité nécessaire à l’activité de community manager pour être attentif et réactif : il faut organiser son activité pour être disponible une à 3 fois par jour. Cela peut être le matin l’après-midi ou le soir. Attention et réaction, cela ne prend pas énormément de temps (environ 1.5 à 2 jours par semaine) mais cela demande de la disponibilité quotidienne.

Pour organiser cette disponibilité, j’ai établi un planning d’activité hebdomadaire. J’ai aussi bénéficié d’un accompagnement téléphonique par le prestataire Symetrix avec un point une fois par semaine avec un community manager expérimenté. J’ai eu beaucoup de conseils pour mener à bien mes activités. Finalement, j’ai eu moi aussi un tuteur pour réaliser ma mission, m’accompagner me faire progresser dans mon apprentissage !

En conclusion la fonction de community manager et d’accompagnement expert peut-être légitimée en regardant les résultats en terme de certificat d’assiduité :
  • Sur le MOOC en libre-service sans accompagnement le taux de certification est de 4, 5%.
  • Sur le MOOC « accompagné » de mai 2016 le taux de certification a été de 80%.
C’est sans appel !!!

O.S. Avec cette expérience, Eric, à quel moment le tutorat te paraît le plus utile ?

E.C. Pour toute les formations où l’enjeu d’apprentissage et de développement des compétences est important pour l’entreprise et ce qu'elles que soient les modalités pédagogiques employées (distanciel, présentiel, blended-learning).

En conclusion

Ce témoignage fait ressortir des éléments structurant d’une ingénierie du tutorat, qui plus qu’un confort pédagogique, revêt les attributs d’un plan stratégique. Orientée en fonction d’une analyse de risque, l’ingénierie tutorale est à concevoir autour des multiples enjeux qui en déterminent la complexité.

Ce sont à la fois des enjeux de professionnalisation, de motivation des parties prenantes et des enjeux de cohérence du retour sur investissements mesurable aux plans pédagogique, professionnel, et économique.
  • Pour le chef de projet : avoir envie de tenir cette fonction tutorale, disposer d’une expérience et de compétences transférables, se sentir utile par des relances « incarnées » appréciés des apprenants, et avoir une mission contributive à la performance collective.
  • Pour les gestionnaires formation bénéficier d'un enrichissement de la tâche par une ouverture sur le sens des actes techniques abstraits voire répétitifs : inscription, logistique ont un rôle essentiel de soutien et de présence pendant l'accompagnement.
  • Pour les gestionnaires de plate-forme LMS, il s’agit de mettre en place un relais automatisé de relance, pour limiter le sentiment de solitude des apprenants, et assurer le traitement des blocages techniques.
Enfin, sur l'évaluation, l'accompagnement permet pendant le cursus de mieux assurer l’acquisition d’un niveau 2 de Kirkpatrick, à son issue avec la complétion des parcours, d'augmenter la probabilité des effets aux niveaux 3 et 4.

Tout indique dans ce témoignage que l’accompagnement tutoral, réfléchi, accepté et agi par toutes les parties prenantes, participe au renforcement des apprentissages et favorise leur mise en œuvre effective, transformant l’investissement par un retour positif et multiple, aux plans humains, techniques et opérationnels.



Eric Chevalier, âgé de 56 ans, titulaire d'un DUT de Gestion, est entré à Edf en 1984 à EDF pour effectuer du contrôle de gestion dans un service administratif,

Après 7 ans d'activités opérationnelles dont 4 de management de proximité en relation clientèle, Eric s'est tourné vers la Formation Professionnelle ou il a évolué comme Formateur, Consultant, Chef de Projet en Formation et enfin Animateur de Grand Groupe.

Passionné par l'animation de groupes en formation, Eric a notamment mis ses compétences au service de plusieurs dispositifs d'Intégration Stratégique d'envergure régionale ou nationale auprès des populations de nouveaux arrivants ou de managers nouvellement promus.

C'est dans cette continuité qu'il a accepté le rôle de Community Manager pour le MOOC « Marché de l'électricité : fonctionnement, acteurs et enjeux ».

Son témoignage a pour but de partager une expérience vécue et de contribuer ainsi à la connaissance du rôle de « Community Manager en formation » par la communauté des formateurs et des tuteurs.



Recruté en 1981, Olivier Supiot a été formé aux métiers de la distribution en école de métiers EDF. Il a exercé successivement les métiers de technicien, de chargé d’affaires gaz et électricité, de formateur, concepteur, consultant en management et organisation et enfin chef de projet de formation.

Animé par l’appétit d’apprendre et d’enseigner, il est diplômé de l’enseignement supérieur en sciences de l’éducation. Il est chargé d’enseignement en Master 2 pro CDVA à Lille3 depuis 17 ans, sur la thématique de l’Alternance.

A la faveur d’une mission de chargé d’innovation depuis 2015, au Pôle Formation et Campus Groupe, il organise des conférences-débat et ateliers-challenge dans le but de transmettre, aux chefs de projet, les connaissances scientifiques et faciliter leur transformation effective dans la structuration des projets de formation.

C’est dans cette perspective qu’il a interviewé Eric Chevalier pour valoriser la fonction tutorale parce qu’il a la conviction que la professionnalisation de demain ne bénéficiera de la digitalisation pour autant qu’elle soit humanisée.