samedi 24 novembre 2012

De l’engagement des apprenants à distance dans la relation tutorale. Par Jacques Rodet

Giorgio Morandi, Natura morta, 1948-49
Le fait que le tutorat à distance soit une aide à l’apprenant, plus exactement un ensemble d’interventions destinées à l'aider à réaliser les activités d’apprentissage, provoque fréquemment une augmentation des exigences des apprenants vis-à-vis des tuteurs à distance, en tour les cas, des demandes bien supérieures à celles que demandent des apprenants en présentiel à leurs formateurs. Ceci est tout à fait naturel dans la mesure où la mise à distance de la formation change les repères auxquels sont familiers les apprenants. Un de ces changements importants est le transfert de charge de l’institution et des formateurs vers  les apprenants de la gestion de l’apprentissage (cf. Aider les apprenants à planifier leur apprentissage). Ceci est très souvent mal compris par les apprenants qui ont bien du mal à dégager le temps nécessaire à leur apprentissage à distance. Il est vrai, que leurs institutions d’appartenance ont également des difficultés à intégrer le fait que la FOAD, pas plus que la formation présentielle, ne peut être réalisée en temps caché. Dès lors, il appartient aux apprenants de rendre visibles, pour eux-mêmes mais également pour leur contexte professionnel, voire familial, les exigences spatio-temporelles de leur apprentissage. Pour ce faire, ils peuvent obtenir de l’aide de leurs tuteurs mais c’est bien à eux qu’appartient la responsabilité de mener ces actions.

Ces éléments, mais aussi une mauvaise appréciation, par les apprenants, des efforts à consentir pour apprendre ; le fait que la formation à distance soit souvent présentée comme plus ludique d’où la traduction hâtive qu’elle demande moins d’engagement ; l’aménagement d’une relation de confiance avec le tuteur générant une proximité souvent inconnue en présentiel ; l’absence de reconnaissance explicite du statut de tuteur considéré alors comme un « sous formateur » ; la posture du tuteur qui n’est plus seulement un sachant mais d’abord un facilitateur… tous ces éléments contribuent à une appréciation erronée, chez certains apprenants, de leurs devoirs envers leurs tuteurs.

Au gré de nombreuses missions de tutorat dans des dispositifs très variés et d'échanges avec d'autres tuteurs, j’ai pu observer que la désacralisation du sachant pouvait conduire certains apprenants à l’absence de considération des tuteurs, à une remise en cause de leur légitimité, à une contestation de leur exercice du pouvoir lié à leur liberté pédagogique. Sur ce plan, les devoirs d’un apprenant à distance ne sont pas très différents de ceux qu’ils ont en situation présentielle. En particulier, le fait que le tuteur investisse une posture « à côté » de l’apprenant, qu’il descende de l’estrade, ne devrait pas amener les apprenants à l’irrespect parfois constaté. A noter également que la proximité souhaitable entre un tuteur et un apprenant ne devrait pas non plus amener ce dernier à moins bien considérer le tuteur, à ne plus lui manifester les signes de bienséance, de courtoisie qui sont tout autant essentiels, voire plus, à distance qu’en présentiel. 

L’établissement de la relation de confiance entre un tuteur et un apprenant ne dépend jamais uniquement du tuteur. Comme toute relation, elle nécessite l’engagement des individus concernés. Le fait que le tutorat soit une relation d’aide, impose certes au tuteur de manifester sa disposition et sa disponibilité à entrer dans une relation socio-affective et motivationnelle avec l’apprenant mais c’est bien à l’apprenant de se saisir de cette possibilité. En ce sens, il ne peut y avoir d’exigence de résultats envers les tuteurs mais seulement une exigence de mise en place de moyens (dimensionnés par l’institution) permettant aux apprenants de s’engager à leur tour. L’émergence de la confiance est toujours le résultat d’une construction progressive où, comme en amour, les preuves comptent plus que les déclarations.

Au-delà de ces quelques constats, il semble bien que la formation à distance, provoque chez certains apprenants, des attitudes consuméristes peu adaptées à l’apprentissage et à la construction de connaissances. Tel étudiant, ayant fait la démarche de s’inscrire à une formation universitaire, manifestera des exigences envers ses tuteurs qui sont davantage celles de la formation professionnelle : moins de théorie, plus de pratique, la mise à disposition de méthodes voire de recettes, un accompagnement relevant davantage de la prestation de consulting que d’un parcours universitaire. Si les cursus professionnalisant offerts par les universités, en particulier les masters, tendent à amener ces organisations à une meilleure prise en compte des réalités de terrain, ce processus ne pourra jamais s’effectuer au détriment des exigences propres à l’université : prise de recul théorique, négociation du sens, efforts d’apprentissage visant l’excellence et non pas le juste ce qui faut au moment où il le faut… La recherche de la reconnaissance universitaire par les individus s’inscrivant à des masters a un coût cognitif auquel ceux-ci doivent se préparer et être aider à l’aborder (cf. Comment les tuteurs peuvent aider les apprenants à distance à faire face à leurs conflits cognitifs). Une université tout comme une école ne sera jamais réductible à un centre de formation. Le fait que ces organisations aient beaucoup à retirer des pratiques de formation professionnelle ne peut les réduire à être un centre de formation comme un autre. 

Au cœur de cela, réside la liberté pédagogique des enseignants, qui est celle également des enseignants-tuteurs ou des tuteurs. C’est certainement un des biens les plus précieux de l’université. L’absence d’évaluation des activités de ces personnels est malheursement souvent une traduction bien erronée de cette liberté. Il n’en reste pas moins que l’activité universitaire ne peut être seulement une réponse à une demande mais qu’elle se présente toujours comme une offre auxquels les étudiants ont à souscrire.

En centre de formation, l’attitude consumériste est en quelque sorte la règle de départ, j’achète une formation pour développer telle ou telle compétence, pour accèder à tel ou tel savoir. Par ailleurs, les ambitions d’un centre de formation ne sont jamais identiques aux missions d’une université. Elles consistent principalement en la mise en œuvre des moyens permettant aux apprenants d’atteindre des objectifs identifiés et en nombre restreint. Dès lors, les apprenants à distance peuvent être en droit d’exiger certaines attitudes de leurs tuteurs. Il n’en reste pas moins que ces exigences ne pourront être réellement prises en compte qu’à partir du moment où les apprenants s’acquittent également de leurs devoirs dont le premier est bien de réaliser leurs activités d’apprentissage. 

La FOAD présente le grand intérêt de rebattre les cartes de la formation présentielle et de rééquilibrer la relation pédagogique en faveur des apprenants. Ceci ne doit pas faire oublier à ces derniers, qu’ils ont également des devoirs envers leurs tuteurs. Il serait certainement intéressant de confronter les représentations que les apprenants et les tuteurs mais aussi les insitutions ont des devoirs des apprenants. Dans l’attente d’une recherche à mener sur cette thématique, vos commentaires pourraient donner quelques indications.

Au plaisir d’échanger…

vendredi 16 novembre 2012

L'activité de t@d sur Linkedin

Depuis six semaines, t@d est présent sur Linkedin à travers un groupe. Un peu plus de 150 personnes y sont inscrites. Ce ne sont pas moins de 26 discussions qui ont démarré depuis le lancement. Les sujets traités sont variés et n'attendent que votre participation. En voici la liste des intitulés :

1.En complément de l'article de Thot sur les styles d'apprentissage : Le tuteur à distance doit-il connaître les profils cognitifs des apprenants ?
2.Comment analyser les interventions tutorales ?
3.Tuteur à distance : Métier ? Reconnaissance statutaire ? Fonctions ?
4.Connaissez-vous tut' la formation au tutorat à distance et à son ingénierie en classes virtuelles
5.Certificat en Tutorat à distance
6.Début 2008, un conflit social opposait les tuteurs de la Téluq à leur direction
7.En savoir plus sur les plans de support à investir par les tuteurs à distance
8.Quelles compétences pour les tuteurs à distance ?
9.Outil méthodologique de l'UTC
10.Découvrez comment concevoir les services tutoraux d'une FOAD
11.Découvrez quelles sont les interventions des tuteurs à distance
12.Université : le LMD en quête de tuteurs
13.Découvrez comment participer aux différentes activités de t@d
14.Découvrez la revue Tutorales
15.Exemple de formation de formateurs au tutorat à distance
16.Base documentaire scientifique de t@d
17.Rémunération des tuteurs à distance
18.Explorez les ressources rassemblées dans les 9 dossiers thématiques de t@d
19.Quand Malraux, soutenant Chaban-Delmas proposait de "...redonner au corps enseignant sa fonction la plus noble : aider ceux qui ont besoin d'être aidés"
20.Le REFAD propose deux ateliers en lien avec le tutorat à distance
21.D'autres représentations du tuteur à distance par un groupe d'étudiants en master
22.Quelques représentations de leurs fonctions par de futurs tuteurs à distance accompagnant des groupes dont le but est de concevoir et produire des FOAD
23.Comment les tuteurs peuvent aider les apprenants à distance à faire face à leurs conflits cognitifs.
24.Espaces de t@d
25.iLearning Forum 2013 aura lieu les 12 et 13 février. Le tutorat en ligne est annoncé parmi les thèmes des conférences
26.Conception et quantification des interventions tutorales
 
Pour participer au groupe, il suffit d'être inscrit à Linkedin et de le demander. L'adresse du groupe est http://www.linkedin.com/groups?gid=4655850&trk=hb_side_g

jeudi 4 octobre 2012

Comment les tuteurs peuvent aider les apprenants à distance à faire face à leurs conflits cognitifs. Par Jacques Rodet

Dans une approche constructiviste de la formation dont se réclament de nombreux dispositifs de formation à distance ou hybride, un des principes mis en œuvre est l’exposition des apprenants à des conflits cognitifs. Quel peut-être le rôle du tuteur à distance pour aider les apprenants à vivre et à surmonter ces conflits cognitifs, tel est le propos de ce billet.


Principes du constructivisme

Le constructivisme est lié au concept de viabilité. L’individu, et lui-seul, peut estimer ses connaissances viables, c’est-à-dire lui permettant de faire face aux différentes situations qu’il vit. Lorsqu’il est dans l’incapacité de résoudre une difficulté, c’est parce que l’ensemble des connaissances qu’il a construit au cours de ses différentes expériences de vie, dont l’apprentissage, se révèlent non viables. Dans l’entretien que j’ai eu, il y a quelques années, avec André-Jacques Deschênes, celui-ci donne un exemple qui permet de mieux saisir le concept de viabilité : « à chaque fois que je regarde par la fenêtre de mon bureau, je construis ma vision (mon expérience) de cette partie du monde qui est visible de cette fenêtre. Cette partie du monde est différente à chaque moment où je la regarde car un ou plusieurs éléments ont changé depuis la dernière fois que j'ai regardé par la fenêtre. De manière générale, cette construction ne produit pas de nouveaux apprentissages. J'arrive à interpréter ce que je vois à partir de mes expériences passées, autant celles de regarder par cette fenêtre que mes autres expériences du monde et bien qu'à chaque fois, des éléments changent, il m'est toujours possible de considérer cette expérience comme satisfaisante parce que tout ce que j'observe est conforme à ce que j'ai expérimenté dans le passé et à ce que je peux présumer expérimenter dans ces conditions. Si par ailleurs, je voyais un lion par ma fenêtre… il me faudrait construire quelque chose d'autre pour interpréter cette expérience… souvent, on explique l'apprentissage d'un point de vue constructiviste par un conflit cognitif que je dois résoudre. Dans mon cas, c'est de voir un lion par la fenêtre de mon bureau, dans la neige au Québec en février… selon mes expériences passées, ce n'est pas possible. Je dois alors construire quelque chose de neuf. Cette construction va se réaliser soit essentiellement avec des expériences passées (en les accumulant différemment) ou en combinant ces dernières avec des éléments nouveaux (nouvelles expériences) que je tire de l'environnement… » 

En situation d’apprentissage et plus particulièrement dans le contexte de la relation tutorale, les principes importants du constructivisme à investir sont les suivants : « i) le développement de perspectives multiples qui consiste à traiter une information en adoptant des angles différents pour en découvrir les diverses composantes, ii) la négociation qui représente un ajustement des connaissances par la prise en compte du point de vue des autres membres de la communauté des praticiens et des experts dans un domaine, iii) la contextualisation qui renvoie à une manipulation des connaissances dans une situation authentique, iv) la collaboration qui consiste en une interaction de l’apprenant avec les pairs fondée sur la complémentarité des compétences de chacun. » (cf. Description d'un système d'encadrement par les pairs et de la formation des pairs anciens)

Les occasions de conflits cognitifs liées aux principes du constructivisme 

Le développement de perspectives multiples en situation d’apprentissage demande de mettre à disposition des apprenants une pluralité de discours sur l’objet d’apprentissage. L’enseignement ne se limite donc pas à la production et la diffusion du seul discours de l’enseignant mais demande une mise à disposition de plusieurs discours qui peuvent être en tension les uns avec les autres. L’enseignement n’est plus la transmission d’une bonne parole mais l’exposition des apprenants à des visions différentes portées sur l’objet d’apprentissage. 

L’apprenant qui rencontre cette situation d’enseignement pour la première fois ressent fréquemment du trouble, peut être déstabilisé, habitué qu’il a été lors de ses expériences de formation précédentes à recevoir ce qu’il faut savoir. L’approche constructiviste qui réclame à l’apprenant de faire son miel de différents discours l’amène ainsi à vivre un premier conflit cognitif.

La négociation du sens par la confrontation des différents miels produits par les apprenants et ceux des experts, formateurs et tuteurs constitue également une occasion d’émergence de conflits cognitifs. S’apercevoir que l’autre, à partir des mêmes ressources et discours proposés, a construit, fort de ses expériences passées, une autre viabilité que la sienne, confronte l’apprenant à l’expression critique pour laquelle ses expériences de formation antérieures ne l’ont pas forcément préparé. 

La contextualisation en formation des adultes correspond à la réalisation d’activités d’apprentissage qui sont les plus proches des situations professionnelles ou d’autres situations vécues et à vivre par les apprenants. La notion de situation authentique est au cœur du constructivisme. Elle permet de penser et concevoir des exercices, études de cas, jeu de rôle, etc. à destination des apprenants au cours desquels, ils doivent transférer leurs connaissances, et ce dès le temps de la formation. Ceci aménage la possibilité d’évaluer la réalité du transfert qui est le marqueur principal du développement d’une compétence. Si rejoindre les intérêts des apprenants par l’entremise d’activités d’apprentissage basées sur des situations authentiques n’est pas générateur de conflit cognitif particulier, il n’en est pas de même pour l’évaluation de la qualité du transfert des connaissances construites et des compétences développées. Par exemple, un apprenant peut ne pas s’autoriser à s’autoévaluer convaincu que l’évaluation est de la seule prérogative du formateur ou du tuteur.

La collaboration entre apprenants qui est tenue pour essentielle par les constructivistes et plus encore par les socio-constructivistes peut également être génératrice de conflits cognitifs. Outre les occasions de conflits cognitifs propres à toute initiative collective et à la dynamique des groupes, la mise en situation de collaboration peut venir heurter les représentations que les apprenants ont du processus d’apprentissage et de la formation en général. Ceci est plus particulièrement vrai en formation à distance dont la modalité est parfois choisie par l’apprenant pour échapper à la présence du groupe-classe. De plus, la formation à distance en offrant davantage de possibilité d’individualisation et de personnalisation que les situations présentielles relativise de fait le poids du groupe que les activités collaboratives tendent à réintroduire.

Les effets du conflit cognitif sur les apprenants et les interventions tutorales permettant d’y répondre

Face à un conflit cognitif, une première réaction de l’apprenant est son refus qui entraine la non prise en compte des nouvelles informations venant perturber ses connaissances antérieures. Non, il est impossible que le lion soit là

Il est certain qu’une attitude péremptoire du tuteur à distance peut difficilement permettre à l’apprenant d’accepter d’examiner la nouvelle expérience à laquelle l’apprentissage le confronte. Les arguments d’autorité seront de faible poids face au refus. Il lui faut donc agir différemment. La première intervention tutorale à entreprendre est d’amener l’apprenant à réfléchir sur les causes de son refus. Dans un second temps, le tuteur peut apporter des informations sur ce qu’est le processus d’apprentissage et qu’il est naturel d’imaginer pouvoir fuir le conflit cognitif. Il sera alors amener à argumenter sur le fait que le conflit cognitif est à la base de l’apprentissage. Il aura ensuite à accompagner l’apprenant dans son processus d’articulation de ses connaissances antérieures avec les nouveaux apports des discours d’enseignement. Enfin, lorsque l’apprenant aura accepté de vivre son conflit cognitif et de le dépasser, il pourra utilement proposer à l’apprenant des activités métacognitives lui permettant de faire le point sur son vécu du conflit cognitif. Ceci est susceptible d’amoindrir les effets cognitifs et émotionnels vis-à-vis des prochains conflits cognitifs qu’il sera amené à vivre dans sa formation.

Une autre manière de fuir le conflit cognitif pour l’apprenant est non pas de le refuser mais de l’ignorer ou de faire comme s’il n’existait pas. Le lion n’est pas là et d’ailleurs je ne le regarde pas. Il se met alors dans une situation comparable à l’ignorance caractérisée par le fait qu’il ne sait pas qu’il ne sait pas. Le travail du tuteur consiste, à ce moment-là, à faire progresser l’apprenant vers la reconnaissance de son absence de connaissances vis-à-vis des nouveaux apports et de son manque d’habileté, temporaire, à procéder à leur articulation avec ses connaissances antérieures. L’apprenant devient ainsi capable de formuler ce constat nécessaire à la mise en action d’apprentissage : je sais que je ne sais pas.

Un autre effet du conflit cognitif sur l’apprenant est le développement d’un sentiment d’insécurité. Le lion va certainement bondir sur moi. Conscient qu’il ne sait pas, il est dans la situation de celui qui ne sait pas qu’il sait. Il se retrouve submergé par les nouveaux apports et arrive à ne plus repérer qu’il possède des connaissances antérieures qui vont l’aider à assimiler les discours d’enseignement auxquels il est exposé. Le rôle du tuteur est clairement de le rassurer en lui faisant prendre conscience que non seulement il peut arriver à interpréter les éléments nouveaux mais que c’est bien à partir de ce qu’il sait déjà qu’il va y arriver. Pour ce faire, la proposition d’activités d’émergence des connaissances préalables des apprenants avant même tout apport se révèle être une prévention efficace contre le sentiment d’insécurité lié au conflit cognitif. L’apprenant insécurisé doit faire l’objet d’un suivi attentif de la part du tuteur dans la mesure où il peut en arriver à perdre l’estime de soi puis nourrir un désir d’abandon de sa formation.

D’autres apprenants peuvent au contraire être avides de conflits cognitifs. Je vais mettre la tête dans la gueule du lion. Si l’enthousiasme à se voir bousculé dans ses connaissances antérieures est une attitude propice à l’apprentissage, tout apprenant, à un instant donné de son apprentissage, possède des limites d’acceptation de l’altérité. Lorsque ces limites sont dépassées, les réactions peuvent être diverses et rejoindre celles évoquées ci-dessus. Le tuteur peut donc encourager l’apprenant à poser un regard réflexif sur son appétence pour le conflit cognitif afin non pas de la modérer mais de la mettre en perspective et de vérifier si elle reste, ou non, dans le cadre de ses objectifs d’apprentissage.

Si aujourd’hui, le constructivisme a, et je m’en réjouis, les faveurs d’un plus grand nombre de concepteurs de formation à distance ou hybrides, il apparait essentiel que les tuteurs à distance puissent être formés à intervenir auprès des apprenants exposés aux conflits cognitifs. Ceci ne semble pas trop difficile à imaginer tant il est vrai que pour de nombreux formateurs et enseignants amenés à investir des fonctions tutorales, le changement de posture demandé est source de conflit cognitif.

mardi 4 septembre 2012

Apports comparés du modèle ISA et de l’ingénierie tutorale à la conception de l’aide tutorale envers les apprenants à distance. Par Jacques Rodet


J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer, que selon moi, le tutorat à distance est, avant tout, une relation d’aide (cf. Formes et modalités de l’aide apportée par le tuteur in Le tutorat en Formation à distance, De Boeck, 2011). C’est donc avec un intérêt particulier que j’ai pris connaissance du texte de Stéphanie Mailles-Viard Metz et Chrysta Pélissier intitulé « Un modèle de caractérisation de l’aide : le cas dans l’enseignement à distance ». Ces auteurs y présentent le modèle ISA : « Le modèle ISA (Intentions Stratégies Attendus) caractérise les aides telles qu‘elles sont actuellement mises en œuvre dans les activités pédagogiques proposées dans un dispositif de formation à distance. […] Ainsi, chaque aide, quelle que soit la discipline concernée est décrite par un contexte, une ou plusieurs Intentions, une Stratégie de conception et des Attendus pédagogiques. » 

Ce modèle vise à faciliter la conception des aides offertes aux apprenants à distance. Celles-ci, qu’elles soient d’origine humaine ou médiatique, relèvent du tutorat à distance, dès lors que leur objectif principal est bien de supporter les apprenants tout au long de leurs apprentissages et de leur faciliter ainsi l’atteinte de leurs objectifs de formation. Depuis plusieurs années j’ai proposé (et mis en œuvre dans de nombreux dispositifs) un ensemble d’actions à mener pour penser, organiser, concevoir et produire les services tutoraux d’un dispositif de formation à distance ou hybride que je réunis sous l’expression d’ingénierie tutorale (cf. Propositions pour l’ingénierie tutorale in Tutorales n°7). Il me semble donc intéressant de rapprocher les éléments du modèle ISA des actions de l’ingénierie tutorale.




Il est facile de constater que les synergies entre ces deux approches se situent essentiellement au niveau II du modèle ISA et à la phase de conception de l'ingénierie tutorale. Toutefois, dans le modèle ISA, l'accent est mis principalement sur la conception de l'aide. Il ne semble pas que celle-ci fasse l'objet d'une quantification. Les éléments retenus sont semblables à ceux de modélisés dans l'ingénierie tutorale pour l'action conception des interventions (cf. http://blogdetad.blogspot.fr/2011/04/la-conception-dune-intervention.html). Le livrable "Scénario tutoral" comprend un élément supplémentaire par rapport au niveau 2 du modèle ISA, à savoir la rédaction d'une charte tutorale. Cela tient certainement au fait que ce modèle s'intéresse davantage aux aides à produire alors que l'ingénierie tutorale a pour finalité la production de l'ensemble du dispositif tutoral d'une formation à distance ou hybride.

Les actions d'analyse/définition de l'ingénierie tutorale se situent en amont du niveau I du modèle ISA. En effet, dans le premier cas, il s'agit de tenir compte de paramètres généraux alors que dans le second, les éléments à prendre en compte se situent clairement au niveau de l'intervention d'aide spécifique.

Le niveau III du modèle ISA concernant les attendus semblent correspondre partiellement aux plans de support à l'apprentissage retenus et à investir lors d'une intervention tutorale d'une part, mais aussi à des éléments complémentaires à décrire lors de la conception de l'intervention, d'autre part.

Il semble possible de combiner les différentes phases de ces deux approches de la manière suivante :
  • Analyse/définition (Ingénierie tutorale)
  • Niveau I - Intentions (Modèle ISA)
  • Niveau II - Stratégie (Modèle ISA) et/ou Conception (Ingénierie tutorale)
  • Niveau III - Attendus (Modèle ISA)
  • Plan de diffusion (Ingénierie tutorale)
Des échanges plus approfondis seraient souhaitables pour vérifier la pertinence du rapprochement effectué dans ce billet. En particulier, il serait utile de mieux préciser l'articulation entre, d'une part, la conception d'une intervention d'aide et d'autre part, la production d'un dispositif tutoral global. La question des acteurs se pose également. Le concepteur de FOAD à qui est dévolu l'ingénierie tutorale ne doit-il pas associer d'autres acteurs, en particulier les tuteurs, pour concevoir les interventions d'aide ?


lundi 18 juin 2012

Des fonctions et des plans de support à l’apprentissage à investir par les tuteurs à distance. Par Jacques Rodet

La littérature sur le tutorat à distance (cf. la base documentaire de t@d) s’intéresse depuis longtemps à définir les fonctions des tuteurs. Il existe un relatif consensus entre les auteurs pour distinguer les fonctions suivantes : i) fonction d’accueil et d’orientation, ii) fonction organisationnelle ; iii) fonction pédagogique ; iv) fonction socio-affective et motivationnelle ; v) fonction technique ; vi) fonction métacognitive ; vii) fonction d’évaluation.

En 2003, j’ai proposé d’aborder les questions relatives aux interventions des tuteurs à distance non pas à travers le prisme des fonctions tutorales mais à partir des plans de support à l’apprentissage à investir auprès des apprenants. A la suite d’autres auteurs, en particulier André-Jacques Deschênes et Céline Lebel, j’ai distingué les plans cognitif, socio-affectif, motivationnel et métacognitif. (cf. vidéo et diaporama
 
Si l’identification des fonctions des tuteurs à distance a le mérite de faciliter la définition de fiches de poste des tuteurs, celle des plans de support à l’apprentissage présente le grand intérêt de s’intéresser aux besoins des apprenants, ce qui est bien le moindre lorsque l’on parle de tutorat. Les fonctions permettent de dessiner les attentes envers les tuteurs tandis que les plans de support à l’apprentissage situent les interventions tutorales par rapport aux différentes catégories de besoins d’aide des apprenants.

La focalisation sur la figure du tuteur ou celle sur les besoins des apprenants ne sont pas contradictoires et traduisent davantage les préférences ou les postures des différents auteurs. C’est pourquoi, il m’a semblé intéressant de croiser les fonctions tutorales identifiées dans la littérature avec les plans de support à l’apprentissage. Ainsi, il est possible de constater que chacune des fonctions tutorales est "colorée" par le plan de support à l'apprentissage qu'elle croise.


Le résultat ci-dessus ne se veut pas tant un modèle prescriptif qu’une base de réflexion et d’échanges, et ce d’autant plus, qu’il ne vise pas l’exhaustivité. En effet, d’autres instanciations auraient pu être mises en avant dans telle ou telle cellule.Il est également à noter qu'aucun modèle ne peut traduire toute la richesse et la complexité d'une situation réelle. Il s'agit alors d'utiliser ce tableau comme une matrice permettant de définir les interventions tutorales à concevoir pour un dispositif particulier. Cette conception est forcément précédée d'un certain nombre d'actions d'ingénierie tutorale (cf. mon article Propositions pour l'ingénierie tutorale in Tutorales n°7) liées à la définition du système tutoral permettant d'effectuer des choix tutoraux en fonction du contexte, du public, des besoins d'aide repérés.

Au plaisir de lire vos réactions...

mardi 22 mai 2012

Série de billets sur l'ingénierie tutorale sur EducaVox par Jacques Rodet



Une série de billets consacrée à l'ingénierie tutorale a commencé à être publiée sur Educavox. Les principaux billets qui paraîtront tout au long de l'année 2012 aborderont les thèmes suivants :
  • Ingénierie tutorale : de quoi parle-t-on et pourquoi ? (déjà publié)
  • Analyser les besoins d'aide des apprenants à distance (déjà publié)
  • Priorisation par étude de criticité des besoins d'aide aux apprenant à distance
  • Définition des rôles et fonctions des différents tuteurs à distance 
  • Conception et quantification des interventions tutorales
  • Le choix des outils de communication pour la réalisation des interventions tutorales
  • Rédaction d'une charte tutorale
  • Formation des futurs tuteurs à distance
  • Mise en place de communautés de pratique de tuteurs à distance
  • Conception d'outils de suivi de la relation tutorale
  • Choix du modèle économique d'un système tutoral

lundi 7 mai 2012

Les compétences des enseignants universitaires qui sont proches de celles des tuteurs à distance

Dans le document intitulé « Profil de compétences de l’enseignant de niveau universitaire » de Nancy Brassard, deux catégories de compétences identifiées sont en lien très forts avec celles demandées aux tuteurs à distance. La première est relative à l’écoute et la seconde à l’encadrement. Je reproduis ci-dessous, les items liés à ces deux catégories en les numérotant afin d’en faciliter le repérage. Il est à noter que  les autres catégories que sont « Leadership d’expertise », « Communication », « Raisonnement critique »,  « Collaboration », « Evaluation », « Résolution de problème » et « Technologie » et « Professionnalité » comportent également de nombreuses compétences à mobiliser par les tuteurs à distance.
 
L’écoute
1.    demander des clarifications pour s’assurer de bien comprendre;
2.    répondre en témoignant du respect du souci de la compréhension mutuelle;
3.    agir de manière empathique;
4.    identifier les indices non verbaux;
5.    saisir la nature de la motivation des étudiants;
6.    faire preuve de perspicacité pour la formulation de ses réponses à des messages mal exprimés;
7.    faire ressortir les idées et préoccupations des étudiants;
8.    prendre les actions appropriées;
9.    agir comme conseiller ou comme défenseur;
10.    composer efficacement avec des situations délicates tout en gardant les choses en contexte;
11.    agir de manière préventive et aller au-devant des problèmes;
12.    prévoir les comportements ou situations délicates grâce à ses connaissances antérieures.
 
L’encadrement
 
1.    définir des procédures explicites et uniformes pour les opérations courantes;
2.    rappeler les procédures à suivre;
3.    intervenir rapidement et efficacement face à un problème de fonctionnement;
4.    s’assurer du support logistique et des exigences administratives;
5.    limiter les changements de procédures au strict nécessaire;
6.    consulter les étudiants lors de la mise en place de normes et de procédures;
7.    laisser un délai raisonnable pour l’exécution des travaux demandés;
8.    limiter les exigences administratives en les subordonnant à l’efficacité;
9.    élaborer des outils simples et efficaces;
10.    tenir compte des limites personnelles de l’étudiant;
11.    tenir compte de la culture institutionnelle;
12.    manifester sa disponibilité aux étudiants;
13.    reconnaître formellement le bon travail et les progrès de l’étudiant;
14.    faciliter les initiatives des étudiants;
15.    valoriser le travail d’encadrement.
 
Depuis de nombreuses années, j’ai eu l’occasion d’aborder telle ou telle de ces compétences à mettre en œuvre par le tuteur à distance. Aussi, j’indique ci-après les liens vers les billets et articles les traitant.

Une des premières choses à laquelle un tuteur doit prêter attention est de nouer une relation authentique avec chacun des apprenants qu’il encadre. Ceci passe sans nul doute par le développement de sa capacité d’écoute (cf. L'écoute active, une stratégie au service du tuteur à distance). C’est à cette occasion qu’il lui faut mobiliser les compétences 1, 2, 4 5 et 6 de la catégorie « Ecoute ». 

L’établissement d’un climat de confiance est également primordial et à cet égard l’empathie (2 de la catégorie « Ecoute ») est une compétence que le tuteur à distance doit également mettre en œuvre (cf. L'empathie, une compétence pour le tuteur à distance)

Comme je l’ai noté dans le billet « Le tuteur à distance et les fonctions d'accompagnement » , le tuteur à distance a effectivement  une fonction de conseiller (9 de la catégorie « Ecoute ») et peut être amené sinon à jouer le rôle de défenseur, du moins d’interface entre l’apprenant et l’institution.

Le tuteur à distance doit également mettre en œuvre les compétences 11 et 12 de la catégorie « Ecoute » en agissant selon des modalités proactives en direction des apprenants (cf. Choisir entre ou associer les interventions tutorales proactives et réactives) mais également en capitalisant ses interventions pour accroître sa professionnalité. Pour ce faire, il peut s’appuyer sur des outils (cf. Instrumenter les tuteurs à distance pour faciliter leurs interventions) et recourir à des pratiques métacognitives sur son activité de tuteur à distance (cf. Le journal de l'enseignant ou du tuteur à distance).

Toutes les compétences de la catégorie « Encadrement » sont à mobiliser par le tuteur à distance. Aussi, je n’insisterai que sur certaines.

C’est lors du premier contact entre le tuteur à distance et l’apprenant que les compétences 1 et 2 de la catégorie « Encadrement »sont à mettre en œuvre (cf. Le premier contact entre le tuteur à distance et son tutoré)

La compétence 3 de la catégorie « Encadrement » fait référence au tutorat technique qui a bien été décrit par Laurence Vaillant dans son article « Tutorat technique en e-learning ». Si tous les tuteurs à distance ne peuvent être des experts techniques, ils ont la charge de réorienter les apprenants rencontrant de telles difficultés cers les personnes ressources compétentes.

La compétence 7 de la catégorie « Encadrement » pose inévitablement la question de la gestion des échéances relatives aux travaux demandés aux apprenants. Le tuteur peut intervenir auprès des apprenants sur ce point en les aidant à planifier leur apprentissage (cf. Aider les apprenants à planifier leurs parcours d'apprentissage) et à respecter les échéances (cf. Aider les apprenants à faire face aux échéances).

La compétence 13 de la catégorie « Encadrement » concerne la capacité des tuteurs à distance à produire des rétroactions signifiantes (cf. mon article « La rétroaction, support d’apprentissage »).

jeudi 12 avril 2012

Recherche doctorale de Clément Dussarps sur le rôle de la dimension affective dans la persévérance aux études à distance

Clément Dussarps, doctorant en Sciences de l'Information et de la Communication au laboratoire MICA de l'Université Bordeaux 3, effectue une recherche dans le cadre de sa thèse de doctorat qui l'amène à s'interroger sur la dimension affective et son influence sur  la persévérance des étudiants en formation à distance. Par dimension affective, il entend s'intéresser aux rôles des fonctions tutorales exercées tant par les enseignants que les autres étudiants ainsi que par des acteurs moins perceptibles : les proches de l'étudiant.

De fait, l'enquête questionne les points suivants :
  • accompagnement (enseignants, tuteurs, autres étudiants mais également les proches)
  • persévérance et motivation au long de la formation
  • feedback et difficultés rencontrées durant la formation
Nous invitons les étudiants à distance à prendre 10 à 15 minutes pour remplir son questionnaire accessible à http://raudin.u-bordeaux3.fr/enquete.html

A noter que toutes les informations que les répondants indiqueront resteront confidentielles, et ne seront utilisées qu'à des fins statistiques. Aucun nom, prénom, numéro d'étudiant n'est demandé.


mercredi 28 mars 2012

Présentation des résultats d'une enquête sur les interventions tutorales réactives quasi instantanées

Du fait d'un petit souci à l'enregistrement, l'écoute sera plus confortable avec un casque ;-)
Ces résultats ont déjà fait l'objet d'un billet, il y a quelques semaines.


mardi 13 mars 2012

De la nécessité de l’ingénierie tutorale. Par Jacques Rodet

Il arrive fréquemment que des organisations mettant au point une offre e-learning ou blended learning fassent l’impasse sur le dimensionnement des services tutoraux à offrir à leurs futurs apprenants à distance. Focalisés sur les aspects techniques de leurs dispositifs, elles consacrent toute leur énergie, leur temps et leurs moyens financiers à la mise au point de LMS et à la production des ressources multi-médiatisées de formation. Le résultat est presque toujours identique et se révèle bien en-deçà des objectifs visés : les apprenants, laissés à eux-mêmes et à l’injonction d’autonomie qui leur est faite, peinent à trouver la motivation, à mobiliser leurs compétences d’apprenant, à choisir les stratégies d’apprentissage adéquates. De ce fait, la somme du pourcentage des non démarreurs et de celui des abandons se révèle élevée et met à mal les espérances de l’organisation envers cette modalité de formation, présentée tout à la fois comme performante et réductrice de coûts. Quels sont les coûts d’un abandon ? Quels sont ceux de la défiance provoquée des collaborateurs envers le e-learning ? Au-delà des aspects comptables, les conséquences d’ordre symbolique, organisationnel ou social sont réelles même si elles restent peu identifiées et quantifiées.

Convaincre de la nécessité de l’ingénierie tutorale (cf. Rodet, J. Propositions pour l’ingénierie tutorale) n’est certainement pas chose aisée et présente certaines analogies avec le châtiment de Sisyphe : rocher à hisser au sommet jamais atteint d’une colline, retombant continuellement à son pied. Car il est un fait, étonnant, que les retours d’expériences des pionniers et des acteurs de la FOAD restent peu inspirateurs pour les nouveaux entrants. Nombreux sont les écrits scientifiques et les témoignages de praticiens qui ont apporté, sinon la preuve, du moins un faisceau de données concordantes et peu discutables sur l’importance d’offrir aux apprenants à distance un ensemble de services d’accompagnement destinés à les aider à atteindre leurs objectifs de formation.

Une autre raison de la sous- estimation du tutorat à distance est certainement à rechercher dans la manière dont les futurs chefs de projet e-learning sont formés. Si les universités ont développé de nombreux masters, il est remarquable que la très grande majorité d’entre eux n’incluent pas dans leurs maquettes des apports spécifiques sur la conception des services tutoraux. S’il semble naturel de former à la scénarisation pédagogique, aux outils de conception et de production des ressources, aux aspects juridiques, à l’ergonomie, etc. il n’en va pas de même pour l’ingénierie tutorale. A cet égard, il apparait que les universités comme les prestataires et les commanditaires du e-learning ne sachent pas qu’ils ne savent pas : qu’ils soient dans l’ignorance en matière de tutorat à distance. Il est donc essentiel de les faire passer au stade suivant qui consiste en la prise de conscience de leur ignorance, point de départ d’une éventuelle appétence pour ce sujet. Or, comme tout un chacun a pu l’expérimenter, la prise de conscience de son ignorance est douloureuse, provoque le refus du conflit cognitif et la résistance aux efforts à fournir. Cette prise de conscience doit donc être le résultat d’un processus bienveillant mais aussi réaliste de la part de celui qui s’y essaye.

Le tutorat à distance nourri de nombreux a priori : chaque formateur serait par nature un tuteur à distance ; le coût de l’accompagnement des apprenants est rédhibitoire ; le e-learning étant autoportant, se suffisant à lui-même, c’est aux apprenants de faire preuve de responsabilité et d’autonomie ; le tutorat étant fondé sur la relation humaine, il ne peut faire l’objet d’une ingénierie planificatrice.
Au risque de décevoir, il n’est pas exact d’affirmer que les compétences possédées par un formateur présentiel soient suffisantes pour être tuteur à distance. Les dimensions multiples de la distance se révèlent déstabilisantes pour bien des formateurs. La centration du tuteur à distance sur le support à l’apprentissage met à mal la représentation de leur professionnalité par de nombreux formateurs : "détenteur d’un savoir, je suis un professionnel de sa transmission".

Si le tutorat à distance a un coût, les abandons aussi. A contrario de ces derniers, les moyens financiers mobilisés pour le tutorat à distance sont à considérer comme des investissements. Un apprenant à distance accompagné tout au long de sa formation possède objectivement plus de chances de réussir. C’est sa réussite qui conditionnera sa décision de poursuite de formation. En facilitant la réussite des apprenants, le tutorat à distance devient un facteur essentiel de la fidélisation des apprenants/clients. Une autre manière de faire face aux coûts du tutorat à distance est de le vendre. Dès lors qu’un service tutoral est énoncé et effectif, il acquiert une valeur et peut donc légitimement faire l’objet d’une transaction commerciale.

Il arrive relativement souvent de constater que les concepteurs de dispositifs e-learning, ignorants des tenants et aboutissants du tutorat à distance, se révèlent extrêmement confiants dans l’auto-portance des ressources de leurs formations. Or, la formation est et restera toujours une rencontre entre individus. Le fait de la porter à distance n’ôte aucune pertinence à cet invariant. Il est donc bien aventureux, dès lors qu’il s’agit bien de formation et non d’une simple communication, de faire l’économie de la rencontre, de l’échange, de la négociation du sens.

La caractéristique humaine du tutorat à distance ne le rend pas inéligible aux actions de prévision, de projection, d’organisation, de rationalisation, de conception, de mise au point, de régulation : toutes actions d’ingénierie. Ce n’est pas parce que tout ne peut pas être prévu à l’avance, que l’aléa est toujours possible, qu’il faille se résigner à improviser la dispense des services tutoraux et à en déléguer la pleine responsabilité aux seuls tuteurs. Mettre au point une stratégie tutorale, identifier les profils de tuteurs, concevoir les interventions tutorales, les quantifier, les positionner dans le scénario pédagogique sont quelques-unes des actions que l’ingénierie tutorale permet de penser et de réaliser.

Le plaidoyer que constitue ce billet sera-t-il convaincant ? Le rocher est-il déjà redescendu de Tartare ? Ne voulant en aucun cas clore le débat, c’est avec plaisir que je prendrai connaissance de vos commentaires et arguments.

lundi 5 mars 2012

Quelques compétences à mobiliser par un tuteur à distance. Représentations préalables d'apprenants

Dans le cadre d’une formation-action menée à l’ESEN, j’ai eu l’occasion d’interroger les participants sur les compétences qu’ils pensent posséder et pouvoir utiliser pour réaliser des interventions tutorales dans un dispositif de FOAD. La liste ci-dessous n’est en aucun cas exhaustive mais pointe les compétences que quelques formateurs et cadres de l’Education Nationale se sont reconnues. A la suite, de la présentation de ces compétences, je formule quelques courts commentaires.

Compétences organisationnelles
  • Etre capable de se préparer
  • Savoir organiser son temps
  • Prioriser ses interventions et actions
  • Connaitre les différents métiers de la FOAD
Il est remarquable que plusieurs compétences organisationnelles aient été indiquées d’autant qu’elles sont habituellement peu identifiées. Les réponses des participants renvoient plus largement à une compétence en matière de projection et de planification. Il est également relevé nécessaire de se préparer à l’exercice des fonctions tutorales. Cette préparation renvoie certainement à la participation à un formation préalable mais peut-être aussi à une mise en condition tant psychologique que relevant de l’autorisation à être tuteur.

Compétences pédagogiques et disciplinaires
  • Savoir entrer dans [appréhender] une démarche d'ingénierie de formation
  • Etre capable de transmettre
  • Maîtriser les contenus
La maîtrise du contenu de la formation est une compétence attendue des tuteurs à distance par les apprenants, et le fait qu’elle apparaisse dans cette liste est logique. Plus intéressant, il est souligné que le tuteur devrait être capable de faire siens un scénario et une démarche pédagogique qu’il n’a pas déterminés lui-même. C'est une compétence que l'AUF a retenue pour l'obtention de son "Certificat International Francophone au Tutorat en Enseignement à distance" (cf. ce billet).

Compétences comportementales
  • Etre capable de s’adapter
  • Etre capable d’anticiper
  • Faire preuve de clairvoyance
  • Etre capable de communiquer
  • Etre disponible
  • Etre capable d’écouter
  • Etre capable d’encadrer
  • Etre humble
  • Etre réactif
  • Etre capable de percevoir
  • Faire preuve de psychologie
Les compétences comportementales sont les plus nombreuses à avoir été évoquées. Si cela tient au fait que, par nature, ces compétences sont plus aisément transférables que d’autres, il est possible aussi d’y reconnaitre une représentation des participants de leur professionnalité qui se révèle ne pas être fondée uniquement sur la maîtrise d’un contenu à transmettre mais également sur leur capacité à entrer en relation avec les apprenants. Nul doute que ceci soit un facteur facilitant pour investir des fonctions tutorales.

Compétences techniques
  • Avoir les connaissances de base dans le domaine technique pour appréhender une formation à distance
  • Connaitre les outils LMS
  • Maîtriser les outils
Les trois mentions relatives aux compétences techniques indiquent trois niveaux différents d’expertise technique. Entre avoir des connaissances, connaître et maîtriser, il existe plus que des nuances. Cela traduit peut-être des différences de familiarisation avec les outils de la part des participants mais certainement aussi des rapports affectifs à la technologie variés.