lundi 31 août 2020

Dodécagone d’analyse d’une ingénierie tutorale

S’il existe une manière optimale de réaliser une ingénierie tutorale, il faut bien reconnaître que la réalité des organisations qui y ont recours ne permet pas de la mettre toujours en place de manière exhaustive. Il n’existe donc pas une, mais des ingénieries tutorales, pour lesquelles j’ai précédemment proposé une typologie dont voici le schéma général (cf. Les différents types d’ingénierie tutorale).  


Il est intéressant et profitable pour l’ingénieur tutoral mais également pour les acteurs qui font appel à lui, d’analyser l’ingénierie tutorale à laquelle il a été procédé. Pour cela, il peut utiliser le « Dodécagone d’une ingénierie tutorale » où les douze actions permettant de produire les quatre livrables de l’ingénierie tutorale sont positionnées. 


Une échelle de quatre indicateurs sur le niveau de réalisation de chacune des actions permet de qualifier la pratique de l’ingénieur tutoral pour une formation donnée. Les indicateurs sont à préciser et, à titre d’exemple, leur définition peut être la suivante : 

  1. action non réalisée
  2. action réalisée minoritairement
  3. action réalisée majoritairement
  4. action entièrement réalisée. 

Exemple d’utilisation du dodécagone d’analyse d’une ingénierie tutorale 

Dans cet exemple, tiré d’une de mes expériences réelles d’ingénieur tutoral, sur une formation hybride d'une centaine d'heures réparties sur six mois, nous pouvons constater que la production des livrables de l’ingénierie tutorale a été partielle. 



















Le système tutoral n’a pas été très élaboré. En particulier l’analyse des besoins de soutien n’a été réalisée qu’à partir de la littérature et n’a pas fait l’objet d’enquête spécifique. De même, la priorisation des réponses tutorales n’a eu pour déterminant que le quantum horaire consacré au tutorat et s’est imposée d’elle-même en concentrant les interventions tutorales sur les réponses aux besoins de soutien les plus basiques. Les profils de tuteurs ont été identifiés théoriquement mais aucun rapprochement avec les fonctions des acteurs pressentis n'a réellement été négocié et établi.

Le scénario tutoral, qui était l'objectif unique du commanditaire a été réalisé entièrement. Les interventions tutorales retenues ont été positionnées au regard du scénario pédagogique et ont fait l'objet d'une description contenant des plans d'actions, des modèles de messages, des guides d'entretiens ou encore des conducteurs de classes virtuelles. Chacune des interventions tutorales a été quantifiée dans le respect du quantum horaire qui avait été défini par le commanditaire. Une charte tutorale a également été rédigée. 

Le plan de diffusion s’est limité à ne former qu’une partie des formateurs-tuteurs d'une part parce que le parcours de formation n’était que proposé et demandait une démarche volontaire de participation de la part des personnes concernées et que d'autre part, la publicité de cette formation est restée modeste. Par ailleurs, aucun outil de suivi de la relation tutorale n’a été mis en place, ce qui ne facilite pas la remontée d'informations sur la réalité de la diffusion des services tutoraux, ni une vision précise des tuteurs sur leurs actions ni encore la mutualisation de celles-ci entre tuteurs. Enfin, le dispositif tutoral n’a pas fait l’objet d’un réel modèle économique identifiant les coûts totaux du tutorat et les gains qui peuvent lui être attribués (cf. http://www.jrodet.fr/presROI/index.htm nécessite Flash). Seule la rémunération des tuteurs a été déterminée. 

A contrario, un audit tutoral a été entièrement réalisé à la suite des premières expérimentations de cette formation. Les préconisations qui en sont issues portaient essentiellement sur la nécessité d’analyser plus finement les besoins de soutien des apprenants, ce que l’audit a permis partiellement de faire, sur un allègement des contraintes de temps accordé aux tuteurs, sur des modalités d’accompagnement davantage synchrones et collectives, sur une meilleure définition des profils de tuteurs et de l’affectation des interventions tutorales à leur charge, sur un renforcement de la formation au tutorat des formateurs-tuteurs et autres tuteurs.

Dès lors, une réingénierie tutorale s’est révélée possible, demandant une nouvelle production ou actualisation de l’ensemble des livrables. 

Au final, l'ingénierie tutorale initiale s'est révélée être proche du type « Pragmatique ». 


Cet exemple nous montre, qu’en matière d’ingénierie tutorale, l’important est dans un premier temps de tenir compte des contraintes contextuelles, d’engager des premières actions permettant de répondre aux demandes expresses du commanditaire et de réaliser un audit tutoral afin d’enclencher un nouveau cycle permettant de se rapprocher d’une ingénierie tutorale « optimale ».

mercredi 19 août 2020

Typologie de digital learning : 6 graphes SDL de base

Un des usages du graphe SDL (Situer son Digital Learning), que j'ai indiqué dans le billet précédent de présentation de cet outil graphique, est de définir une typologie de digital learning. Par définition, une typologie est une réduction de la réalité et ne vise pas à faire écho à l'ensemble des possibles. Or en matière de design pédagogique, ces derniers sont innombrables et n'ont de réelles limites que celles des concepteurs.

J'ai choisi, ici, de présenter six graphes SDL de base. Deux pour les formations uniquement présentielles, deux pour des formations hybrides et deux pour des formations entièrement à distance. 



Le présentiel académique

La formation étant entièrement en présentiel, l'indice de la borne "Adapté au présentiel" est de 5. Dans une démarche académique, c'est l'approche transmissive qui est adoptée, aussi l'indice de la borne "Approche transmissive" est de 5. Le présentiel étant uniquement synchrone, l'indice de la borne "Adapté au synchrone" est de 5. L'approche transmissive favorisant le magistère du formateur et la non réelle prise en compte des connaissances préalables des apprenants, se caractérise également par un soutien à l'apprentissage faible d'où un indice de 2 pour la borne "Tutoré".


Le présentiel actif

La formation étant entièrement en présentiel, l'indice de la borne "Adapté au présentiel" est de 5. Le présentiel étant uniquement synchrone, l'indice de la borne "Adapté au synchrone" est de 5. La mise en activité des apprenants est revendiquée dans ce cas d'où un indice pour la borne "Approche active" de 5. Le présentiel étant uniquement synchrone, l'indice de la borne "Adapté au synchrone" est de 5. L'apprentissage en approche active fait fortement appel à la collaboration entre apprenants d'où un indice de la borne "Apprentissage collaboratif" à 4. Enfin, ces activités actives demandent au formateur d'intervenir en soutien des apprenants pour qu'ils les réalisent pleinement, ce qui entraîne un indice de la borne "Tutoré" à 4.


Hybride personnalisé

La formation présentant une succession de séquences présentielles et distancielles, l'indice du continuum "Adapté au présentiel > Adapté à la distance" se situe à 0. La personnalisation d'une formation nécessite la mise en place de parcours individuels d'où un indice de la borne "Apprentissage individuel" à 5. Cette personnalisation demande un haut niveau d'accompagnement, c'est pourquoi l'indice de la borne "Tutoré" est à 5. Cet accompagnement sera très souvent, mais pas systématiquement, réalisé en temps réel d'où un indice de la borne "Adapté au synchrone" à 4. Enfin, la personnalisation suppose une adaptation aux caractéristiques des apprenants qui entraîne l'adoption d'une démarche plus active que transmissive, bien que cette dernière puisse être adoptée pour les modules en ligne, d'où un indice de la borne "Approche active" à 3.

Hybride collaboratif

La formation présentant une succession de séquences présentielles et distancielles, l'indice du continuum "Adapté au présentiel > Adapté à la distance" se situe à 0. Basé essentiellement sur la collaboration des apprenants bien que certains apports puissent être étudiés individuellement, l'indice de la borne "Apprentissage collaboratif" est à 4. La collaboration s'incarnant dans des activités de production dont les sujets peuvent être tirés de l'environnement des apprenants, l'indice de la borne "Approche active" est à 4. Cette collaboration demandant un accompagnement des apprenants adapté mais non moins important, l'indice de la borne "Tutoré" est à 5. Enfin, si les activités collaboratives en asynchrone sont utiles, elles demandent des temps d'échanges synchrones d'où un indice de la borne "Adapté au synchrone" à 3.

Distanciel autonome

La formation se déroulant entièrement à distance, l'indice de la borne "Adapté au distanciel" est à 5. Le  recours à ce type de formation est souvent dicté par une recherche d'économie, en particulier sur l'accompagnement des apprenants, aussi l'indice de la borne "Tutoré" est à 1. Les apprenants étudient les ressources mises à disposition à leur rythme et à temps choisi d'où un indice de la borne "Adapté à l'asynchrone" à 5. Ceci amène aussi à positionner l'indice de la borne "Apprentissage individuel" à 5. L'apprentissage est réalisé essentiellement à partir de ressources qui favorisent une démarche descendante d'où un indice de la borne "Approche transmissive" à 4.


Distanciel collaboratif

La formation se déroulant entièrement à distance, l'indice de la borne "Adapté au distanciel" est à 5. L'intention collaborative étant clairement déclarée, l'indice de la borne "Apprentissage collaboratif" est à 5. Ceci suppose une approche active lors d'activités bien que certaines puissent être plus descendantes lors des apports d'où un indice de la borne "Approche active" à 3. La collaboration demande des temps d'échanges en temps réel des apprenants d'où un indice de la borne "Adapté au synchrone" à 4. De même, l'accompagnement des apprenants n'est pas à négliger, bien que ceux-ci s'apportent mutuellement de l'aide, d'où l'indice de la borne "Tutoré" à 4.

Les limites de ces graphes de base

Proposer une typologie nécessite de faire des choix dont la subjectivité* n'est pas absente. Je revendique celle-ci en prenant soin de ne pas tomber dans l'arbitraire, notamment en précisant les raisons qui m'ont fait retenir tel ou tel indice. Il m'a fallu également choisir le nombre de graphes de base. En me limitant à 6, deux par modalité présentielle, hybride et distancielle, j'ai fait le pari de la lisibilité au détriment de la variété. Ceci m'a amené, par exemple, à associer l'approche transmissive à un apprentissage individuel, et l'approche active à un apprentissage collaboratif, ce qui n'est pas toujours le cas. J'ai également plus souvent relié l'apprentissage asynchrone à une approche transmissive bien que certains modules puissent demander un engagement réel des apprenants. Il n'étonnera pas non plus aux lecteurs qui s'intéressent à mes publications, que le tutorat, à l'exception du "Présentiel académique" et du "Distanciel autonome" bénéficie d'indices souvent élevés. J'assume ce biais et réaffirme à cette occasion que l'accompagnement des apprenants est un des critères les plus importants à prendre en compte pour concevoir et diffuser des digital learning de qualité. 

Cette typologie de graphes SDL est maintenant entre vos mains et j'espère qu'elle vous sera utile malgré les limites que je viens d'exposer. Je ne doute pas que vous pouvez avoir des interprétations différentes de ces six propositions, aussi je vous encourage à vous saisir de SDL pour produire vos propres typologies. 

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* Sur la subjectivité, cf. L'indispensable subjectivité de l'évaluation de François-Marie GERARD
http://animation.hepvs.ch/acm/images/stories/TM_au_CO/evaluation/subjectivite_evaluation.pdf

lundi 17 août 2020

Situer son dispositif de digital learning avec SDL

Pour interrompre cette pause estivale, une fois n'est pas coutume, ce billet ne traitera pas spécifiquement du tutorat à distance mais d'un outil dont l'idée m'est venue, repos aidant, et qui me semble utile pour situer un digital learning.



Depuis les débuts du e-learning, plusieurs typologies de dispositifs ont été proposées. La plus ancienne (début du XXIe siècle) et la plus connue est COMPETICE. Elle propose cinq scénarios sur un continuum allant de l’absence d’activités distancielles jusqu’à une quasi absence ou absence d’activités présentielles. De manière plus récente, la typologie HySUP (2009-2012) a défini six scénarios (trois centrés sur l’enseignement et trois sur l’apprentissage) à partir de cinq dimensions : i) la mise à distance et les modalités d’articulation des phases présentielles et distantes, ii) l’accompagnement humain, iii) les formes particulières de médiatisation et iv) de médiations liées à l’utilisation d’un environnement techno-pédagogique et, enfin, v) le degré d’ouverture du dispositif (cf. Daniel Peraya, Bernadette Charlier, Nathalie Deschryver (2014). Une première approche de l’hybridation). Ces dimensions sont elles-mêmes subdivisées en 14 composantes. Ces typologies sont très utiles tant pour prescrire ce que doit être un dispositif en gestation que pour décrire des digital learning existants. 

COMPETICE est une production proposée par le Ministère de l'éducation nationale aux professionnels de l'éducation. HySUP est issue d’une large collaboration d’universitaires belges, français, luxembourgeois et suisses. Toutefois, COMPETICE ne s’intéresse qu’à l’association des activités présentielles et distancielles, ce qui peut être insuffisant tandis qu’HySUP s’appuie sur une méthodologie rigoureuse mais lourde à mettre en place. 

Aussi, il m’a paru intéressant de proposer une alternative se situant à mi-chemin de ces deux typologies. SDL (Situer son Digital Learning) est un outil graphique, facilement réalisable sur un outil de dessin, qui permet de situer un digital learning sur cinq continuums : 
  1. Adapté au présentiel > Adapté à la distance 
  2. Apprentissage individuel > Apprentissage collaboratif 
  3. Approche transmissive > Approche active 
  4. Adapté au synchrone > Adapté à l’asynchrone 
  5. Tutoré > Autoportant



Chacune des bornes de ces continuums est définie ainsi : 

Adapté au présentiel : Dispositif nécessitant des séquences présentielles pour la réalisation d’activités ne pouvant pas être réalisées à distance. 
Adapté à la distance : Dispositif dont toutes les activités ou une part très majoritaire d’entre elles peuvent être réalisées à distance. 
Apprentissage individuel : Dispositif ne proposant pas d’activités à réaliser en groupe et où l’évaluation des apprenants est strictement individuelle. 
Apprentissage collaboratif : Dispositif proposant des activités à réaliser en groupe et sous-groupes dont les résultats sont pris en compte dans l’évaluation des apprenants. 
Approche transmissive : les apports sont réalisés de manière descendante, que ce soit par l’intermédiaire d’exposés en présentiel ou classe virtuelle, ou à travers la visualisation de ressources médiatiques, peu voire non interactives, telles que des vidéos. 
Approche active : Les apprenants construisent leurs connaissances à partir de celles qu’ils ont déjà et l’exploitation d’apports pour réaliser des productions leur permettant de situer leurs compétences.
Adapté au synchrone : Dispositif intégrant des séquences distancielles synchrones telles que la classe virtuelle, la conférence téléphonique, le chat et des outils d’interactions en temps réel. 
Adapté à l’asynchrone : Dispositif proposant des activités à partir de ressources telles que des modules d’apport de connaissances, des quiz, des activités à réaliser en autonomie par les apprenants. 
Tutoré : Dispositif offrant aux apprenants un accompagnement dont les objectifs sont définis et ont fait l’objet d’une ingénierie tutorale. 
Autoportant : Dispositif se suffisant à lui-même, où l’apprenant, en l’absence de toute intervention humaine durant sa diffusion, réalise isolément les activités. 

Pour prescrire ou décrire un digital learning, il est affecté un indice de 0 à 5 à l’une des bornes de chaque continuum. Ainsi, un dispositif uniquement présentiel se voit affecté un indice 5 sur la borne « Adapté au présentiel » du continuum « Adapté au présentiel > Adapté à la distance ». 0 indique un désaccord complet avec la définition de chaque borne et 5 un accord entier. Les indices 1, 2, 3 et 4 ne sont pas définis de manière précise et sont à choisir en fonction du désaccord ou de l’accord avec l’une des bornes de chaque continuum. Il est certain, que l’utilisateur de SDL peut trouver avantage à les définir de manière plus précise. A titre d’exemple cela peut être : 0 : désaccord complet ; 1 : désaccord fort ; 2 : Désaccord majoritaire ; 3 : Accord majoritaire ; 4 : Accord fort ; 5 : Accord complet. 

L’absence de point neutre est voulue car que ce soit pour concevoir ou pour diagnostiquer, il s’agit avant tout d’effectuer des choix et qu’une échelle d’indicateurs paire force à choisir. 

Un exemple 

Cette formation de 40 heures est entièrement réalisée à distance. Elle est structurée en plusieurs séminaires démarrant tous par une classe virtuelle suivie d’une étude de modules en ligne, puis la production collaborative d’un livrable et enfin une classe virtuelle de mutualisation et de retours sur les livrables. En amont du premier séminaire, une classe virtuelle d’accueil est positionnée et la formation se termine par une classe virtuelle de clôture. Les apprenants sont accompagnés par plusieurs tuteurs sur les séminaires dont ils sont experts du contenu. Les interventions tutorales, individuelles et collectives, sont réalisées de manière asynchrone par mail et de manière synchrone lors des classes virtuelles. Elles font l’objet d’une capitalisation permettant d’enrichir le scénario tutoral d’une session à l’autre.


Le graphe SDL obtenu est le suivant : 


Quelques utilisations possibles

Dans une démarche prescriptive, SDL peut permettre aux initiateurs de digital learning de clarifier leurs intentions et aux concepteurs de vérifier que leurs productions répondent bien aux demandes des commanditaires. 

SDL peut également être utilisé comme outil de diagnostic d'un ensemble de digital learning constituant l'offre d'un organisme de formation afin de vérifier que la réalité de celle-ci est en cohérence avec le discours commercial qui l'accompagne. 

Enfin, SDL peut servir à proposer une typologie de digital learning ayant pour but de faciliter la conception pédagogique et tutorale de formations.