lundi 23 mai 2016

Places et mobilité des tuteurs dans un digital learning

Le tuteur à distance est un accompagnateur, c’est-à-dire qu’il va avec l’apprenant. Lors de ce cheminement, le tuteur peut se placer de différentes manières par rapport à l’apprenant, à côté, à distance, devant, derrière, au-dessus, au-dessous. Durant son accompagnement, et en fonction des besoins de l’apprenant, ses places relatives à celles des apprenants varient.

Dans ce billet, j’explore ces différentes positions et tente d’en cerner les significations et la manière dont elles renseignent sur la relation tutorale. Cette dernière suppose une dualité (tuteur-apprenant ou tuteur-groupe d’apprenants) où chacun des acteurs reconnait l’autre et accepte d'interargir avec lui. Si pour le tuteur, cette acceptation est assimilable à celle de sa fonction professionnelle, il est rémunéré (pas toujours), pour tutorer les apprenants, elle n’exclut pas l’investissement et même le don. Pour les apprenants, l’acceptation du tuteur se manifeste tout d’abord par la reconnaissance de ses rôles et l’engagement dans la relation d’aide.


A côté

« Etre à côté » c’est être à proximité. L’expression renvoie fortement à la situation présentielle. Pour autant, il serait inexact de considérer qu’il ne peut y avoir proximité que lorsque l’accompagnant et l’accompagné se sont spatialement rejoints. Le digital learning par l’hybridation des situations de communication et d’interaction qu’il propose multiplie les lieux de co-présence. Celle-ci se décline selon des modalités différentes, synchrone et asynchrone.

Selon Jacquinot (cf. Apprivoiser la distance et supprimer l'absence ? ou les défis de la formation à distance) les distances sont spatiale, temporelle, technologique, sociale, culturelle et économique. « Etre à côté » de l’apprenant suppose donc que ces distances soient amoindries, abolies, tant par les interventions proactives que réactives que le tuteur entreprend envers les apprenants.

De leur côté, Brassard et Teutsch décomposent le concept de proximité en six composantes : spatiale, organisationnelle, relationnelle, technologique, cognitive et systémique. Pour chacune de ces composantes, ils indiquent comment le dispositif peut faciliter la proximité en termes d’ingénierie (articulation présentiel et distanciel), d’accompagnement humain, de médiatisation, de médiation et d’ouverture (cf. Proposition de critères de proximité pour l’analyse des dispositifs de formation médiatisée).

Pour ma part, je trouve nécessaire d’envisager la notion de proximité dans un digital learning à partir de l’apprenant. Est-il proche de lui-même ? De ses pairs ? De son ou ses tuteurs ? Des concepteurs ? De l’institution ? Du contenu ? Du savoir ? (cf. De la proximité en formation à distance).

Il ressort que « être à côté », dans un digital learning, peut prendre des formes extrêmement variées, que la co-présence se manifeste dans la relation, les liens établis, l’abolition des distances qui séparent. Mais c’est aussi parce que les distances existent que la nécessité de rapprochement se fait jour, qu’elles sont des déclencheurs et des opportunités d’être à côté. « Etre à côté » ne peut donc être défini séparément de « Etre à distance ».

A distance

Etre à distance de l’apprenant pour un tuteur signifie être en retrait. Il ne s’agit pas, pour lui, d’être inaccessible mais de ménager suffisamment de distance pour permettre aux apprenants d’exercer leur autonomie, but ultime de la relation tutorale.

La métaphore bien connue du colibri, qui par son vol stationnaire est capable d’ajuster la distance qui le sépare du pistil de la fleur dont il récupère le suc sans toucher les pétales, illustre partiellement la posture du tuteur à distance. Etre assez proche pour agir en soutien mais ne pas agir à la place de l’apprenant. En faire assez pour apporter le soutien nécessaire mais pas trop pour ne pas être intrusif.

Etre à distance, c’est savoir prendre le recul nécessaire face aux situations et aux sollicitations des apprenants pour pouvoir les gérer en mobilisant toutes les compétences nécessaires à la pratique tutorale. Parmi elles, l’empathie, aptitude à la compréhension profonde des états affectifs et cognitifs des apprenants mais également «attitude et comportement excluant une adhésion quelconque aux émotions exprimées par un tiers, à ne pas exprimer d'interprétation et donc, globalement, à ne pas s'identifier à l'autre : ne pas prendre pour soi ce qui n'est pas soi » est certainement une des plus essentielle (cf. notice Wikipedia). Elle est d’autant plus importante pour le tuteur que celui-ci n’a généralement pas de formation en psychologie sur laquelle s’appuyer pour faire face aux événements extérieurs à la formation qui pourtant rejaillissent sur les parcours des apprenants (maladie, perte de travail, deuil, etc.).

Etre à distance, c’est aussi savoir prendre du recul, s’exercer à la réflexivité sur ses pratiques tutorales afin de les questionner, de les ajuster et de les améliorer.

Devant-dessus

Le tuteur qui se place devant et au-dessus de l’apprenant endosse le rôle de guide. Il montre le chemin et comment l’emprunter en le parcourant devant l’apprenant, en lui évitant les pièges, lui indiquant les raccourcis. Il agit de manière préventive et use de la proactivité de manière préférentielle. De fait, s’il apporte une aide réelle à l’apprenant, il balise fortement le parcours d’apprentissage. Il étaye plus qu’il ne désétaye, ce qui favorise peu l’autonomie de l’apprenant. Cette place tutorale est plus utile pour les apprenants que Viviane Glikman qualifient de « Désarmés » qui ont des difficultés à formuler leurs questions et hésitent à demander de l’aide (cf. « Quels modèles d’exercice de la fonction tutorale à distance pour quels types d’apprenants ? »).

Derrière-dessus

Lorsque le tuteur se situe au-dessus et derrière l’apprenant, il fournit à l’apprenant des modèles à suivre. C'est notamment pour fournir du soutien méthodologique que le tuteur adopte cette position. Là encore, il intervient prioritairement de manière proactive. Ce positionnement est davantage adapté pour les « Hésitants » (Glikman, ibid) qui ont du mal ou ne souhaitent pas réellement s’impliquer dans leur formation. Il s’agit pour le tuteur de susciter leur engagement dans la formation, en particulier en leur apportant de l’aide tant sur la gestion et la planification de leur apprentissage que sur la manière de réaliser leurs activités et travaux. Le but est de permettre aux apprenants de modifier la représentation qu’ils ont d’eux-mêmes comme apprenants et de renforcer l’estime qu’ils ont de leur compétence à être apprenant.

Devant-dessous

Le tuteur qui est devant et dessous l’apprenant use de la proactivité pour manifester sa disponibilité mais agit avant tout comme conseil de manière réactive. C’est donc suite aux sollicitations des apprenants qu’il leur présente différentes options en les laissant choisir celle qui leur convient. C’est tout d’abord pour les « Déterminés » (Glikman, ibid) que le tuteur investit cette place. Ces apprenants se distinguent par leur ferme intention d’atteindre leurs objectifs de formation et par leur adhésion au dispositif. Ils considèrent le tuteur comme une personne-ressource qui est mobilisable en cas de besoin.


Derrière-dessous

La place derrière-dessous est celle qui est la plus distante de l’apprenant. Elle convient donc principalement aux « Marginaux » (Glikman, ibid) qui se caractérisent par leur capacité à exercer leur autonomie et la réserve qu’ils manifestent vis-à-vis des dispositifs formels de formation et des institutions qui les portent. Or, les tuteurs sont bien des représentants de celles-ci. Ainsi, les « Marginaux » peu sensibles, voire irrités par les interventions tutorales proactives, imposent au tuteur de procéder de manière réactive.



Il est à noter que le tuteur, tout au long de son accompagnement, est amené à changer de place par rapport aux apprenants. Tout comme les types d’apprenants de Glikman ne doivent pas amener le tuteur à enfermer les apprenants dans un type donné, le tuteur à distance ne doit pas être immobile mais bien au contraire se positionner en fonction des apprenants, là où ils sont à un moment donné, pour leur apporter le soutien voulu et/ou nécessaire. (cf. « A propos des modèles d'exercice des fonctions tutorales de Viviane Glikman. Pour des systèmes tutoraux diversifiés » ).

La faiblesse de l’organisation du tutorat, dans certains digital learning, et dans de très nombreux moocs, est précisément justifiée par l’enfermement des apprenants, désignés autonomes, dans le type des « Marginaux ». Elle est aussi le révélateur d’une incapacité ou d’une non volonté des institutions et des tuteurs, renommés coachs, animateurs ou community managers, à prendre en compte les réels besoins de soutien des apprenants à distance.

A mon sens, rien n’est plus utile au tuteur que la mobilité qui seule lui permet de parcourir les distances qui le séparent des apprenants. Pour trouver sa juste place, à un instant donné, pour tel apprenant ou tel groupe d’apprenants, le tuteur doit encore et encore répondre à cette double question : est-ce que j’en fais assez ? Est-ce que je n’en fais pas trop ?


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