mercredi 18 novembre 2009

Un réseau au service de ressources pédagogiques. Par Michel Damay*


Lors d’une formation donnée à quelques collègues, j’ai relevé quelques incidents critiques. Ils m’ont permis d’en faire les réflexions suivantes en matière de tutorat à distance.[1]

Incidents critiques
  • l’attrait positif pour ce genre de formation : au départ de la formation, dix enseignants ont manifesté leur intérêt pour la suivre ; quelques-uns se seraient volontiers ajoutés au groupe mais le temps manquait pour mener à bien ce qui était programmé. Les participants étaient motivés au départ, en témoignent les évaluations rentrées en fin de formation ainsi que les réflexions échangées dans les forums et messages électroniques ;
  • l’arrivée tardive de participants : deux participants sont arrivés plus tard que les autres ce qui a nécessité une attention plus grande de ma part dans l’envoi des messages ; il est important de tenir un tableau de suivi dans ce cas. J’ai réalisé un tableau où étaient rassemblés les différentes actions réalisées envers chacun des participants (envoi message 1, réponses données, relance, travaux reçus, commentaires…). Cela a permis de bien structurer le suivi de la formation ;
  • l’abandon successif de participants malgré les relances adressées : des dix participants au départ, quatre ont collaboré à la réalisation du produit commun ; c’est peu à mon point de vue au vu de la motivation de départ. Petit à petit le travail quotidien a miné la formation malgré les relances envoyées. Même si le travail peut se faire de manière asynchrone, il faut cependant pourvoir disposer du temps nécessaire. Il est important de le rappeler aux participants lors du lancement de la formation ;
  • la durée du module 1 : le module était très court pour permettre de consacrer plus de temps à la production et la rédaction d’un avant-projet d’activité. Les participants ont regretté qu’il n’y ait pas eu plus de temps pour faire connaissance. Il y a eu des échanges mais au départ, chacun aurait pu se présenter plus amplement. Dans une formation suivie antérieurement, il avait été proposé de former des binômes, d’échanger nos présentations et la présenter au reste du groupe. Après quelques jours nous nous connaissions mieux même si l’un résidait en France, l’autre aux Philippines… Le temps nous a manqué pour ce genre d’activité ;
  • la satisfaction générale des participants et l’envie de recommencer : cinq participants ont rentré leur évaluation sur la formation ; ils en sont satisfaits et y trouvent des pistes pour leur pratique professionnelle (entre autres : découverte d’un autre outil pédagogique, utilisation d’une plate-forme, échanges constructifs à distance…). Si c’était à refaire, ils le recommenceraient. Transfert dans la pratique quotidienne, pratique autre de l’informatique, attitude plus relationnelle à favoriser auprès de nos étudiants sont les principaux arguments avancés.
Regards sur la formation en tant que Personne-Ressource

En tant que personne-ressource, cette formation a été vécue principalement en tant que tuteur. Il a fallu préparer le travail, baliser l’apprentissage et stimuler les troupes pour arriver au bout. Ce ne fut pas sans mal car le sentiment de solitude s’est vite ressenti. Les échanges se sont multipliés au fur et à mesure de l’avancée dans la formation et ce malgré les abandons. Les participants « fidèles » se sont pris au jeu et la communication a fusé de toute part. On peut dire qu’il y avait quelqu’un « derrière » l’ordinateur. A mon point de vue, c’est la qualité la plus importante du tuteur : il doit être là et répondre à toute demande technique ou pédagogique, et cela dans la plus grande convivialité. La communauté n’en sera que soudée si elle ressent sa présence. Il faut aussi jouer à l’absent pour permettre aux participants de confronter leurs idées et construire chacun leur apprentissage. L’attention à tous est de mise pour éviter les abandons. Dans le cadre de cette formation continuée, facultative finalement, la situation est différente du cadre académique où elle serait imposée aux étudiants, je n’ai pas trop insisté dès qu’un participant me signalait ses difficultés à continuer ; deux ou trois relances m’ont semblé suffisantes.

Cette expérience de tutorat me semble transposable à d’autres situations. Je pense notamment au suivi de travaux dans de grands groupes d’étudiants que nous sommes amenés à rencontrer de plus en plus dans nos hautes écoles. Des travaux collaboratifs pourraient être proposés à des groupes d’étudiants tout en leur proposant d’utiliser une plate-forme à distance. Celle-ci servirait au dépôt des travaux et au suivi que l’enseignant y donnerait. Insérer de l’asynchrone pourrait enrichir la réflexion et les contacts, si bien sûr, le temps de tutorat a été prévu dans l’horaire.

Regards sur la formation en tant que participant

Il me semble intéressant pour un tuteur en ligne de vivre également la situation d’un participant à ce type de formation. Pour ma part, je me suis inséré dans le groupe lors du travail final. J’ai pu vivre de l’intérieur les apprentissages de par les échanges que nous avons eus dans les forums notamment. Les paroles d’Alava prennent ici tout leur sens. « …C’est la nécessité de se confronter à d’autres points de vue, de voir ses arguments contestés, de se sentir déséquilibré, déstabilisé mais aussi épaulé au moment opportun qui constitue le moteur de l’apprentissage ...". [2] Le travail collaboratif donne ici une plus-value à l’usage des TIC me semble-t-il. D’horizons divers nous avons essayé d’élucider chez chacun les questions que nous nous posions sur la gestion, le planning et l’ambiance dans le travail collaboratif. Nous avons créé trois forums parallèles, un pour chaque dimension. Nous avons échangé nos avis sur ces trois aspects, ensuite chacun a pris en charge la rédaction d’une synthèse que nous avons commentée. Personnellement je me suis chargé de la création technique du diaporama et sa mise en ligne. Il nous semble que nous avons été plus loin que si nous avions du réaliser ce travail seul.

Conclusions

Depuis quelques années nous constatons un intérêt grandissant pour l’intégration des technologies de l’information et de la communication dans l’apprentissage. L’usage de plate-forme de téléformation favorise en outre les interactions entre le formateur et les apprenants et, également, entre les apprenants eux-mêmes. De plus le fait de se confronter aux autres enrichit les apprentissages.

Si la tâche essentielle d’un formateur est de s’occuper de la médiatisation de ses contenus de formation, il devra également soigner la médiation de l’apprentissage et bien choisir les types d’activités qu’il va proposer à ses apprenants s’il décide d’utiliser les TIC.

« …ce fut une rencontre très enrichissante avec des partenaires de disciplines pourtant bien différentes. Et quelle satisfaction d’arriver à un aboutissement même s’il ne s’agit pas de l’atteinte de l’objectif initial, nous sommes parvenus à énergiser un groupe afin d’arriver à une production commune en collaboration. …Ma crainte au début de formation était de tomber dans les relations impersonnelles que génère souvent le Net. J’ai donc été agréablement surprise de constater que le chat et le forum permettaient de briser la glace. »


Références

[1] Texte complet : http://51969317.fr.strato-hosting.eu/webinfomd/tutorat/mdamay_rsrp_091110.pdf

[2] Alava S. (sous la direction de), Cyberespace et formations ouvertes, De Boeck, 2000, p. 159.

______________________

*Après des études en Sciences Religieuses (UCL 1983) et en Sciences psychopédagogiques (UMH 1995) Michel Damay enseigne dans le secondaire et dans le supérieur. Engagé comme superviseur pédagogique en 1995 par l'Enseignement à Distance de la Communauté Française de Belgique. Maître-Assistant à la Haute Ecole Louvain en Hainaut (Helha) dans les cours de religion, philosophie, pédagogie et TICE, se spécialise dans la formation en réseau (certifié NetTrainers 2004). Chargé actuellement de développer une plateforme à distance et de soutenir les projets de ses collègues de la Helha.


Illustration : Howard Hodgkin, Away, 2000-02

4 commentaires:

M'sieur SVP a dit…

Bonjour !

En présentiel, j'observe sensiblement les mêmes incidents :
1° une motivation initiale importante qui tend à s'amenuiser sous le joug du quotidien ET d'un sentiment de manque de guidance ;
2° le flux des entrées/sorties de la formation qui perturbe tant le groupe que le formateur : le groupe parce que les dynamiques inhérentes aux affinités inter-individus se brisent, le formateur qui doit veiller à maintenir la cohésion ;
3° La difficile coordination de l'avancement de chacun par rapport au déroulé prévu du contenu de la formation : on touche là, les limites de l'individualisation, si l'on veut espérer produire en groupe ;
4° Le sentiment d'avoir appris quelque chose, sans pour autant être toujours capable de porter un regard critique sur cet apprentissage.

Je me permets de citer Missmath et son billet
Congé G : Quand les étudiants sont dans l'action, on ne peut pas apporter de correctifs ou de mise au point, puisque les étudiants ne progressent pas dans les activités au même rythme. Ils sont concentrés à trouver l'astuce pour trouver les coordonnées du point sur une droite le plus près d'un lieu nommé, ils ne vous entendent même pas quand vous dites à la classe qu'au paragraphe suivant, il faut changer le AC ou un AD !.

Je décris dans ce billet Scénariser sans diriger une réponse possible à ces différents constats.

Je crois par ailleurs qu'il faut automatiser tout ce qui peut l'être (Message d'accueil, rappel d'échéance, ...) afin que le formateur/tuteur puisse se consacrer à apporter sa propre valeur ajoutée aux apprenants.

Jacques Rodet a dit…

Merci Gaël pour ce commentaire et ces références.

Bien cordialement,
Jacques Rodet

Jacques Rodet a dit…

Gaël,

Quelques remarques par rapport à l'automatisation.

De manière générale, de nombreuses interventions proactives peuvent être automatisées. Toutefois, le tutorat ne peut ni se limiter aux messages automatiques, par défaut non individualisés, ni aux messages proactifs.

En effet, il faudrait avoir des dons d'extralucide pour anticiper tous les besoins de soutien d'un apprenant afin de lui faire correspondre des interventions proactives. Et même si un concepteur pense avoir ce don, les réalisateurs risquent d'avoir bien du mal à produire toutes les ressources qui seraient alors nécessaires. Au surplus, quel en serait le coût ?

L'accueil d'un apprenant dans un dispositif peut-être partiellement assuré par des messages informatifs mais il est de loin plus pertinent pour le tuteur d'entrer en communication avec lui (synchrone de préférence). A ce sujet cf. le billet "Le premier contact entre le tuteur à distance et son tutoré" http://blogdetad.blogspot.com/2008/10/le-premier-contact-entre-le-tuteur.html

Le rappel des échéances peut effectivement être automatisé mais certainement pas l'acceptation d'un report. Or, il est très fréquent qu'un apprenant sollicite un délai. Ceci n'est d'ailleurs pas incongru dès lors que l'on se place dans une perspective d'individualisation du rythme d'un parcours de formation.
Cf. le billet "Aider les apprenants à tenir les échéances" http://blogdetad.blogspot.com/2009/03/aider-les-apprenants-faire-face-aux.html

Cordialement
Jacques

M'sieur SVP a dit…

Jacques, je suis d'accord sur le fond.

Cependant, j'ai pu constater que les TICs consommaient beaucoup de temps.

Mon outil de cours, un site internet en intranet me permet d'individualiser : cf. ce billet.

Depuis la rédaction de ce billet, j'ai ajouté des fonctionnalités qui me permettent d'accorder davantage de temps à chaque apprenant.

Notamment, j'automatise l'envoi d'un message récapitulant les étapes suivies par l'apprenant lors d'une séance : liste des étapes, résumé du contenu de chaque étape, liste des compétences concernées, résultats aux QCM d'appropriation.

Cet artifice me permet de consacrer davantage de temps aux corrections et à leur exploitation (Corriger pour évaluer / Evaluer pour corriger).

Par ailleurs, j'ai déjà eu l'opportunité de souligner le caractère "tout, tout de suite" de mes apprenants qui vivent dans l'instant : lorsqu'ils se posent une question, ils veulent la réponse tout de suite.

En conséquence, je développe ma pédagogie dans l'action (Scénariser sans diriger), de plus en plus : je rédige des tutoriels, sous le mode des TRUCs, que j'invoque sous la forme d'une FAQ, en temps réel, lorsque l'un de mes apprenants rencontre une difficulté, pose une question, soulève un débat.
Même si je suis tenté de produire MES tutoriels, conçu comme je les aime, je ne dédaigne pas non plus de ré-utiliser ceux déjà produits.

Mes cours ne sont qu'une longue suite de digressions, à ceci près que je m'appuie, à la demande, sur des documents structurés, complets, qui incluent :
* la présentation d'un contenu,
* une réflexion sur ce dernier (QQOQCP), accompagnée d'un quiz pour fixer la réflexion,
* un retour sur le contexte à l'origine de la digression,
* une évaluation réflexive,
* la rédaction d'une trace d'apprentissage.

Les tutoriels ne sont donc pas le point de départ, mais une étape dans le processus d'apprentissage.
Ils s'intègrent dans mes consignes de travail, à la façon d'un lien hypertexte comme dans l'exemple ci-dessous qui s'appuie sur des tutoriels pré-existants :
* Identifie les éléments qui permettraient de caractériser le contexte de production de ton lieu de stage.
* Dresse leur liste et sélectionne les sources d'information nécessaires.
* Trie les documents que tu as trouvés.
* Localise les informations dont tu as besoin.
* Vérifie leur validité et organise tes informations.
* Rédige une présentation claire, illustrée, concise qui permette à ton tuteur, qui ne connaît pas ton lieu de stage, de s'en faire une idée suffisamment précise pour t'aider à construire ton rapport de stage.

Dès lors, chaque apprenant est autonome.
Chacun, compte tenu de ses connaissances, de son vécu, peut avancer à son rythme.
J'encadre chacun, individuellement, et je renvoie aux tutoriels chaque fois qu'il y a blocage, non adéquation de la production avec les consignes.
Si je constate une certaine consistance statistique sur un point, alors, c'est l'objet d'une digression collective.