J’ai rédigé ce billet suite au visionnage de l'enregistrement du bar en ligne de l’association
ADUTICE consacré aux témoignages de Gilles Lepage et Jean Vanderspelden sur les
moocs ReSOP et ABC Gestion de projet.
J’ai bien noté qu’à défaut de modèle économique clairement énoncé (mais les initiateurs des moocs évoqués ne se sentent-ils pas déjà "payés" par la renommée d’être les premiers ?), ces moocs avaient pu fonctionner grâce à la générosité et une très grande implication temporelle de leurs animateurs. Jean-Luc Peuvrier a posé judicieusement la question de la pérennité d’une telle gestion des ressources humaines au sein des moocs. Elle reste sans réponse pour l’instant. Encore que…
La gratuité semble aujourd’hui parée de toutes les vertus. Celle des moocs est
présentée comme l’élément déterminant de l’accessibilité de la formation à
tous, à tout moment. J’ai bien peur que l’on oublie que tout ce qui est gratuit
est souvent considéré sans valeur et que l’achat d’une formation matérialise
une première forme d’engagement de l’apprenant. Il existe bien d’autres moyens
que la gratuité pour que le prix ne soit pas un obstacle à l’inscription :
bourses, prix modulé selon le revenu de la personne, péréquation, etc.
La gratuité, tout comme les prix bas, provoquent généralement une précarisation
des salariés et une baisse de leurs revenus. Cela abouti, parfois, comme
dans le cas des usines textiles, à des conditions de travail indignes. La
gratuité de la formation, qui plus est mondialisée, ne risque-t-elle pas de
détruire les conditions d’exercice des métiers de formateur et d’enseignant ?
Est-ce réellement souhaitable ? Finalement, la gratuité profite-t-elle
réellement à l’usager, enclin, du fait même de la gratuité, à accepter la
transmission de ses données, à supporter la publicité et parfois une qualité
moindre, ou profite-t-elle davantage aux organisateurs "philanthropes" ?
Il est toujours possible de trouver des personnes qui accepteront des
conditions d’exercice de leur métier dégradées, dérèglementées, ouvrant la
porte à la déqualification acceptée et au final à la baisse de la qualité.
Est-ce une raison pour le souhaiter et le faciliter ?
Dès lors que les moocs ambitionnent d’être des formations de qualité, leurs
organisateurs ne peuvent faire l’impasse des compétences des animateurs et donc
de rémunérations dignes. Ces compétences sont bien proches de celles des
tuteurs à distance (je note que le terme tutorat n’a pas été prononcé une seule
fois durant ce barcamp…). L’expérience me montre que bien peu de formateurs et
d’enseignants développent spontanément ces compétences qui supposent également
un décentrage par rapport à leurs pratiques habituelles. Or, le tutorat est peu
pratiqué dans les moocs, lorsqu’il l’est, c’est de manière plus généreuse que
professionnelle, impliquant le surinvestissement des animateurs (modalité non
pérenne). Ceci est directement la conséquence d’un défaut de conception des
services d’accompagnement des apprenants des moocs (je ferai quelques
propositions sur ce plan aux JEL) et un pari, dont la côte est bien élevée, sur
l’émergence spontanée du tutorat par les pairs.
Je remarque par ailleurs que le tutorat par les pairs fonctionne bien lorsque
les pairs se reconnaissent et les témoignages de Gilles et Jean évoquant des
rencontres avec quelques personnes, parfois retrouvées de mooc en mooc,
renforcent ce constat que l’on peut faire dans les dispositifs de FOAD. Une
question centrale pour les moocs est de savoir si le tutorat par les pairs
supporte la massification. Je ne parle pas là de quelques centaines ou milliers
d’apprenants (encore que…) mais de centaines de milliers d’apprenants.
Toutefois, le tutorat par les pairs, même s’il émergeait positivement dans les
moocs, a peu de chances de répondre à tous les besoins de support à
l’apprentissage de tous les apprenants. Je ne prendrai qu’un exemple. Il est
significatif que 61,7% des participants du mooc ABC gestion possédaient au
moins un Bac+5 (Bachelet, Rémi (2013). Evaluation par les pairs au sein du mooc
ABC de la gestion de projet : une étude préliminaire. http://ateliermooceiah2013.files.wordpress.com/2013/05/bachelet.pdf).
Ces participants ont donc un vécu qui leur confère un bon niveau d’exercice de
leur autonomie comme apprenant. Dès lors que les moocs veulent s’adresser à
tous, et pas seulement aux Bac+5, et donc à des personnes confrontées à devoir
progresser en autonomie, il est nécessaire que les organisateurs prévoient des
services de tutorat permettant l’étayage et le desétayage progressif. Ne pas le
faire, c’est simplement considérer l’autonomie comme un prérequis, ce qui, nous
le savons depuis longtemps dans les FOAD, est une chimère et une cause
importante des taux d’échec élevés. L’accessibilité des moocs ne peut donc être
réduite à l’aspect économique mais devrait également être considérée à l’aune
de la capacité de ces dispositifs à accueillir des publics de niveau très
disparates.
Une des autres conditions de l’accessibilité, promesse initiale de la FAD, est
l’apprentissage à son rythme et à temps choisi. L’expérience des FOAD montrent
que dès lors que les activités synchrones et collaboratives sont multipliées
dans un dispositif, celui-ci ne tient plus cette promesse. Les Moocs dont il a
été fait témoignage avaient une durée de quelques semaines, des rendez-vous
synchrones hebdomadaires, des activités à réaliser en collaboration. La
possibilité d’aménager son temps d’apprentissage était donc limitée à choisir
ses plages horaires au sein d’un calendrier prédéfini. C’est bien peu, surtout si
l’on admet que chaque apprenant a un temps de maturation et d’assimilation
différent. Les FOAD ont montré que seuls les dispositifs (bien rares en France
mais plus fréquents au Québec, par exemple) permettant à un apprenant d’adapter
son apprentissage à son rythme et à son temps disponible, sont ceux qui offrent
la possibilité d’entrées et de sorties permanentes et des périodes larges pour
compléter les activités.
En guise de conclusion intermédiaire, je constate que si le modèle économique
des moocs gagnerait à être davantage transparent, il est abusif de limiter leur
ouverture et donc leur accessibilité au seul facteur financier. L’organisation
du tutorat dans les moocs est susceptible de faciliter l’accueil d’apprenants
éloignés de l’autodidaxie, voire de l’autoformation. L’organisation temporelle
des moocs est un autre axe de réflexion à explorer pour leur permettre de
justifier davantage leur ouverture et d’en améliorer l’accessibilité.
L’introduction de services tutoraux et l’aménagement d’entrées et sorties
permanentes sont des éléments qui impacteront forcément les coûts et
potentiellement le modèle économique des moocs.
1 commentaire:
Bonjour Jacques,
Je vous envoie quelques références.
"Le terme de MOOCs (Cours ouverts en ligne pour tous) est apparu en 2008 mais le véritable décollage des MOOCs a eu lieu fin 2011, quand Sebastian Thrun, professeur d’informatique à Stanford et fondateur de Google X (le laboratoire de recherche de Google), décida de proposer gratuitement en ligne son cours sur l’intelligence artificielle. Au cours des trois mois qui suivirent, près de 200 000 personnes se sont inscrites à ce cours en ligne !"
Lien:
www.cnl-gl.fr/article-les-moocs-bouleversent-l-acces-au-savoir-118501539...
Enregistrer un commentaire