Jean-François Le Cloarec, diplômé du Master MFEG de Rennes 1 en est maintenant un des tuteurs-pairs. Il a volontiers accepté de répondre à mes questions sur les différents aspects de ses rôles auprès de ses pairs, étudiants à distance.
Jacques Rodet : Après avoir été diplômé du Master MFEG de Rennes 1, tu as décidé de t'engager dans le tutorat par les pairs de ce parcours de formation. Peux-tu nous dire qu'elles ont été tes principales motivations pour cela ?
Jean-François Le Cloarec : Ma première motivation était de donner un appui aux apprenants. Le premier risque de la formation à distance est l'abandon lié au sentiment de solitude. Tout apprenant en ligne a un moment été confronté à ce sentiment, cette impression de vide... et toujours au moment où l'on aurait besoin au contraire d'une épaule pour s'appuyer avant de repartir. C'est d'autant plus vrai en formation continue où l'apprenant est déjà confronté aux difficultés liées à la reprise d'études. Ensuite, je vois ce tutorat comme un travail de partenaire. Si l'on peut apporter par son expérience, participer au tutorat est aussi un moyen de rester en contact avec l'évolution des contenus. Chacun apporte à l'autre dans une relation de partenariat.
J.R. : Quelle est ta définition du tutorat par les pairs ? Comment est-ce que tu le situes par rapport aux autres formes de tutorat ? Quelles sont selon toi les spécificités du tutorat par les pairs ?
J.-F. L.C. :Vaste question, parlons si tu le veux bien de son rôle plutôt que d'une définition forcément réductrice. le tutorat par les pairs tel qu’il est envisagé et pratiqué n’a pas pour objectif de remplacer les Tuteurs-Cours. Les Tuteurs-Pairs ont le rôle de facilitateur sur le plan méthodologique et organisationnel compte tenu de leurs expériences d'anciens apprenants de la formation. Les Tuteurs-Cours sont et restent les référents pour toutes les questions relatives à leurs enseignements. Je pense que le tuteur par les pairs se doit d'être très présent aux moments clés de la formation. En ce qui concerne le master, son intervention peut s'avérer décisive en début de formation bien sur mais aussi dans l'aide au projet de stage et à la préparation de la soutenance. Il peut être amené ponctuellement à intervenir sur les thématiques de cours, comme un médiateur des apprentissages. Cette position n'est pas toujours facile à tenir car on se pique parfois au jeu et il faut faire attention à ne pas se substituer ni aux enseignants, ni aux apprenants. Par rapport aux autres formes de tutorat, je pense que la principale relation réside dans une forme de proximité avec l'apprenant. Cette proximité se traduit par la naissance de relations privilégiées issues d'échange au cours desquels se mêlent conseils professionnels et discussions informelles. Attention à ne pas confondre néanmoins le rôle de tuteur avec celui de « bon copain » ! Mais l'aspect relationnel me paraît décisif pour que s'établisse une relation de confiance. Les apports du tuteur sont un accélérateur dans l'acquisition des savoirs.
J.R. : Quelle a été la genèse du tutorat par les pairs au sein du master MFEG ? Est-ce qu'il est la conséquence d'une démarche institutionnelle ? Au contraire, est-il apparu de manière spontanée ? Quelles ont été les principales étapes de son développement que tu as pu constatées ?
J.-F. L.C. : Il convient de préciser que l'engagement est double puisqu'il s'agit d'une proposition faite à Patrice Mouton, responsable pédagogique du Master. Il s'est montré très ouvert à toutes ces questions et a vu dans le tutorat par les pairs un complément intéressant au dispositif initial. Pour ma part je n'ai pas bénéficié de ce tutorat. Mais au sein de ma promotion nous nous sommes organisés pour assumer cette tâche à notre façon. Nous avons régulièrement travaillé en groupe et les échanges lors des regroupements ont permis d'identifier les compétences partageables entre les uns avec les autres. Le fruit de ces échanges a été la naissance de Skolanet qui s'est par la suite naturellement proposé pour institutionnaliser cette mission au sein du master. Il faut noter que cette initiative a maintenant deux ans et que dans un premier temps elle s’est plutôt concrétisée par un rôle d'accompagnateur de projet de fin d’études. Forte de cette première expérience la mission s'est élargie cette année avec une forte animation des forums et de chats audio en début d'année et un suivi très régulier des apprenants, de la recherche de stage au suivi dans l'avancée du mémoire jusqu'à la recherche d'emploi. Il y a encore des choses à faire pour que le tutorat apporte encore davantage mais il faut aussi savoir limiter son rôle pour ne pas le dénaturer.
J.R. : Comment le tutorat par les pairs est défini et présenté dans le Master MFEG ? Quelles sont les actions que tu mènes envers les nouveaux étudiants pour présenter les services tutoraux dont ils peuvent bénéficier de ta part ?
J.-F. L.C. : Le tutorat par les pairs ainsi que ces champs d’intervention sont présentés dans la charte tutorale du Master qui est distribuée en début de formation. Cela limite les effets de doublon et permet aux différents acteurs de la formation de se focaliser sur leurs missions. En ce qui concerne les actions menées, je participe aux journées de regroupement physique en début d’année au mois de septembre ce qui permet de « briser la glace » ainsi qu’aux premières classes virtuelles. Ces points sont fondamentaux pour la mise en route du dispositif. Pour preuve, cette année une deuxième session a été lancée en janvier 2010 pour laquelle je n’ai pas pu participer. La relation a été plus longue à établir avec les nouveaux venus. Sur le plan pratique, le dispositif est présenté au cours de ces journées puis un échange individualisé systématique est mis en place avec chaque apprenant. J'utilise plusieurs outils pour créer le contact avec les étudiants et leur proposer mon aide. Un espace dédié au tutorat a été mis en place sur la plateforme de formation à distance du master. On y trouve des forums mais ce mode de communication ne convient pas à tous et il est important de le compléter par le mail ou des échanges audio sur Skype ou par téléphone.
J.R. : Peux-tu nous décrire les interventions que tu effectues en direction de tes pairs ? Sur quels plans de support à l'apprentissage (cognitif, socio-affectif, motivationnel, métacognitif) se situent-elles ?
J.-F. L.C. : On peut définir deux types d'interventions. Sur un plan réactif, j'interviens sur des interrogations d'ordre organisationnels ou des problèmes techniques par exemple. Au sein de Skolanet nous sommes trois à intervenir dans ce tutorat. Outre l'atout de la complémentarité, cela facilite aussi notre réactivité et c'est un élément fort apprécié des étudiants je pense. Mais nous intervenons également de façon pro-active, particulièrement au cours du suivi de stage au cours duquel nous essayons de stimuler les étudiants pour qu'ils avancent dans leur projet et lorsque nous n’avons pas était sollicité pendant plusieurs semaines par un apprenant. Sans être un spécialiste des sciences de l'éducation, je situerai mes interventions à la fois sur les quatre plans que tu suggères. Cognitif et métacognitif car mes interventions visent à mettre l'étudiant dans une situation dans laquelle il reste l'acteur principal de ses apprentissages. Mon action ne vise alors qu'à le replacer dans une démarche de réflexion sur ce qu'il est en train d'apprendre. Socio-affectif car c'est un plan que tout formateur en ligne doit intégrer s'il ne veut pas voir ses apprenants déserter « les claviers de l'école ». Motivationnel enfin apportant une dimension « coaching » pour amener les étudiants à réussir les travaux qui leur sont demandés.
J.R. : A contrario, quelles sont les interventions que d'autres tuteurs (tuteur-cours, tuteur-programme) réalisent et que tu ne peux pas réaliser en tant que tuteur-pair ?
J.-F. L.C. : Le tuteur-pair n'a pas un rôle d’enseignant ou de formateur qui doit me semble-t-il rester l'apanage du tuteur-cours. C'est ce dernier qui décide des contenus pertinents et qui détermine le niveau de compétence auquel doit parvenir l’apprenant. Notre rôle n'est pas non plus d'organiser la formation même si nous pouvons faire remonter des demandes ou des attentes au Tuteur-Cours ou au Tuteur-Programme.
J.R. : Alain Baudrit considère que le tutorat par les pairs est efficace dans la mesure où le tuteur-pair peut se prévaloir d'une proximité sociale avec les autres apprenants. Es-tu d'accord avec cela ? Comment, à ton niveau, as-tu ressenti cette proximité ? Quelles sont les interventions tutorales que tu as pu réaliser et qui te semblent plus difficiles à assumer par les autres tuteurs ?
J.-F. L.C. : Le master de Rennes 1 s'appuie sur un fort taux d'inscrits en formation continue. Les tuteurs-pairs de Skolanet ont suivi la formation sous ce statut et exercent aujourd’hui dans des champs assez proches de ceux des apprenants du master. Effectivement, cela crée une certaine proximité sociale qui favorise les relations. Les échanges avec les apprenants reposent sur des problématiques concrètes et répondent à des situations professionnelles réelles. Nous apportons certes notre expérience mais l'objectif est aussi de permettre aux apprenants de capitaliser professionnellement sur leur montée en compétences. Cette dimension sociale est peut-être plus difficile à intégrer pour les autres tuteurs même s'ils ont tout de même rompus aux mécanismes qui animent ce type de public.
J.R. : Alain Baudrit, toujours, estime que le tuteur-pair ne doit pas être professionnalisé afin de conserver justement cette proximité. Pourtant, dans ton cas, tu as été amené, sollicité par le responsable du Master MFEG à t'investir dans des tâches plus académiques telles que l'organisation du suivi des stages en entreprise des étudiants, la guidance de la production de leur mémoire et même dans l'organisation des soutenances. Ne penses-tu pas que cela puisse te faire identifier par les prochaines promotions d'étudiants comme moins proche, plus institutionnel ?
J.-F. L.C. : D’une part, le travail sur le stage de fin d'étude est une situation d'apprentissage par nature différente de ce que les étudiants ont rencontré au cours de la première partie de la formation. Le rôle qui m'a été confié permet de conserver un fil directeur dans la formation. Il y a certes une certaine forme d'institutionnalisation mais elle s'exprime sur une partie de la formation désinstitutionnalisée puisque se déroulant au quotidien selon les règles fixées par l'entreprise et non plus par l'université. D'autre part, l'une des motivations du tuteur-pair réside dans le partenariat qu'il noue avec les étudiants. Suivre les étudiants en stage est un élément de la bilatéralité de ce partenariat. De même, confier aux tuteurs-pairs des tâches plus académiques est de nature à valoriser un travail qu'il n'est pas toujours facile de faire reconnaître comme tel dans d'autres institutions.
J.R. : A partir du moment où le tutorat par les pairs n'est pas une profession, même s'il peut donner lieu à des indemnités, il semble bien que l'action d'un tuteur-pair ne puisse être mené sur le long terme. Comment alors pérenniser ce service aux étudiants ? As-tu déjà pensé à repérer d'autres étudiants qui pourraient le cas échéant te succéder ? Dans ce cas, penses-tu opportun d'organiser une sorte de passage de relais ?
J.-F. L.C. : Il est aujourd’hui difficile de parler de long terme en ce qui me concerne puisque comme je l’ai indiqué précédemment. Il s’agit dans le cadre de ce diplôme de la première année d’expérimentation du tutorat par les pairs. Pour autant, nous avons conscience qu’il est important de pérenniser le dispositif. L’intégration de nouveaux tuteurs pairs est tout à fait envisagée pour la prochaine rentrée. Nous avons commencé à réfléchir sur plusieurs solutions qui intégreraient des tuteurs pairs au sens strict -comme dans le dispositif actuel mais également d’autres modalités qui pourraient dans l’idéal voir s’investir l’ensemble des apprenants de la promotion actuelle et précédentes. Mais bon, dans le cas présent, je pense que cela fera l’objet d’un prochain entretien !
J.R. : Pour finir cet entretien, peux-tu nous dire quels sont les principaux bénéfices personnels que tu retires de cet engagement auprès de tes pairs ?
J.-F. L.C. : En premier lieu, cette forme de tutorat permet de multiplier les expériences en me forçant à m'adapter constamment aux attentes des uns et des autres, à trouver la réponse la mieux appropriée à leur progression. Je retire une grande richesse de cette expérience sur ce plan. Et j'espère qu'il en est autant pour les apprenants. En second lieu, l'exercice du tutorat sur Rennes 1 permet de rester en contact avec une équipe pédagogique de grande qualité. Nos échanges, comme celui d'aujourd'hui, sont un moyen de continuer à travailler sur les thématiques du e-learning. Ce champ de la formation est en pleine expansion, se développe à grande vitesse et travailler au sein d'une équipe est propice à l'intégration des nouveautés et innovations. Enfin, le taux de satisfaction très important qui ressort du bilan intermédiaire qui a été réalisé il y a quelques semaines est plutôt encourageant et valorisant. Que demander de plus ?
Illustration : Picasso. Deux femmes sur la plage. 1956
2 commentaires:
Certes le tutorat par les pairs permet d'enrichir la formation à distance et donne de la motivation pour les apprenants et évite souvent les abandons. N'y a-t-il pas ici un problème de réprésentations de la part des apprenants-tuteurs?
On remarque aussi, que le tutorat par les pairs devient de plus en plus utilisé que ce soit en présence ou à distance. Cela veut-il dire que l'on a plus confiance à son copain qu'à son tuteur?
N'est-pas là une recherche de leaderships pour réussir une FOAD!
Jacques merci cet entretien très intéressant. Rémy
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