mercredi 30 septembre 2009

Inconvénients de la figure du "tuteur-orchestre". Par Jacques Rodet


A la suite de nombreux écrits sur les rôles et fonctions du tuteur
(entre autres cf. Tutorales n°2), Élise Garrot-Lavoué, Sébastien George, Patrick Prévôt, dans leur article "Rôles du tuteur", identifient 16 rôles dévolus au tuteur tel que présentés dans le tableau suivant :

Ces auteurs précisent que "le tuteur ne réalise pas simultanément tous ces rôles et n’en a pas forcément conscience". Je serai tenté de dire, heureusement !

L'identification des rôles du tuteur est certainement chose utile et de nature à enrichir la vision sur le tutorat à distance. Par exemple, à par
tir de ces rôles, il peut être décliné les différentes compétences qu'un tuteur devrait pouvoir mobiliser et cerner ainsi le contenu d'une formation de tuteurs. De manière plus opérationnelle, le superviseur des tuteurs peut plus aisément qualifier les pratiques tutorales et identifier celles qui méritent d'être davantage conscientisées par les tuteurs.

Toutefois, ce type de "référentiel" peut sous-tendre l'idée d'un "tuteur-orchestre" d'un "tuteur idéal" qui pourrait ou devrait assumer tous ces rôles. Outre le fait que l'idéal est rarement observable dans la pratique, on peut se demander s'il est souhaitable tant pour les apprenants, que pour l'institution et les tuteurs eux-mêmes.

Inconvénients de la figure du "tuteur-orchestre" pour l'apprenant
Le premier inconvénient pour l'apprenant réside certainement dans le fait que le tuteur-orchestre tend à devenir son unique interlocuteur. Si ceci peut constituer un avantage socio-affectif, en particulier au début de la formation, ou une facilité organisationnelle, il est à craindre qu'un lien de dépendance de l'apprenant à son tuteur s'établisse progressivement, à l'insu des acteurs eux-mêmes. Cette dépendance venant en contradiction avec le processus d'étayage et d'effacement progressif du tuteur envers le tutoré qu'évoquent de nombreux auteurs dans le sillage de Vygotski.

Le deuxième inconvénient pour l'apprenant est relatif à la tension existante entre les différents rôles du tuteur. Par exemple, il ne va pas de soi pour un apprenant de solliciter l'aide de la personne qui sera en charge de son évaluation (formative mais presque toujours aussi sommative). Des recherches plus précises sur la dualité de ces deux rôles nous permettraient d'y voir plus clair sur les situations vécues par les apprenants et de distinguer ce qui relève de l'autocensure de l'apprenant et de l'exercice de son autonomie.

Les autres inconvénients pour l'apprenant sont liés au fait que l'investissement du tuteur dans ses différents rôles risque de varier en fonction de ses connaissances, de son savoir-faire, de ses préférences mais aussi de sa disponibilité et de certaines injonctions paradoxales de l'institution à son égard telle que le fait de lui demander de réaliser des évaluations formatives par la production de rétroactions signifiantes mais de ne pas lui donner le temps nécessaire pour cette tâche.

Inconvénients de la figure du "tuteur-orchestre" pour l'institution
Tout d'abord, le "tuteur-orchestre" est une denrée rare. L'institution aura donc du mal à le trouver sur le marché de l'emploi. Il en découle que ce profil est onéreux ou du moins, se situant à un niveau de rémunération peu en rapport avec ce qu'autorisent habituellement les budgets de diffusion d'une formation à distance. Il est vrai que l'on peut aussi s'interroger sur la pertinence pédagogique du modèle économique de la plupart des dispositifs de FOAD qui privilégie les frais fixes en ne laissant aux frais variables, dont le tutorat, que la portion congrue...

L'institution se tourne fréquemment vers ses ressources internes pour recruter ses tuteurs. Tel enseignant assumera des tâches tutorales sur la base d'heures complémentaires à son service, tel étudiant plus avancé sera chargé du tutorat des nouveaux inscrits, tel chef de service se voit désigné tuteur sans réduction notable des ses autres activités, etc. Dès lors le double problème qui se pose vis à vis de ce personnel est d'une part, celui du développement de ses compétences tutorales et donc de sa formation et, d'autre part, du temps de travail effectif qui lui est accordé pour réaliser les tâches tutorales.

Fréquemment, le choix d'un "tuteur-orchestre" par l'institution tient malheureusement plus de l'improvisation ou de la nécessité sans mise en place de véritables mesures d'accompagnement visant l'évolution professionnelle des tuteurs. Certaines chartes tutorales sont tout à fait significatives à cet égard dans la mesure où si elles sont précises sur les objectifs, les obligations et les devoirs des tuteurs, elles sont beaucoup plus lapidaires sur leurs droits ou la manière dont ils peuvent concrètement agir et se former.

La figure du "tuteur-orchestre" a donc pour principal inconvénient pour l'institution de ne pas l'amener à penser de manière approfondie le tutorat, de sous-estimer l'effort de formation des tuteurs, de transférer la responsabilité de la qualité du tutorat au
seul tuteur, de négliger la mise en place de moyens d'organisation et de supervision du tutorat.

Inconvénients de la figure du "tuteur-orchestre" pour le tuteur
Le tuteur ayant à assumer la figure du "tuteur-orchestre" est face à plusieurs difficultés. D'une part, celle de la réalisation et de l'articulation des tâches liées à ses nombreux rôles. Le plus souvent, comme il ne possède pas toutes les compétences nécessaires, il ressent une insatisfaction professionnelle qui peut être atténuée par le fait qu'il se reconnaît davantage dans sa fonction première d'enseignant, d'étudiant ou de chef de service que dans celle de tuteur.

De nombreux tuteurs pour pallier à leur manque de préparation développent un sur-investissement qui peut aboutir à des résultats néfastes pour lui mais aussi pour l'institution et pour les apprenants. En ce qui le concerne, son sur-investissement, après une phase d'auto-satisfaction,
risque de provoquer une réelle lassitude voire un découragement. Du côté de l'institution, le sur-investissement du tuteur, qui se traduit par un temps de travail parfois très supérieur à celui dévolu au tutorat, peut la conforter dans une vision erronée du travail tutoral. Vis à vis des apprenants, le sur-investissement du tuteur peut les amener à le considérer comme une ressource pouvant être sollicitée de manière permanente et à négliger le développement de leur autonomie.

Le "tuteur-orchestre" vit aussi un isolement réel qui n'est pas toujours pris en compte par son institution. A cet égard, la mise en place de communautés de pratiques de tuteurs, si elles ne remplacent pas la formation initiale au tutorat, se révèle un moyen efficace pour rompre cet isolement.

Dépasser la figure du "tuteur-orchestre"
Au regard des inconvénients repérés de la figure du "tuteur-orchestre", et malgré les avantages qui sont les siens (mise en œuvre simple, référent unique, nouveau profil professionnel...), il apparaît nécessaire de penser le tutorat de manière différente, non plus à travers un profil idéal mais par l'articulation de profils de tuteurs (au pluriel) et de ressources de support à l'apprentissage.

Ce sont les notions de "système tutoral" (cf. un exemple) et "d'ingénierie tutorale" qui me semblent les leviers pour cela. L'ingénierie tutorale amène l'institution à penser le tutorat bien en amont de la diffusion de la formation (cf. Tutorat à distance, une fonction essentielle) tandis que le système tutoral permet d'identifier les tuteurs et leurs périmètres d'action et d'articuler leurs tâches. "Ingénierie tutorale" et "système tutoral" sont donc susceptibles de répondre aux principaux inconvénients de la figure du "tuteur-orchestre" pour l'apprenant, pour l'institution et pour le tuteur.

4 commentaires:

Folelli a dit…

Bonjour,

Je confirme en tant qu'étudiant que les matières ou nous avions plusieurs tuteurs (2 voir 3) était plus enrichissants. Dans le sens, ou une véritable discussion pouvait s'ouvrir autour d'un sujet.

Nous n'étions pas dans le systéme "collège" ou l'apprenant pose une question et l'enseignant donne une réponse sans débat possible.

Donc, le fait qu'il y ai plusieurs tuteurs permets pour moi de lancer des débats qui aideront l'apprenant à mieux assimilé.

Par contre, je suis encore étonné de lire : "il ne va pas de soi pour un apprenant de solliciter l'aide de la personne qui sera en charge de son évaluation". Je dis cela, car je ne comprends pas l'attitude de l'apprenant ... mais bon je m'éloigne du sujet "tuteur-ochestre".

Jacques Rodet a dit…

Bonjour Carl,

Merci pour ton témoignage. En ce qui concerne les réticences de certains apprenants à demander de l'aide, quelques précisions...

Un apprenant peut ne pas être disposé à recevoir de l'aide pour différentes raisons telles que le fait de ne pas repérer en quoi l'aide peut lui être utile, le manque de confiance envers la personne qui lui propose de l'aide, l'assurance qu'il a de pouvoir mener à bien ses tâches sans recours extérieur. Ainsi, le refus d'aide ne caractérise pas un profil d'apprenant particulier mais provient au contraire d'apprenants qui entretiennent des rapports très contrastés avec leur apprentissage et les personnes ressources du dispositif de formation. De celui qui ignore qu'il ignore et donc croit savoir à celui qui revendique le refus de l'altérité, le tuteur ne peut se fonder sur un seul type d'intervention pour les sensibiliser tous aux bénéfices qu'ils peuvent retirer de la relation d'aide.

Cordialement,
Jacques

Carl (Cyberyoda) a dit…

Je suis tout à fait d'accord, Jacques, et je ne me suis pas étalé sur ces raisons que vous citez : "le fait de ne pas repérer en quoi l'aide peut lui être utile, le manque de confiance envers la personne qui lui propose de l'aide, l'assurance qu'il a de pouvoir mener à bien ses tâches sans recours extérieur"

Mais je les avais bien identifié pendant ma formation et j'y pensais ce matin en rédigeant mon premier commentaire.

Le rôle de l'équipe enseignante (des tuteurs) est sans doute essentiel dans ce genre de situation. Mais mon étonnement concernait la réaction des étudiants.

Surtout en FOAD, ou nous retrouvons souvent des apprenants qui reprennent les études et qui ont l'intelligence de se dire que la formation et l'apprentissage sont nécessaire.

Comment avoir cette présence d'esprit (reprendre les études) mais ne pas avoir le recul nécessaire pour se dire : j'ai toujours besoin d'aide ou d'un avis extérieur même celui de mon évaluateur peut être utile et même si je n'ai pas confiance en ce dernier ou si je pense être sur de moi.

C'est cela qui m'étonne :-) c'est la nature humaine qui m'épate en fait !

Jacques Rodet a dit…

Anatole France disait : "Il est dans la nature humaine de penser sagement et d'agir d'une façon absurde." ;-)