mardi 1 décembre 2009

Chronique de Philippe Inowlocki : Les rôles du tuteur en ligne, méta-analyse.


Philippe Dessus et Pascal Marquet, interviewant Richard Clark, l’interrogent sur une spécificité du champ de la recherche en Sciences et Technologies de l’éducation de tradition anglo-saxonne. Il s'agit de l’énonciation de listes trop souvent pléthoriques de principes et de recommandations issues de la recherche empirique.

En effet, le Cambridge Handbook of Multimédia Learning organise nombre de ses articles autour de la formulation de principes et de recommandations.

Les chercheurs français souhaiteraient que ces principes puissent un jour prendre place au sein d'une théorie cognitive unifiée de l'apprentissage.

Jacques Rodet dans son article sur la rétroaction aux travaux des étudiants fait des propositions en direction des tuteurs issues d’une réévaluation de son premier article titré « La rétroaction support à l’apprentissage » à partir de nouveaux éléments de recherche et de réflexion issus de son expérience personnelle de tuteur-praticien et de chercheur.

Il part du singulier de son expérience pour en exprimer des propositions de portées générales dont la « véracité » est fondée sur la cohérence interne de son expérience personnelle et l’analyse des significations de celle-ci. Les concepts et la théorie interviennent comme éléments d’explicitation et d’interprétation de cette expérience personnelle et professionnelle.

Zane Berge, fondateur du site de ressources documentaires emoderators.com, (marque déposée !) prend lui le parti inverse de la démarche de l'auto-analyse de pratiques de tutorat dans un article souvent cité et recommandé par Gilly Salmon.

Il entreprend en 1995 la méta-analyse d’une vingtaine d’articles de la littérature sur les dispositifs tutorés produite par la communauté des sciences de l’éducation et des technologies dans l’objectif d’en déduire une liste de recommandations empiriques et génériques à l’adresse des tuteurs en dans les environnements collaboratifs en ligne. La démarche est une démarche de recherche de consensus sur les bonnes pratiques.

Le Dr Zane L. Berge est depuis 2007, Professeur de sciences de l’Education à l’Université du Maryland dans le conté de Baltimore. Il a été jusqu’en 2009 professeur associé dans cette université en langage, Science de l’information (Litteracy) et Culture.

Zane Berge prend comme situation de mise en œuvre pour la formulation de principes, la «computer conference » (CC) ou web-conférence ou encore webinar dans la littérature anglo-saxonne sur les TICE en privilégiant le media interactif uniquement écrit et textuel, le plus accessible en 1995 dans les universités.

Ce « méta-témoignage » est intéressant car il montre les difficultés auxquelles pouvaient se heurter les enseignants novices en matière de communication en ligne qui ont entrepris les premières expériences de tutorat au sein des forums, des outils de discussion synchrones et des newsgroups pour animer des groupes à vocation pédagogique au sein de dispositifs ouvert et à distance.

Un grand nombre de ces propositions restent pertinentes même pour les tuteurs ayant une pratique installée des réseaux sociaux d’aujourd’hui. On lit dans ce texte le terme de « online instructor » qui est employé de manière équivalente à celui de « e-moderator ». La traduction en français que nous proposons ici est présentée sous une forme résumée en espérant qu’elle ne fera pas protester trop les puristes !

Les rôles du tuteur lorsqu’il enseigne dans un environnement collaboratif

Le rôle le plus important du tuteur est d’enseigner de manière complète, en suivant un modèle choisi. Le tuteur en ligne accepte la responsabilité de conserver les traces des échanges, de faire des apports en termes de connaissances et d’intuitions. Il croise ensemble les différentes discussions, éléments du cours et maintien l’harmonie du groupe (Rohfeld & Hiemstra, 1995, p. 91).

Les conditions du succès du tutorat en ligne peuvent se répartir entre les catégories suivantes selon (Berge 95) :

Pédagogique, la plus importante, le tuteur met en place des questions, des travaux de documentation pour faire travailler les étudiants sur des dossiers qui visent l’identification de concepts, de principes et de compétences, objets de la formation.

Sociale, assurer la cohésion du groupe, créer une atmosphère propice au travail d’équipe, mettre en avant les raisons qui justifient de travailler ensemble.

Managériale : fonctions organisationnelles, procédurales et administratives.

Technique : le facilitateur doit tout faire pour que les apprenants se sentent à l’aise avec l’environnement de collaboration, le système doit être « transparent » pour la qualité des échanges de travail et de formation

Il est rare que ces rôles soient assurés par une unique et même personne.

1. Recommandations pédagogiques

1.1. Avoir des objectifs clairs : les participants doivent avoir la certitude que leurs interactions en ligne ne seront pas une perte de temps !

1.2. Maintenez autant de souplesse que vous pouvez (flexility). Les apprenants sont des individus, les cours doivent rester souples et le tuteur a pour tâche de faciliter cette propriété du cours. Plutôt que présenter un cours élaboré avec des séminaires et des agendas de rendus, ce qui est souvent un processus complexe à suivre pour les étudiants, suivez le flux de la conversation tout en la guidant dans le sens du sujet traité.

1.3. Encouragez la participation : l’usage de différentes modalités d’apprentissage peut stimuler la participation des apprenants et leurs interactions- des petits groupes de discussion, des débats, des sondages, des tâches d’échanges en plusieurs sous-groupes de deux, des échanges duels-. Mettre en valeur les contributions des étudiants aux échanges est une activité qui encourage à la participation.

1.4. Maintenir un style d’enseignement non-directif
. C’est généralement souhaitable d’éviter d’incarner une figure d’autorité en situation d’enseignement à distance, en particulier avec des adultes.


1.5. Soyez objectif dans vos appréciations
. Avant d’émettre une appréciation concernant la participation d’un étudiant conférence, prenez en considération des facteurs comme le ton et le contenu de sa contribution, l’auteur et ses compétences, connaissances et attitudes dont vous pourriez avoir une opinion à partir de ses participations précédentes. Prenez en compte le moment de sa contribution en relation avec le l’objet de la conférence.


1.6. N’ayez pas des attentes exagérées, les tuteurs en ligne peuvent se satisfaire si deux ou trois notions correctement articulées entre elles sont échangées à un point précis de la discussion.

1.7. Ne vous fiez pas aux supports en ligne, résumez les lectures en ligne obligatoires placées à l’extérieur du forum de telle façon que la collaboration en ligne demeure globalement accessible à tous et tout le temps.

1.8. Encouragez les conversations en privé aussi bien que celles qui prennent place dans l’environnement collaboratif. Créez des opportunités de conversations entre deux personnes ou plus dont vous auriez l’intuition qu’elles partagent des centres d’intérêts communs.

1.9. Trouvez des sujets de conversations qui fédèrent. Les tuteurs peuvent associer ensemble plusieurs thèmes de conversations au sein d’un résumé qui pourrait encourager les personnes à poursuivre la conversation plus tard.

1.10. Mettez en place des devoirs simples, les activités de groupe sont appropriées à ce support mais des activités trop complexes ne le sont pas.

1.11. Réaliser des supports pertinents. Développer des questions et des activités pour les apprenants en relations avec leurs propres expériences.

1.12. Solliciter des contributions, dans certain cours en particuliers, il est possible de demander à l’étudiant de s’inscrire et de contribuer de manière conséquente un certain nombre de fois. Avec certains systèmes de conférences, il peut être intéressant de considérer qu’il faut d’abord avoir répondu à la question posée avant d’accéder aux réponses postées par les participants.

1.13. Présenter les points de vue contradictoires, les tuteurs peuvent attirer l’attention vers les points de vue opposés, les différentes directions ou les opinions contradictoires qui pourraient faire émerger le débat et les critiques des collègues (pairs).

1.14. Inviter des experts dans l’espace collaboratif. Des experts invités peuvent rejoindre la conférence avec les étudiants pour répondre aux propositions et de telle manière que les étudiants peuvent poser des questions au visiteur.

1.15. Ne pas faire cours. L’expérience suggère fortement qu’une trop longue et élaborée séquence d’exposé entraîne le silence. A la place, faites appel à des courtes remarques incitant à la discussion, des exemples et des récits qui encouragent les commentaires et l’émergence d’autres point de vu.

1.16. Solliciter des réponses
, le tuteur pourrait demander à certains apprenants des commentaires sur un sujet ou une question, puis, leur donner du temps pour répondre par exemple pour le lendemain.


2. Recommandations sociales

2.1. Accepter les Voyeurs ! Reconnaissez qu’il y aura des voyeurs (Lurkers) dans la conférence et qu’ils pourraient ne jamais prendre la parole. Certaines personnes apprennent en écoutant les autres, il ne faut donc pas en déduire qu’ils ne prennent pas leur place dans la formation parce qu’ils n’interviennent pas. Les non-participants, (ou tout ceux qui rejoignent le cours plus tard) doivent être reconnus et accueillis.

2.2. Prenez soin de ne pas effrayer pendant la conférence, la peur d’être ridicule en public, freine souvent la participation dans les environnements collaboratifs. Soyez tolérants avec les commentaires des étudiants et aborder les sujets qui fâchent en privé.

2.3. Maniez l’humour et le sarcasme avec précaution
. Il vaut mieux parfois ne pas utiliser l’humour ou le sarcasme pour ne pas être mal compris pour des raisons culturelles ou ethniques. La communication à l’écran par écrit rend particulièrement difficile la transmission de l’intention du message et du ton d’autant plus que vous ne connaissez pas ou peu l’étudiant.


2.4. Faites les présentations
, le modérateur devrait encourager les participants à se présenter eux-mêmes pour faciliter la construction du groupe.


2.5. Facilitez l’interactivité
, le sens de la participation et de l’interactivité est souvent facilité par l’usage de techniques de présentation deux par deux ; ne pas oublier certains travaux qui facilitent les discussions informelles entre les apprenants.


2.6. Valorisez et reconnaissez les comportements que vous souhaitez voir apparaître dans la discussion, renforcez ces comportements en disant « merci » aux étudiants qui répondent efficacement en ligne, cela peut soutenir les interactions en toute « netiquette ».

2.7. Ne faites pas semblant d’ignorer les mauvaises attitudes de certains dans la discussion, demander d’en changer (en privé) quant aux comportements peu constructifs ; ayez une charte écrite (netiquette) à laquelle vous référez.

2.8. Attendez-vous à ce que des éclats surgissent. Les participants peuvent rompre avec la netiquette et répondre brutalement ou avec un langage non approprié,. Si ce problème devait survenir, le tuteur devra réagir et rappeler les personnes à l’ordre en privé.

3. Recommandations managériales

3.1. Avoir un ton Informel, une des manières d’encourager à la communication informelle est d’inciter les apprenants à accorder la priorité à la clarté de ce qu’ils veulent dire plutôt qu’à la grammaire et à l’absence de fautes de frappes (sauf en en cas de formation sur ces sujets !)

3.2. Distribuer une liste des participants. Ce qui facilité les prises de contacts interpersonnelles

3.3. Soyez réactifs dans vos réponses. Répondre rapidement à chaque contribution, ou lorsque cela n’est pas possible, trouvez un axe de réponse à plusieurs messages qui abordent des thèmes connexes.

3.4. L’expérience du tuteur permet de trouver les méthodes qui marchent le mieux auprès des étudiants.

3.5. Fournissez de l’information quant aux questions administratives (inscriptions administratives au cours, orientation des étudiants, comment se procurer livres et documents ; toutes ses questions qui ne sont souvent pas anticipées par les tuteurs novices.

3.6. Soyez patient. Les nouveaux messages ne sont pas toujours reconnus ou traités le jour même par les participants de la conférence, soyez prêt à attendre plusieurs jours les réponses et les commentaires, ce n’est d’ailleurs pas une raison pour remplir chaque silence avec des contributions du tuteur.

3.7. Sollicitez des commentaires
ou des rétroactions de métacommunications en invitant les participants à exprimer la manière dont ils se sentent concernant le cours tout au long de la conférence.


3.8. Organisez la synchronisation et la resynchronisation
. Autant que possible, assurez vous que les apprenants commencent une nouvelle activité en même temps d’une manière organisée, ainsi périodiquement, identifiez des moyens pour que les étudiants « redémarrent » ensemble.


3.9. Part des contributions du tuteur. Ayez en tête la règle suivante, la part d’intervention dans la conférence d’un tuteur devrait se situer entre un quart et la moitié des contributions écrites en ligne.

3.10. Procédures d’animation et de gestion de groupe. Le tuteur en ligne devrait initier les procédures et éviter les discussions frustrantes sur la mise au point des procédures à l’intérieur du groupe. Ne laisser pas ce type de discussions prendre le pas sur l’objet du cours.

3.11. Adressez des emails privés
pour prévenir les apprenants qu’il est grand temps de venir participer à la discussion, solliciter des suggestions…


3.12. Soyez clairs. Présenter les sujets de la conférence de manière succincte et claire ainsi que vos attentes en termes de participations et de production de la part des étudiants.

3.13. Ne surchargez pas, Le tuteur devrait gérer la conférence de sorte que pas plus de l’équivalent d’un long article par jour ne soit produit, si les participants doivent produire de manière importante alors le tuteur rédigera moins de messages de sorte que les étudiants les plus lents puissent suivre.

3.14. Changez de place les sujets de discussion
placés au mauvais endroit dans le forum.


3.15. Tenez le cap des thèmes et des sujets de discussions pour évitez les digressions en rappelant aux auteurs le sujet.

3.16. Tenez compte de la manière dont participent les étudiants au forum. Contactez les en privé s’ils interviennent trop, demandez leur d’attendre quelques réponses avant de rédiger une contribution, de la même façon, adressez-vous à ceux qui ne s’expriment pas assez.

3.17. Les étudiants leaders. Il est tout à fait raisonnable de chercher à mettre en ligne le maximum de supports de cours de sorte que certains étudiants puissant prendre à tour de rôles la fonction de tuteur-assistant (assistant moderator) et dirigent les discussions. Ceci suppose que l’on ait étudié le niveau de compétences, de connaissances et d’attitudes des étudiants.

3.18. Temps de préparation. Les enseignants trouvent que la planification, le développement et la diffusion de supports de cours nécessitent un temps significativement plus long que celui qu’ils avaient estimé.

3.19. Fin de la session. Décidez de la fin de chaque sujet de discussion et de la fin de la conférence, concluez de sorte que la discussion ne se prolonge pas au delà des objectifs du cours.

3.20. Réunissez des tuteurs expérimentés
. Evitez d’avoir à la fois un enseignant débutant et en plus lui demander d’enseigner en ligne pour la première fois.


4. Recommandations techniques

4.1. Mettez en place du support technique
. Proposez des sessions de tutorat en face à face pour la prise en main de l’outil de conférence sur ordinateur pour les débutants, si ce n’est pas possible, il peut être utile d’avoir des personnes disponibles pour le support technique pour répondre aux emails et au appels téléphoniques.


4.2. Fournissez des réponses rapides en particulier pour les problèmes techniques.

4.3. Diffuser un guide pédagogique. Fournir un support qui détaille à la fois le contenu du cours et les questions techniques est important, il peut servir de base aux discussions, fournir de l’information pour l’introduction ou des ressources, toute information sur l’organisation du cours.

4.4. Fournissez du temps pour apprendre. Les apprenants qui utilisent un nouveau système en ligne pour la première fois ont besoin de temps pour être à l’aise avant de participer aux échanges.

4.5. Travaillez à de nouvelles méthodes pour fournir des corrections et des rétroactions aux étudiants, vous aurez besoin de définir par exemple si le travail des apprenants sera évalué par des documents en ligne ou des copies d’examen standards.

4.6. Encouragez le travail des élèves les moins avancés avec les élèves avec le plus d’expérience.

4.7. Eviter de diffuser votre cours par écrit. Un simple exposé ne devrait pas dépasser deux écrans, des articles plus long sont difficiles à lire à l’écran, rendent tiède l’intérêt pour le cours et empêchent la discussion. Si le texte est au programme, envoyez-le séparément.

4.8. Donner des directives, mais ne pas en donner trop, les apprenants sont souvent réticents si la structure du dispositif est trop rigide.

Publiez en 1996 cet ensemble de préconisations de Z.Berge est toujours en usage et largement diffusé ,chacune des propositions demanderait à être actualisée à partir des technologies actuelles ainsi que de la construction de schèmes cognitifs et des habiletés qui ont émergés parmi les enseignants et les formateurs parallèlement.

Prendre position personnellement sur chacune d’entre elles, en termes de nuances et de contradictions pourrait faire l’objet d’un captivant travail collaboratif. « Que pensez-vous de cette affirmation » ?

Références

The Role of the Online Instructor/Facilitator, Zane L. Berge, Ph.D. en PDF

Une version modifiée de cet article apparait dans : Berge, Z.L. (1995). Facilitating Computer Conferencing: Recommendations from the Field. Educational Technology. 35(1) 22-30.

Chapitre 16 : "The collaboration Principle in Multimedia Learning" in Mayer R. E. (Ed.), The Cambridge handbook of multimedia Learning, Cambridge, Cambridge UP, 2006.

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