Simples, populaires, polyvalents et ouverts, les outils du Web 2.0 lèvent plusieurs
des contraintes que les technologies antérieures imposaient à la formation à distance
et qui la limitaient souvent à des démarches d’apprentissage transmissives,
textuelles et solitaires. En multipliant les choix et les scénarios utilisables,
le Web 2.0 lui donne l’occasion de remettre les outils à leur place, celle de moyens
au service d’objectifs d’apprentissage et de démarches pédagogiques.
Cette citation de la recherche que j’ai effectuée pour le Réseau d’enseignement francophone à distance du Canada (REFAD) est indicative des changements importants que pourraient apporter le Web 2.0 et les médias participatifs que l’on y associe — principalement les wikis, blogues, réseaux sociaux et sites de partage de médias— à la conception des formations à distance.
Mais quels pourraient être, comme me le demandait Jacques Rodet, les usages et impacts particuliers de ces outils sur les rôles, les compétences et les tâches liées à l’encadrement ou, pour reprendre les trois axes de son billet « Qui fait le tuteur à distance ? », sur le pouvoir, les savoir et le vouloir des tuteurs ? Examinons quelques pistes.
Le savoir : des compétences pour et par les médias sociaux
Quel que soit l’institution ou le mode de formation en cause, l’évolution du Web modifie nos façons d’interagir, d’apprendre et d’enseigner. Elle nécessite en conséquence le développement de certaines compétences, spécialement pour faire face à la surabondance des contenus qu’il offre, la multiplicité de ses outils, l’instantanéité, la mobilité et la personnalisation de ses communications.
L’amélioration des compétences informationnelles, sur lesquelles insistait déjà le Mémoire sur le développement de compétences pour l’apprentissage à distance (2), prend encore plus d’importance. Comme chaque internaute peut maintenant créer facilement des contenus, la quantité de données générées atteint des niveaux vertigineux. Le Web 2.0 nous offre toutefois de nombreux outils pour aider à la gestion de cette information et à la mise à jour de nos connaissances. En priorité, je suggérerais l’apprentissage de l’agrégation des flux (RSS ou autres), notamment ceux de blogues et de signets partagés (3). La création d’alertes de recherches automatisées est aussi fort utile. Ces instruments sont également indispensables pour assurer le suivi des étudiants lorsqu’ils contribuent à des médias sociaux.
Mais même à l’aide de ces outils, il est sans doute illusoire de penser s’informer adéquatement sans échanger avec d’autres praticiens et partager ses expériences. L’appartenance à une « communauté de pratique » est notamment un excellent moyen d’identifier, parmi les centaines d’applications qui sont créées quotidiennement, celles qui ont démontré leur utilité en formation. À cet effet, le Web 2.0 nous permet de prendre part à des groupes d’échange entre pairs, comme le réseau de t@d sur Facebook ou le gazouillis du REFAD sur Twitter. Mais il offre aussi de fréquentes occasions de participer virtuellement à des rencontres et à des discussions, par exemple au colloque Encadrement des étudiants en FAD : pratiques, réflexions et prospective le 7 mai.
Employer ces outils, d’abord comme lecteur puis progressivement comme commentateur et créateur, permet par la même occasion de développer des compétences en gestion de son identité numérique de façon à distinguer de façon appropriée ses espaces personnels et professionnels et à protéger leurs contenus. Les exemples qu’on y trouve aident aussi à mieux comprendre les utilisations et styles rédactionnels associés à chaque média social.
À l’inverse, les logiciels du Web 2.0 réduisent notre besoin de compétences techniques. Ce sont des outils à la portée de tous — leur popularité en témoigne — qui permettent de publier rapidement en ligne (4), sans dépendre de spécialistes ou nécessiter de formations approfondies (5).
Le vouloir : des usages pour l’interaction tuteur-étudiant
L’institution prescrit souvent les médias à mettre en œuvre dans un cours à distance, particulièrement pour les tâches menant à une évaluation sommative. Cependant, le tuteur dispose généralement d’une certaine latitude pour choisir ses propres modes de communication avec les étudiants ou ceux qu’il leur propose pour interagir entre eux. Il peut donc, dans ces contextes, utiliser ou suggérer certains logiciels du Web 2.0.
Par exemple, il peut les employer pour humaniser le contact tuteur-apprenant, développer ce lien affectif qui est souvent indispensable à l’apprentissage. Des présentations parfois convenues sont maintenant de mises dans presque toutes les formations en ligne. La publication de son propre blogue ou d’un profil dans un réseau social permet toutefois au tuteur d’établir un contact moins impersonnel (6), de partager plus informellement des opinions, des productions ou des lectures ainsi que certaines informations sur lui-même (photos, vidéos, préférences musicales, etc.).
Les wikis, qu’ils soient intégrés à un environnement d’apprentissage ou hébergés, sont pour leur part un excellent moyen de constituer des ressources collectives évolutives pour un cours, par exemple une foire aux questions, un glossaire ou une webographie. Ils permettent aussi de suivre facilement les diverses contributions faites à un travail d’équipe et donc de mieux les évaluer.
Beaucoup d’étudiants ont maintenant leurs propres blogues, réseaux sociaux ou microblogues (Twitter) ou déposent des ressources multimédias sur des sites comme YouTube (7). Les inciter à partager ces liens avec le groupe et inviter chacun à s’y abonner est une autre façon d’encourager l’interaction. Ces outils permettent en effet l’échange dans un contexte et un format moins contraignant et des discussions sur des sujets externes au cours. Ils facilitent l’ajout de contributions multimédias. Ils peuvent — particulièrement en ce qui a trait aux blogues — encourager les pratiques réflexives et l’expression écrite et constituer, à terme, un véritable portfolio professionnel pour l’étudiant. Les contributions qui y sont faites peuvent facilement être citées ou reprises dans un forum ou un autre environnement propre au cours. Pour le tuteur, le caractère souvent très personnel des remarques que l’on y publie peut aider à détecter des étudiants à risque d’abandon ou d’échec (8). Ces médias, particulièrement les microblogues, sont aussi pour le personnel d’encadrement des outils de communication rapides d’activités, de changements ou de ressources liés au cours.
Le pouvoir : vers une redéfinition des rôles ?
Au-delà de ces usages plus immédiats, ce que ces nouveaux réseaux paraissent annoncer de plus marquant en formation est un déplacement de la relation de pouvoir entre l’institution et ses tuteurs, d’une part, et entre ceux-ci et l’apprenant, d’autre part. Il s’agit en effet d’une évolution du Web où :
« L’initiative et le pouvoir migrent des formateurs et des technologues vers les étudiants et leurs communautés, qui coconstruisent leurs contenus et choisissent les technologies qui les supportent. Il permet des environnements d’apprentissage plus centrés sur l’apprenant, plus coopératifs et multimédias, où les outils comme les contenus sont en continuelle transformation. Cette évolution appelle à une redéfinition du rôle du formateur à distance : l’accompagnement en temps réel d’une démarche plus personnalisée des étudiants prend le pas sur l’expertise du domaine et le développement de matériels pédagogiques. » (9)
Je fais l’hypothèse que, dans ce contexte de changement rapide des technologies et des données, la « valeur ajoutée » d’une formation ne tient plus essentiellement à la richesse des contenus créés pour elle, une quantité phénoménale de ressources de haut niveau étant maintenant aisément accessibles en ligne. Elle est plutôt liée à l’intérêt du scénario pédagogique proposé et à la qualité de l’accompagnement nécessaire pour découvrir, interpréter, organiser et intégrer ces « données à l’échelle épique », selon l’expression de Anderson (2007) (10).
Ce besoin d’accompagnement continu accroîtra-t-il l’importance du rôle du tuteur ou pourra-t-il, au contraire, être largement assumé par l’entraide et la collaboration entre pairs que les outils du Web 2.0 facilitent aussi ? L’expérience des forums de discussion ou celle, plus récente, des multiples groupes professionnels plus ou moins actifs existant dans les réseaux sociaux indiquent, me semble-t-il, que les communautés — réelles comme virtuelles — ne s’autoaniment que très exceptionnellement. Des regroupements dynamiques comme ceux de t@d ou d’Apprendre 2.0 témoignent au contraire de l’importance d’une animation continue et de qualité, demandant un effort substantiel.
L’un des principaux défis que présentent ces outils, particulièrement pour les tuteurs, est en conséquence celui de la disponibilité et de la gestion du temps. Comme l’indique Jean-Paul Moiraud dans « Temps numérique, temps statutaire », les technologies sont généralement chronophages. Le phénomène s’amplifie avec le Web 2.0. La mobilité des terminaux, qui permet d’accéder en tout temps au Web, entraîne une quasi-instantanéité des communications et donc des attentes de réponses immédiates et de mises à jour fréquentes, souvent en parallèle sur plusieurs réseaux. Bref, les délais raccourcissent et les outils se multiplient. Comment pourra-t-on faire face à ce défi ? Faudra-t-il repenser l’organisation des tâches d’encadrement ? Implanter, par exemple, le tutorat en équipe ? Reconsidérer les exigences ou adapter la rémunération ?
On doit toutefois se demander si les institutions dédiées à la formation à distance adopteront ces médias autrement que comme moyens de promotion ou d’information. Leur capacité de favoriser la socialisation et donc de briser l’isolement dont on s’inquiète souvent en FAD suscite clairement un intérêt. Le projet Osmose au Cégep@distance en témoigne. Mais les expériences d’utilisation du Web 2.0 semblent, en fait, beaucoup plus nombreuses dans des contextes d’enseignement en présence ou bimodal. Peut-être est-ce justement parce que l’organisation des établissements spécialisés en FAD, souvent centrée sur l’expertise du contenu et son développement, sur des cycles de création et de mise à jour longs et sur un statut ad hoc des fonctions d’encadrement, s’y prête mal ? Ces institutions devront-elles se limiter à des cyberformations « toutes faites » pour des étudiants souhaitant un apprentissage plus individuel ? Ou sauront-elles s’adapter pour offrir aussi des cheminements plus constructivistes, en évolution constante, et repenser en conséquence les rôles de chacun et les fonctions d’encadrement ?
Bref, les outils du Web 2.0 sont à tout le moins des catalyseurs de questionnements profonds sur le métier de formateur, l’importance de l’interaction sociale en apprentissage (11) et le modèle d’éducation à distance à privilégier. Quelles que soient les réponses qui seront apportées, la réflexion suscitée est, en soi, un impact important de cette évolution du Web.
L'évolution du Web et son impact sur la formation à distance : un scénario possible.
Notes
(1) Audet, Lucie. (2010). Wikis, blogues et Web 2.0. Opportunités et impacts pour la formation à distance. Réseau d'enseignement francophone à distance du Canada (REFAD). 99 pages.
(2) Audet, Lucie. (2009). Mémoire sur le développement de compétences pour l’apprentissage à distance. Points de vue des enseignants, tuteurs et apprenants. Réseau d'enseignement francophone à distance du Canada (REFAD). 97 pages.
(3) Voir, à titre d’exemple, les flux agrégés par Carsten Wilhelm sur les TICE, les TIC, et la eFOAD, sous Netvibes, ou les signets du RÉCIT.
(4) Par exemple, Vandal (2006) écrit dans « Blogues et éducation - Tour d'horizon » que : « Montre en main, il ne faut pas plus de cinq minutes pour créer un blogue ».
(5) Au besoin, on trouve toutefois sur le Web de nombreux guides, entre autres les Fiches d’autoformation de Franc-parler ou celles du document Wikis, blogues et Web 2.0, ainsi que plusieurs tutoriels vidéos pour aider à les maîtriser.
(6) Selon Mazer, Murphy et Simmond (2007), dans “I’ll see you on “Facebook”: The effects of computermediated teacher self-disclosure on student motivation, affective learning, and classroom climate” et O’Sullivan et autres (2004), cités par Blattner et Fiori (2009), l’autodivulgation d’information par le formateur contribuerait à la perception positive de l’enseignant et du cours par les étudiants.
(7) Les deux tiers des internautes utiliseraient maintenant les réseaux sociaux selon Universal McCan (2009).
(8) C’est ce qui se serait produit à l’Université de Brighton selon ce que Franklin et Harmelen (2007) indiquent dans “Web 2.0 for Content for Learning and Teaching in Higher Education”.
(9) Audet, L. (2010), op.cit.
(10) Anderson, Paul. (2007). What is Web 2.0? Ideas, technologies and implications for education. JISC Technology and Standards Watch. 64 pages.
(11) À ce sujet, voir notamment Chomienne (2010) : « Le projet Osmose : bilan de six mois d'expérimentation » dans Le Bulletin Clic.
Source de l'image : http://edgewatertech.wordpress.com/2008/11/18/web-20-for-insurance-questions-and-answers/(1) Audet, Lucie. (2010). Wikis, blogues et Web 2.0. Opportunités et impacts pour la formation à distance. Réseau d'enseignement francophone à distance du Canada (REFAD). 99 pages.
(2) Audet, Lucie. (2009). Mémoire sur le développement de compétences pour l’apprentissage à distance. Points de vue des enseignants, tuteurs et apprenants. Réseau d'enseignement francophone à distance du Canada (REFAD). 97 pages.
(3) Voir, à titre d’exemple, les flux agrégés par Carsten Wilhelm sur les TICE, les TIC, et la eFOAD, sous Netvibes, ou les signets du RÉCIT.
(4) Par exemple, Vandal (2006) écrit dans « Blogues et éducation - Tour d'horizon » que : « Montre en main, il ne faut pas plus de cinq minutes pour créer un blogue ».
(5) Au besoin, on trouve toutefois sur le Web de nombreux guides, entre autres les Fiches d’autoformation de Franc-parler ou celles du document Wikis, blogues et Web 2.0, ainsi que plusieurs tutoriels vidéos pour aider à les maîtriser.
(6) Selon Mazer, Murphy et Simmond (2007), dans “I’ll see you on “Facebook”: The effects of computermediated teacher self-disclosure on student motivation, affective learning, and classroom climate” et O’Sullivan et autres (2004), cités par Blattner et Fiori (2009), l’autodivulgation d’information par le formateur contribuerait à la perception positive de l’enseignant et du cours par les étudiants.
(7) Les deux tiers des internautes utiliseraient maintenant les réseaux sociaux selon Universal McCan (2009).
(8) C’est ce qui se serait produit à l’Université de Brighton selon ce que Franklin et Harmelen (2007) indiquent dans “Web 2.0 for Content for Learning and Teaching in Higher Education”.
(9) Audet, L. (2010), op.cit.
(10) Anderson, Paul. (2007). What is Web 2.0? Ideas, technologies and implications for education. JISC Technology and Standards Watch. 64 pages.
(11) À ce sujet, voir notamment Chomienne (2010) : « Le projet Osmose : bilan de six mois d'expérimentation » dans Le Bulletin Clic.
1 commentaire:
Très intéressé par le cadre global d'analyse fourni et les perspectives tracées. Merci.
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