Apprentissages plus ou moins formels Episode 1 : L’Europe en première ligne !
ou la rencontre durable de plus en plus improbable entre l’apprenant avec les formateurs, et donc, vers des responsabilités nouvelles à partager…
L'idée de cette deuxième série d’épisodes est poursuivre illustration (voir série 1 «Apprenant sans formateur ?») du rôle clé que les tuteurs et les formateurs vont assumer dans le cadre d'action de formation, immanquablement de plus en plus ouverte, pour s'adapter aux nouvelles contraintes, opportunités et invitations à apprendre qu'offre, ou devrait offrir à tous, notre société numérique, dite de la connaissance...
Prochains épisodes (sous réserve de confirmation) : L’apprentissage informel vu du coté : des entreprises (épisode 2), des organismes de formation (épisode 3) et de l’apprenant lui-même (épisode 4),
Introduction
La revue internationale Savoir (1), a organisé le 07 avril 2011 à Négocia Paris, une journée d’étude sur le thème «Les apprentissages informels, continent caché de la formation tout au long de la vie». Tout est dans le titre ! (2) Le directeur général de l’UNESCO, K. Matsuura, faisant allusion à la soif mondialisée de compétences, proclamait en octobre 2008 «qu’aujourd’hui, ce n’est plus le savoir qui tourne autour de la société, mais la société autour du savoir». Cette inversion explique, en partie, ce nouveau zoom pour cet eldorado de la connaissance. Les physiciens (3) nous disent que seul 1/9 de la masse d’un iceberg émerge. La prise en compte de cette partie cachée, ou plutôt diversement reconnue, de toutes formes d’apprentissage, appliquées particulièrement dans notre secteur de la formation continue et professionnelle, devrait impacter nos représentations, nos organisations et nos gestes professionnels. Ces postures adaptées nécessiteraient de conforter la reconnaissance de la capacité naturelle d’adaptation de tout à chacun, d’apprendre et de s’auto-organiser dans ses apprentissages. Cette nouvelle donne se mettra d’autant plus facilement en place, à condition que les contextes ouverts valorisent durablement ces acquis diffus dans les différents espaces-temps de nos vies.
L’Europe, à l’initiative !
Les premiers textes abordant précisément cette problématique sont issus de la Commission Européenne (4) dans le cadre de la mise en place de sa politique «Apprentissage tout au long de la vie». La commission définit trois types d’apprentissages. Ces définitions constituent des références sur lesquelles chaque acteur s’appuie avec son propre approche.
L’apprentissage formel se développe dans des lieux institutionnalisés, dédiés à la formation, où il existe une intention explicite partagée de mettre en œuvre, et donc, de profiter de conditions d’un environnement propice à un apprentissage observable et quantifiable. Ces actions aboutissent à une certification plus ou moins marquée. Ce sont, bien-sûr, les écoles, les lycées, les CFA, les universités, publiques, privées et corporate, les organismes de formation, mais aussi, plus récemment, des Points d’Accès à la Téléformation, etc… plus communément appelé l’appareil d’éducation et de formation continue, mis en place et piloté dans chaque pays.
L’apprentissage non formel correspond à une volonté d’une personne de fréquenter un lieu culturel, associatif, familial, ou autre, pour apprendre convivialement. Cela peut être le partage d’une recette de cuisine, la pratique d’une langue étrangère ou d’un sport, la maîtrise d’un instrument de musique ou des techniques théâtrales, la prise en main guidée d’un outil informatique, l’exploration instrumentée du ciel étoilé, la mise en oeuvre d’une culture bio dans son jardin, de la gestion d’un territoire, etc… Avec cette deuxième approche, la Commission Européenne qualifie la dimension citoyenne comme un levier important pour un accès de proximité, entretenu et démultiplié des connaissances. Pour cela, apparaissent, diversement en Europe, des dynamiques territoriales avec des organisations d’échanges réciproques de savoirs, des espaces ouverts d’apprentissage, des lieux de proximité, des cercles communautaires, des espaces publics numériques et de multiples associations.
L’apprentissage informel naît d’une multitude de situations qui s’inscrivent dans la continuité de notre vie personnelle, sociale ou professionnelle, de plus en plus, qui permet par l’observation, l’imitation, l’échange, l’action, la production, la collaboration ou toutes autres stratégies, d’acquérir ou de renforcer un savoir, un savoir-faire ou un savoir-être ; base de capital de nos compétences. Ces temps enrichissent notre potentiel d’expériences, sans être pour autant, repérés comme temps de formation, stricto sensu. Des études nord-américaines estiment que plus des 2/3 de nos connaissances, ou savoirs, sont aujourd’hui issus de cette dynamique personnelle diffuse !
Formaliser l’informel !
Ce qui semblerait distinguer ces trois types d’apprentissages, serait le croisement des intentions institutionnelle et personnelle. Pour le premier cas, elles s’entrelacent clairement, à condition que l’élève, l’étudiant, le stagiaire ou l’apprenant s’appuie sur une motivation continue pour apprendre. Dans le second, l’une est en partie absente, mais l’autre assure à elle seule une implication forte. Enfin, dans la troisième, aucune n’est affichée ou activée, et pourtant, cette situation apparaît la plus productive, en terme de capital savoir.
Ces apprentissages informels marquent un paradoxe. On apprendrait plus, quand on n’apprend pas ! La projection de ce paradoxe est susceptible de tracer, à la fois quelques voies fertiles pour valoriser la capacité fondamentale de chacun d’entre-nous à apprendre, et aussi, quelques pistes gênantes pour marginaliser l’apprentissage formel, au profit survalorisé d’apprentissages informels, en quelque sorte, instrumentalisés. Dans le premier cas, il s’agit d’une opportunité forte pour installer, sur des bases saines et stimulantes, une relation tutorale d’accompagnement douce, associant toutes les formes d’apprentissage complémentaires. Dans le second, il pourrait être question de faire porter une grande part, trop grande, de responsabilité sur la personne, en cherchant à limiter là aussi, pour des raisons économiques essentiellement, les temps de formations formelles. Philippe Carré, en reprenant la citation, elle aussi paradoxale, «On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres !» rappelle la dimension immanquablement sociale de tout apprentissage. Qu’ils soient formels ou informels, ce sont les interactions avec ses proches, pairs et tuteurs qui donnent sens et valeur à nos apprentissages.
Si l’Europe porte haut et fort le concept d’apprentissage tout au long (et tout au large) de la vie, reste (encore) à le mettre en oeuvre de manière cohérente et durable. Une pluralité de territoires et de publics est concernée par cette dynamique ouverte de porosités positives négociées : formel-informel certes, mais aussi individuel-collectif, personnel-professionnel ou en terme d’activités comme proximité-distance, s’informer-se former-s’autoformer, travailler-apprendre-collaborer, simuler-jouer-tester, réel-réel augmenté-virtuel, etc… Nous nous proposons d’éclairer, dans les prochains épisodes, ces territoires où l’explosion du numérique favorise des nouveaux rapports aux savoirs, avec un lien fractal aux savoirs éclatés. Cela génère de nouveaux espace-temps d’apprentissages. Nous souhaitons y intégrer vos éventuelles remarques, via les commentaires recueillis sur le blog de t@d, pour mieux cerner l’inévitable alliage subtil, personnalisé et fort, entre nos apprentissages formels et informels. Dans notre contexte lié à l’accompagnement, nous cherchons à en tirer profit pour mieux ajuster et consolider la place du tutorat dans ce double effet de résonance et de mise à distance.
Jean Vanderspelden – Consultant ITG – Mai 2011
jean.vanderspelden@free.fr - http://www.viadeo.com/fr/profile/jean.vanderspelden
Notes
(1) En collaboration avec Interface Recherche, le GARF, l’AFREF, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris, l’Université de Paris Ouest Nanterre et Négocia-Advancia. Plus d’informations sur : http://savoirs.u-paris10.fr/
(2) Même si, dès 1931, Paul Valéry annonçait «Le temps du monde fini commence !».
(3) La masse volumique de la glace d'eau pure étant d'environ de 920 kg/m³ et celle de l’eau de mer d'environ 1 025 kg/m³, 90 % du volume d'un iceberg est situé sous la surface de l'eau, et il est difficile de déterminer la forme qu'adopte cette partie à partir de celle qui flotte au-dessus de la mer. Source : Wikipédia – Voir la photo montage ci-dessus ! Métaphore datée de 2002 et empruntée à A. Tough, universitaire canadien.
(4) En 2004, la Commission Européenne publie les premiers textes reconnaissant l’importance et la pertinence de l’apprentissage, en dehors du contexte de l’éducation et de la formation formelles. En mai 2004, le Conseil européen a adopté une série de principes européens communs pour l’identification et la validation de l’éducation et de la formation non formelle et informelle – Voir http://ec.europa.eu/education/lifelong-learning-policy/doc52_fr.htm
Illustration : source Wikimedia Commons
5 commentaires:
Bonjour,
Difficile de piloter la dérive d'un iceberg dans un océan, et pourtant, on continue à encadrer les adultes dans des formations avec des prescriptions de plus en plus contraignantes, tant du coté des dispositifs publics que des entreprises.
Merci Jean de souligner ce rappel fondamental : l'apprentissage est d'abord une affaire personnelle tout azimut, mais qui s'appuie forcément sur un socle formel de savoirs. Une réponse serait donc d'ouvrir au mieux, avec l'appui des financeurs et des commanditaires, toutes les formations pour qu'elles puissent s'appuyer et intégrer cette dynamique informelle d'apprentissage, favoriser et accompagner les interactions.
Serge
Pas vraiment d'accord avec ce billet...pas du tout même...il y a de l'apprentissage formel en dehors de l'institution...et de l'apprentissage informel dans l'institution...:-)
Au fait ! :-) Mon point de vue
http://www.entreprisecollaborative.com/index.php/fr/articles/163-apprendre-en-reseau-entre-formel-et-informel
Bonjour Serge, Bonjour Florence,
Merci pour vos contributions respectives. Ce premier billet avait juste pour ambition de poser des premiers repères.
A l'heure ou le concept d'apprenance cherche à prendre corps, je partage la réflexion de Florence sur la valeur de la distinction entre apprentissages formel et informels, développée dans son article cité.
Les prochains billets éclaireront cette nouvelle donne...
Jean
Bonjour,
Dans la bonne tradition de Joffre Dumazedier, je m'interroge sur la pertinence de l'allant de soi suivant lequel
"l’apprentissage "formel" se développe dans des lieux institutionnalisés, dédiés à la formation, où il existe une intention explicite partagée de mettre en œuvre, et donc, de profiter de conditions d’un environnement propice à un apprentissage observable et quantifiable. "
Or, la définition de formel est, selon le Robert "Dont la précision et la netteté excluent toute méprise, toute équivoque".
La complexité d'un apprentissage ne permet pas d'aboutir à une description précise excluant toute équivoque. Ainsi, l'intention explicite d'apprentissage (de l'institution) s'accompagne toujours d'effets non prévus. De plus, des interactions s'établissent (ou non) entre les acteurs indépendamment de la volonté de l'institution qui ne peut tout prévoir. Autrement dit, caractérisé un apprentissage de "formel" est une mission impossible à ce degré de généralité, ce qui conduit Jean à proposer de formaliser l'informel !
En fait un apprentissage dit "formel", est un apprentissage, organisé par des institutions, dans des lieux ... où se déroule un processus dynamique enseigner/apprendre. Pour les caractéristiques de ce processus qui peuvent être objectivées, on pourra formuler de manière plus ou moins précise ces caractéristiques qui peuvent d'ailleurs évoluer pendant le déroulement du processus et suivant le contexte. (voir : •Zürker R., 2010, «Teaching Learning processes : between informality and formalization» in INFED http://www.infed.org/informal_education/informality_and_formalization.htm
Il est également intéressant de noter que, du point de vue institutionnel, les autres apprentissages qui ne sont pas de son ressort sont caractérisés comme non-quelque chose (le terme informel étant un anglicisme), établissant ainsi une hiérarchisation implicite alors que, pour certains, la majorité de ce que nous savons vient de nos expériences !
La prédominance, nécessaire pour un accès démocratique à l'éducation, des institutions dans le champ de l'éducation ne doit pas faire oublier que le champ de l'éducation est plus large que celui des Sciences de l'éducation. De plus, il ne faudrait pas, par un effet de balancier, passer d'un centrage sur "Enseigner" à celui sur "Apprendre", les deux étant indissociables. On est toujours enseigner : par soi, par les autres (dont les enseignants et les formateurs, mais ils ne sont pas les seuls à intervenir), par l'environnement. On apprend en permanence. Ce sont les situations d'apprentissage qui font que le processus enseigner/apprendre prend des formes spécifiques.
Pour traduire "learning" en français, il est préférable d'utiliser apprentissages avec un "s" pour se différencier du sens restrictif de "l'apprentissage à un métier".
PL
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