mercredi 3 mars 2010

Usages et expérimentation du tutorat dans les mondes virtuels. Par Jean-Paul Moiraud


I. Le contexte


Je suis enseignant dans une école d’art appliqué qui forme des designers de mode, textile et environnement. J’exerce en tant que professeur de gestion. Le scénario proposé s’inscrit dans une réflexion centrée sur la formation initiale de l’enseignement secondaire.

A. Le cadre de la formation

L’école forme des étudiants de niveau BTS (brevet de technicien supérieur), DMA (diplôme de métier d’art) et DSAA (diplôme supérieur d’art appliqué) en formation initiale.

Les apprentissages s’exercent principalement en présentiel dans le cadre d’un enseignement frontal pour les disciplines de l’enseignement général et en laboratoire de création (ex atelier) pour les disciplines du champ des arts appliqués. Il est prévu dans les référentiels des moments de co-enseignement (art appliqué, philosophie). Le présentiel synchrone est donc dominant.

La volonté d’introduire le numérique dans le cours de gestion répond à un besoin d’enrichir le présentiel. Il est désormais techniquement possible de perturber les repères temps et espace, de rendre plus souple le travail collaboratif (1), de multiplier le nombre des acteurs. Les enjeux de cette construction pédagogique sont développés en ligne (2).

B. La nature des formations


Les étudiants qui embrassent ces études, exerceront dans les métiers de la mode et du textile pour occuper des fonctions diverses, de type :

Directeur de collection - «Orienter et coordonner le travail entre les studios les ateliers les chefs de produits et les licenciés à partir des tendances de mode jusqu'à la présentation de la collection aux acheteurs en garantissant la cohérence d'une ou plusieurs lignes de produits dans le respect du style défini par le créateur». Source FORTHAC
Styliste habillement - «Créer et concevoir des lignes nouvelles de produits, en tenant compte des caractéristiques du style et de l'image de la marque» - Source FORTHAC
Concepteur - créateur textile «Elaborer et gérer la collection à partir des cahiers de tendance, des besoins du marché et de la stratégie de l'entreprise (image de marque, cible,...)» Source FORTHAC

C. Les enjeux professionnels

Les étudiants en formation vont intégrer un milieu professionnel spécifique largement influencé par le modèle économique dominant actuel. Le rapport de Madame Clarisse Perrotti - Reille du ministère de l’économie et des finances fixe le cadre et les enjeux de cette profession. Le monde de la mode est à ce jour presque totalement globalisé, en conséquence les relations professionnelles sont de type réticulaire. La conception est localisée dans les pays riches de l’ouest et la fabrication à l’est dans les pays à faibles coûts. Les effets cumulés de la globalisation et de la généralisation des réseaux numériques contraignent les professionnels à communiquer via les réseaux numériques, à revisiter leurs interactions professionnelles :

- «Plus qu’une réelle mondialisation des échanges, il s’agit d’une délocalisation massive de la production au profit d’un nombre limité de pays, principalement en Asie. En effet, le nombre des acteurs est restreint et la Chine joue un rôle prépondérant. Les principaux exportateurs –par ordre décroissant- sont outre la Chine et l’Union européenne : la Turquie, l’Inde, la Corée, Taiwan, le Pakistan, le Mexique.» - Clarisse PEROTTI-REILLE in STRATEGIE TEXTILE HABILLEMENT (2007)

- «Les moteurs premiers de cette impressionnante délocalisation sont doubles : La concentration de la distribution dans les pays occidentaux, parallèlement à la montée de la société de consommation. La révolution internet et des technologies de l’information qui permettent de transférer aisément les informations et de suivre en temps réel les flux». Clarisse PEROTTI-REILLE in STRATEGIE TEXTILE HABILLEMENT (2007)

Principes



D. Les enjeux pédagogiques

L’enseignement de la gestion dans les sections post bac des arts appliqués s’organise sur les principes suivants :
  • Comprendre les enjeux de l’économique et ses impacts sur le design - cadrage disciplinaire ;
  • Concevoir des processus d’apprentissage qui se calquent sur des concepts professionnels ;
  • Apprendre dans et hors la classe ;
  • Travailler de façon réticulaire (collaborative et/ou coopérative) ;
  • Provoquer la rencontre et le dialogue entre des professionnels et des étudiants en cours de formation ;
  • Sensibiliser les étudiants aux enjeux de la veille informationnelle.

E. Un croisement des enjeux


Les enjeux du monde professionnel et les enjeux de la formation se croisent très largement. On peut en isoler des invariants, des démarches communes :
  • Présence d’un travail réticulaire ;
  • Existence d’un processus de création fortement numérisé ;
  • Nécessité de s’inscrire dans une démarche de concertation permanente ;
  • Développement de méthode de collaboration nécessitant la mise en place du travail distant asynchrone ;
  • Développement de méthode de collaboration nécessitant la mise en place du travail distant synchrone ;


II.La place du tutorat dans le processus d’apprentissage

L’analyse du tutorat en ligne repose sur une construction pionnière (on peut oser le terme de bricolage au sens ou l’entend Claude Lévi-Strauss dans La pensée sauvage) dans le secondaire, ce travail est une phase exploratoire à la frontière de l’usage et du réflexif. Les programmes ministériels ne prévoient pas expressément la formule sous sa forme numérique. L’essentiel des apprentissages est conçu pour s’exercer en présentiel frontal. Le tutorat, dans ce cas de figure, n’est pas institutionnalisé dans un processus de FOAD. Il se construit avec le groupe au gré des besoins exprimés (bricolage).

A. La formation des étudiants

C’est le premier point, mineur dans la construction du processus de formation parce que l’outil est un prétexte, un prolongement mécanique d’une construction intellectuelle, majeur pour le bon déroulement du cours.

Il est nécessaire de tutorer les étudiants pour les initier aux manipulations de l’environnement. Des séances de simple prise en main, pour se mouvoir, s’exprimer, caler les périphériques audio et vidéo, tester la puissance des ordinateurs. Cette phase préalable est indispensable et nécessite quasiment une individualisation tutorale. Mon expérience me prouve que les étudiants ont une vision technique de l’ordinateur peu étendue, il est fréquent d’entendre «je vais acheter un microphone» alors que les machines dernière génération en sont équipés en standard.

B. L’individualisation

1. One to one
Utiliser le monde virtuel pour mener des tâches d’accompagnement, de tutorat personnalisé. Les programmes officiels parlent de travail en co-animation (DSAAT), les référentiels de BTS imposent l’épreuve professionnelle de synthèse (EPS) sous forme de contrôle en cours de formation. Autant de modalités de validation qui nécessitent une individualisation des travaux et imposent une nouvelle vision de l’enseignement par le prisme du tutorat.
2. One to few
Il me semble possible de concevoir une occupation multiple (plusieurs professeurs présents en même temps pour tutorer leurs étudiants dans leur champ disciplinaire) - En l’état des mes pratiques je reste au stade de la supposition, il me reste à le vérifier in situ.

C. Les conférences


Le tutorat va aussi s’exprimer dans l’organisation de conférences destinées à provoquer la rencontre entre les professionnels du secteur et les étudiants. Une série de conférence en ligne pour confronter les réflexions, les analyses, les travaux de la période de formation initiale et les contraintes et réalités de la vie professionnelle.


III. Typologie des modalités de tutorat


L’utilisation des mondes virtuels semble modifier les modalités du tutorat parce que les espaces numériques s’inscrivent dans une logique de SPE (scénario de pédagogie embarquée) : « une représentation formalisée de l’organisation et du déroulement d’une situation d’apprentissage dans laquelle l’usage des fonctionnalités nomades des technologies numériques fait que l’enseignement-apprentissage s’exerce dans et hors les murs de la classe.» (Hélène Godinet - Jean-Paul Moiraud - 2007 INRP EducTice)

Le rapport d’interaction peut s’affranchir des contraintes temporelles et spatiales pour se concentrer sur l’acte de «learning / Teaching» à proprement parlé.

Je peux isoler trois situations types de tutorat :

Le tutorat de formation pour former les étudiants aux modalités de fonctionnement de l’espace et les intervenants qui n’ont pas été, de façon générale, formés aux enjeux des mondes virtuels. Ce tutorat consiste à expliquer les enjeux de la formation utilisant les mondes virtuels et à faire acquérir les principales compétences manipulatoires (compétences basses) ;

Le tutorat d’individualisation pour accompagner les étudiants dans la construction de leurs apprentissages. Ce tutorat permet de pratiquer réellement l’accompagnement individualisé, c’est-à-dire au moment ou l’étudiant en exprime réellement le besoin.

Le tutorat collectif dans le cadre des conférences en ligne lorsqu’il s’agit de mener les débats sur un sujet de spécialité. L’enseignant se trouve placé en situation de meneur des débats ce qui est, en quelque sorte une forme de tutorat individualisé au sein d’une démarche collective. Comme dans tout dispositif de cours, il est nécessaire d’encadrer la conférence, d’être l’organisateur, le meneur de la conférence. De ce point de vue, il y a acte de tutorat, même si certains peuvent juger la notion trop extensive.


IV. Le tutorat numérique dans l’enseignement secondaire


Le tutorat numérique dans le secondaire pose, me semble t-il, de nombreuses questions.

A. La multiplication des compétences


Le métier d’enseignant s’est fortement complexifié avec l’introduction du numérique. L’enseignant devient concepteur de son environnement de travail et cela s’ajoute aux compétences traditionnelles de type didactiques et pédagogiques.

B. Le temps recomposé

J’ai évoqué plus haut les questions de perturbation du temps et de l’espace. Comment peut-on aborder une réflexion sur le tutorat sans analyser en parallèle les aspects statutaires. Comment qualifier le temps de tutorat exercé en dehors des temps prescrits ? Le billet en lien tente de répondre à cette question (3).

Il me semble donc qu’à ce jour nous sommes au début d’une longue réflexion sur le tutorat et le numérique dans le secondaire.


Notes


(1) http://moiraudjp.wordpress.com/2008/10/08/travail-collaboratif-2/
(2) http://dsaa.apinc.org/objectifs-des-cours/memento/
(3) http://moiraudjp.wordpress.com/2009/10/08/temps-numerique-temps-statutaire/


2 commentaires:

Jacques Rodet a dit…

Bonjour Jean-Paul,

Tout d'abord, merci pour ce texte.

Lorsque tu évoques le "bricolage", cela m'évoque également "L'invention du quotidien" de Michel de Certeau ainsi que la notion de dispositif sur laquelle j'ai eu un entretien, il y a quelques années, avec Geneviève Jacquinot in "Chroniques et entretiens", Geneviève Jacquinot : le concept de dispositif, p.126 http://jacques.rodet.free.fr/chronent.pdf

Je note que le "tutorat de formation" investira plus particulièrement les plans technique et méthodologique ; le tutorat d'individualisation l'ensemble des plans de support à l'apprentissage avec un accent certainement marqué sur les plans affectif et motivationnel ; le tutorat collectif amènera à adopter une posture de facilitateur et investira le plan socio-affectif.

Je compte sur toi pour nous faire un retour d'expérience d'ici quelques mois.

Bien cordialement,
Jacques

Anonyme a dit…

Bonjour Jacques,

Je m'aperçois que je n'ai pas mis le lien sur le blog des DSAAT, qui sous tend mon analyse

http://dsaa.apinc.org/conferences-virtuelles/

Je rédigerai une note d'observation d'expérience fin juin

Cordialement

Jean-paul