La consigne et le conseil sont souvent pris pour équivalents, peut-être parce qu'il partagent le préfixe « con », variante de « co- » qui exprime l'adjonction, la réunion, le parallélisme, la simultanéité, l'identité : avec - ensemble. Pour autant, il y aurait quelques dangers à les confondre en particulier pour les tuteurs à distance qui dans leurs interventions sont amenés à transmettre des consignes et à prodiguer des conseils.
Détour étymologique
Consigne est un déverbal de consigner qui vient du latin « consignare » : mettre un sceau. Au XVIe s. il est orthographié « consine » et évoque ce qui est consigné par écrit (témoignage). Un siècle plus tard, il désigne l'agent chargé de surveiller le mouvement de personnes ou de marchandises. Au XIXe s. la consigne est une punition militaire qui interdit de sortir puis parallèlement l'endroit de la gare où l'on dépose ses bagages. De nos jours, la consigne c'est aussi la somme perçue en garantie du retour d'un emballage et l'instruction formelle donnée à quelqu'un qui est chargé de l'exécuter.
Conseil vient du latin « consilium » qui signifie avis, conseil que l'on donne ; délibération, plan, projet ; réunion de personnes qui délibèrent, assemblée délibérante. Au Xe s. il renvoie tant à l'avis que l'on donne à quelqu'un sur ce qu'il doit faire qu'à la pensée mûrement réfléchie. Deux siècles plus tard il désigne une réunion de gens qui délibèrent. De nos jours, il conserve ces deux sens historiques auquel s'ajoute un troisième : personne qui, à titre professionnel, guide, conseille autrui dans la conduite de ses affaires.
De leurs usages par les tuteurs à distance
Il apparaît donc que la consigne est comparable à une injonction, à un ordre, alors que le conseil est davantage le résultat d'une réflexion transmis à un autre dans le but de l'aider. A partir de ce constat, il est possible de s'interroger sur les usages que les tuteurs à distance peuvent avoir de la consigne et du conseil. Quelles sont les consignes qu'ils doivent transmettre aux apprenants ? Dans quel but ? Quels sont les conseils dont peuvent avoir besoin les apprenants de la part de leurs tuteurs ? Comment les formuler ? En quelles circonstances ? Je présente ci-dessous, sous forme de schéma et de tableaux quelques éléments de réponse à ces questions qui permettent de mieux distinguer la consigne et le conseil et leurs usages par un tuteur à distance.
Les plans de support à l'apprentissage impactés par les consignes et les conseils
(en bleu plus soutenu, les plans les plus impactés)
(en bleu plus soutenu, les plans les plus impactés)
Nous pouvons retenir que les consignes, de part leur caractéristiques informationnelle et injonctive ne sollicitent l'apprenant que sur le plan cognitif. Il prend connaissance de la consigne et l'applique. Dans la cas contraire, il s'expose à des conséquences variées portant a minima sur les résultats qu'il obtient et a maxima sur son maintien dans la formation. Les consignes sont nécessaires et il n'y a pas de raison de ne pas en émettre. Toutefois, elles se situent davantage comme des données de départ à intégrer que des aides tout au long de la formation et de ses activités.
Les conseils sollicitent l'apprenant sur l'ensemble des plans même si selon les conseils certains plans sont plus impactés que d'autres. Le processus qui l'amène à décider de les suivre ou de ne pas les suivre favorise chez l'apprenant une posture métacognitive. Il apparaît donc que les conseils sont certainement plus formateurs que les consignes. A ce stade nous pouvons donc nous interroger sur les manières de conseiller ?
Quelques manières de conseiller
La plus connue et répandue des manières de conseiller, qui néanmoins ne tient pas toujours ses promesses, est le « faites ce que je vous dis ». Ceci pose plusieurs problèmes. D'une part, le dire est bien moins persuasif que le faire et d'autre part, ce type de conseil ressemble étrangement à la consigne dans la mesure où il est effectué sur le mode de l'injonction.
Montrer comment faire, que ce soit par la description du processus d'action ou par l'exposition de l'action est une forme de conseil déjà plus intéressante. Elle permet à l'apprenant de se projeter et d'envisager comment il peut adapter ce conseil à sa réalité. Cette méthode se révèle plus pertinente lorsque la manière de faire est conjuguée au pluriel. En effet, conseiller, c'est donner à l'apprenant la possibilité de choisir. Ceci est plus manifeste lorsque les alternatives du conseil ne se limitent pas à son acceptation ou à son rejet mais imposent l'examen de plusieurs options. Pour réaliser une action, il y a souvent plusieurs chemins possibles. Le conseil devrait donc être pluriel et exposer des solutions possibles mêmes si celles-ci présentent des caractéristiques qui peuvent être contradictoires.
Montrer comment faire peut toutefois rester assez théorique lorsqu'il s'agit de procédures. Pour pallier à cela, une autre forme de conseil est de donner des exemples. Ceux-ci auront davantage de chance d'être reçus par les apprenants s'ils font référence à leurs environnements et renvoient donc à des situations perçues par eux comme authentiques.
Une dernière manière de faire, que certains tuteurs répugnent à utiliser, est de donner son exemple, non pas pour l'ériger en idéal à atteindre par l'apprenant mais plus simplement pour témoigner de sa pratique. Cela suppose quelques précautions en particulier de mettre en exergue ses biais et préférences tant au niveau des valeurs que des modes opératoires que l'on utilise. Il serait également nécessaire que le tuteur qui donne son exemple ne se limite pas à celui-ci.
Les faux conseils
Un conseil ne peut l'être que dans la mesure où il donne à l'apprenant des éléments concrets d'appréciation qui lui permettront de le retenir ou de l'ignorer. Aussi, le premier « faux conseil » réside dans la formulation de généralités non précises qui ont plus de chances de renvoyer l'apprenant à son impuissance qu'à l'inciter à entrer dans un échange réel. S'il n'est pas interdit au tuteur, bien au contraire, d'amener l'apprenant à trouver les solutions par lui-même, il ne faut pas négliger l'importance que peut revêtir pour l'apprenant le fait d'obtenir de réelles réponses, au moment où il en a besoin.
Le deuxième « faux conseil » est celui qui est assimilable à une consigne. Dans ce cas, loin d'ouvrir le champ des possibles pour l'apprenant, il le contraint à suivre une chemin balisé par autrui sans avoir pleine conscience du but à atteindre. Ce type de faux conseil est assez répandu et dénote justement la confusion entre consigne et conseil que nous tentons de lever à travers ce texte.
Le pire des faux conseil est l'expression qui contient une menace pas toujours voilée : « je te conseille de faire cela si tu ne veux pas... ». A cet égard, il est important de noter que si la consigne peut supporter l'affichage d'une sanction intervenant en cas de son non respect, la menace est destructrice de toute démarche se voulant être un conseil qui pour être efficace doit être délivré dans le cadre d'une relation de confiance et non de crainte.
Quelques étapes pour conseiller
La première chose que le tuteur doit faire avant d'émettre un conseil à un apprenant est de comprendre la situation de celui-ci. Pourquoi a-t-il besoin d'un conseil ? Quels sont les obstacles qui l'empêchent de trouver la solution qui lui convient ? A-t-il chercher cette solution ? Est-il perdu ou veut-il une confirmation ? Nombreuses sont donc les questions préalables au conseil que doit se poser le tuteur ou qu'il doit poser à l'apprenant.
Ensuite, il est nécessaire de faire formuler et reformuler son besoin de conseil par l'apprenant. C'est là que le recours aux techniques de l'écoute active sont à utiliser et peuvent permettre à l'apprenant d'identifier lui-même la solution qui lui est la plus adaptée. C'est alors le moment, pour le tuteur, de passer à la reformulation afin de donner l'occasion à l'apprenant de s'entendre et pour s'assurer d'avoir bien perçu sa situation.
Ce n'est qu'à l'issue de ce processus, dont chacune des étapes ne sont pas forcément très longues, que le tuteur pourra émettre son conseil.
Après le conseil
Le travail de conseiller du tuteur à distance ne se termine pas avec l'émission du conseil. Il nécessite aussi d'amener l'apprenant à vérifier si le conseil lui a été utile, à identifier ce qu'il en a fait, comment il l'a fait sien, s'il lui servira dans d'autres situations que celle pour laquelle il en avait ressenti le besoin. Il s'agit donc pour le tuteur d'inviter l'apprenant à adopter une posture métacognitive dont nous avons vu qu'elle était déjà encouragée par l'émission du conseil pour peu que celui-ci ne se résume pas... à une consigne.
3 commentaires:
Je reproduis un commentaire de Philippe Inowlocki publié dans le groupe ta@ sur Facebook ainsi que ma réponse.
Philippe Inowlocki
Lorsque je faisais du théâtre-forum, je me souviens de consignes de jeux qui avaient un impact émotionnel fort.
Michel Onfray a consacré un livre à propos des expériences philosophiques personnelles fondé sur des consignes.
La consigne n'a t'elle qu'un impact cognitif ?
Jacques Rodet
Dans le cadre d'une formation et de présentation d'activités d'apprentissage, je pense effectivement que les consignes impactent le plan cognitif. Toujours dans ce cadre, si la consigne a des résonances sur les autres plans, ce n'est pas son objectif, ni sa préoccupation. L'intention de support à l'apprentissage est purement cognitive.
Prenons un exemple de consigne : "Publiez un commentaire sur le forum du cours dans un délai d'une semaine."
La consigne impacte le plan cognitif en donnant les éléments d'informations sur ce qui est attendu de la part de l'apprenant : publier une contribution sur le forum dans le délai d'une semaine. Elle ne traduit pas une préoccupation sur la manière dont l'apprenant recevra ces informations.... Afficher davantage
En ce sens elle n'apporte pas de soutien (elle n'impacte pas) sur les plans socio-affectif, motivationnel ou métacognitif même si l'apprenant appréciera aussi cette consigne de manière affective et motivationnelle.
Seules des interventions tutorales, dont le conseil, sur la manière de suivre la consigne peut permettre un support de type affectif, motivationnel et métacognitif.
Ces interventions peuvent prendre la forme d'un dialogue où le tuteur formule des questions à ll'apprenant. Par exemple :
Sur le plan affectif : Quel est votre ressenti par rapport à cette consigne ?
Sur le plan motivationnel : Avez-vous envie de réaliser cette activité ?
Sur le plan cognitif-méthodologique : Comment allez-vous procéder pour rédiger votre contribution ?
Sur le plan métacognitif : Avez-vous déjà eu une expérience de rédaction proche de celle qui vous est demandée ? Dans quel cas ? Comment vous y étiez-vous pris ?
Bonjour Jacques,
Les mots ont leur importance, surtout en formation, encore plus en formation à distance.
Merci pour ce double éclairage entre "consigne" et "conseil", deux points clés de notre
métier de formateur : en présentiel, à distance ou un mixte des deux, le plus souvent.
Pour poursuivre ce billet, je voulais ajouter que :
- la consigne est souvent écrite. L'apprenant peut en prendre connaissance sans la présence
systématique du formateur. Elle concerne le cas général et se centre souvent sur l'incitation
à accomplir une tâche dans les meilleures conditions possibles, si la consigne est suffisamment
bien formulée... pour dérouler un parcours le plus individualisé... La consigne est asynchrone et
attachée à une ressource, pour une acvité.
- le conseil est souvent oralisé. C'est au cours d'un échange que l'appreneur va proposer
un regard, non pas sur l'apprenant, mais sur son activité, à partir de sa production. Dans
cette dynamique, l'apprenant écoute, peut réagir, répondre, et donc, se construire. Ces conseils
sont immanquablement personnalisés... Les conseils sont synchrones et propres à chaque relation
"apprenant-appreneur".
En 2004, dans le cadre de mon activité au sein du résau des Ateliers de Pédagogie Personnalisée,
j'ai tenté de distinguer la différence entre les mots "Individualisation" & "Personnalisation"
dans un article : "Individualiser n'est pas personnaliser ou apprendre à s'autoformer !". Cet
article est publié surle site des APP : http://site.app.tm.fr/publications/pdf/vds.pdf
Cordialement - Jean
Jean Vanderspelden - Consultant ITG
http://groups.google.com/group/jvds
Correctif, je faisais référence à l'auteur de "101 expériences de philosophie quotidienne", Ed. Odile Jacob, 2001 qui est Roger-Pol Droit !
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