mercredi 25 mars 2009

Aider les apprenants à se constituer en équipe. Par Jacques Rodet

Amy Wheeler - Harmony in My head, 2006
Le travail en équipe, sous forme coopérative ou collaborative, est aujourd'hui largement facilité par les progrès des outils autorisant les communications et le travail de groupe à distance. Ceci constitue certainement un des grands changements de la FOAD par rapport aux formes plus traditionnelles ou historiques de la formation à distance.

Alors que l'individu était cantonné à un apprentissage solitaire, il a désormais la possibilité d'entrer en contact et d'agir avec ses pairs. Dès lors, les concepteurs se sont saisis de ces possibilités et il est bien rare qu'un dispositif ne comporte pas une ou plusieurs activités de groupe. Celle-ci sont de natures extrêmement variées allant du simple échange dans un forum, à l'utilisation de glossaire pour rédiger des définitions, de wiki pour organiser une tâche collective, d'études de cas permettant aux apprenants d'être plongés dans un contexte professionnel, etc. Dans ces activités, le tuteur se voit investi d'un rôle d'animateur et de coordinateur d'équipes d'apprenants. Bien évidemment, pour que le groupe existe, il faut que celui-ci soit formé et le tuteur peut avoir différents types d'intervention pour aider les apprenants à se constituer en équipe.


Distinguer les formes de travail collectif, la coopération et la collaboration
Si en FOAD, nous parlons volontiers de collaboration pour qualifier tout type de travail collectif, la première action que le tuteur peut avoir en direction des futurs groupes d'apprenants est de les sensibiliser aux différences de principes et d'organisation entre la coopération et la collaboration. La coopération est assimilable à une course de relais où chacun va effectuer une partie du parcours (des tâches) pour atteindre l'objectif commun. En fonction des compétences de « démarreur », de finisseur ou d'efficacité dans les courbes, les participants d'un relais se voient affecter une place particulière. La coopération est ainsi basée sur la division des tâches et la distribution de celles-ci en fonction des habiletés des participants à les réaliser. De son côté, la collaboration est comparable à une cordée dans laquelle chacun souhaite atteindre le même but : arriver au sommet. L'interdépendance des participants symbolisée par la corde qui les relie devient un facteur déterminant pour la réussite de chacun. Chaque participant parcourt l'ensemble de la course et pour y arriver peut compter sur l'aide et le soutien de ses partenaires. En fonction du choix d'organisation des groupes en coopération ou en collaboration, les actions seront particulières et les procédés de constitution d'équipe d'apprenants pourront l'être également.

Constitution par tirage au sort

Constituer une équipe par tirage au sort est très simple à organiser. Outre cela, le principal avantage de cette formule est de rapprocher les apprenants de situations dans le « monde réel » où il est assez rare d'avoir la pleine maîtrise de la constitution du groupe auquel on va appartenir. Du fait qu'il n'est tenu aucun compte des compétences des participants et de leur complémentarité, cette formule est davantage adaptée pour les équipes qui s'organiseront de manière collaborative. Les inconvénients du tirage au sort sont directement liés à l'hétérogénéité probable des équipes ainsi constituées et à l'absence de tout élément fédérateur préalable.

Constitution par affinité
Les apprenants qui ont eu l'occasion d'entrer en contact préalablement à la constitution de l'équipe ont pu repérer les affinités qu'ils ont entre eux. L'avantage de cette formule est que les équipes peuvent facilement faire émerger leur identité et que le sentiment d'appartenance et la volonté d'engagement sont plus rapidement mobilisables. Les inconvénients sont liés au fait que les compétences requises pour atteindre le but partagé ne sont pas forcément toutes présentes au sein de l'équipe. De ce fait, la constitution d'une équipe par affinité est plus adaptée lorsqu'elle est amenée à travailler de manière collaborative bien qu'elle puisse également fonctionner en coopération si il n'y a pas de carence d'habiletés relativement aux tâches à effectuer.

Constitution par appariement des compétences

Le choix de cette formule impose un travail préalable d'identification des compétences des apprenants. Différentes activités peuvent permettre au tuteur de repérer celles-ci et ce peut d'ailleurs être l'occasion d'engager avec les apprenants un travail d'ordre métacognitif dont l'importance est reconnue dans la réussite des apprenants. Les avantages sont liés à la rationalité de ce mode de constitution et à une certaine anticipation des tâches confiées aux différents membres du groupe. De ce fait, l'appariement par compétences est davantage utile pour les équipes se destinant à un fonctionnement coopératif.

Bien d'autres formules de constitution d'équipes d'apprenants peuvent être imaginées. Toutefois, le choix effectué par le tuteur devra toujours tenir compte des finalités de l'équipe et envisager si la manière de la constituer est plus propice à un travail coopératif ou collaboratif.

lundi 23 mars 2009

Aider les apprenants à demander de l'aide. Par Jacques Rodet

Ross Bleckner, Blue net, 2000
L'action tutorale s'inscrit fortement dans la relation d'aide. Encore faut-il que les apprenants soient disposés à recevoir cette aide et qu'ils acceptent sinon de formuler du moins d'accepter leurs besoins d'aide. Mais qui n'a jamais besoins d'aide ?

Un apprenant peut ne pas être disposé à recevoir de l'aide pour différentes raisons telles que le fait de ne pas repérer en quoi l'aide peut lui être utile, le manque de confiance envers la personne qui lui propose de l'aide, l'assurance qu'il a de pouvoir mener à bien ses tâches sans recours extérieur. Ainsi, le refus d'aide ne caractérise pas un profil d'apprenant particulier mais provient au contraire d'apprenants qui entretiennent des rapports très contrastés avec leur apprentissage et les personnes ressources du dispositif de formation. De celui qui ignore qu'il ignore et donc croit savoir à celui qui revendique le refus de l'altérité, le tuteur ne peut se fonder sur un seul type d'intervention pour les sensibiliser tous aux bénéfices qu'ils peuvent retirer de la relation d'aide.

Aider les apprenants à demander de l'aide en les amenant à réfléchir sur le rapport affectif qu'ils entretiennent avec la relation d'aide

Demander de l'aide ne va pas de soi. Cela passe forcément par un constat de « carence », d'identification de ses difficultés à réaliser seul une tâche mais c'est aussi une opération de « dévoilement » auprès de celui à qui l'on demande de l'aide. Demander de l'aide nécessite donc d'avoir une certaine confiance envers celui que l'on sollicite et de lui reconnaître un savoir, une compétence, une qualité que l'on ne possède pas ou qu'il ne nous a pas été possible de mobiliser. A cet égard, chacun a ses propres pudeurs et réserves, et il n'est pas inutile de les repérer pour pouvoir les surmonter. La première tâche du tuteur pour aider les apprenants à demander de l'aide consiste donc à proposer des activités qui faciliteront pour chaque apprenant l'identification du rapport affectif qu'il entretient avec la demande d'aide. Il s'agit également pour les apprenants de qualifier la relation qu'ils entretiennent avec le tuteur et les autres personnes ressources qu'ils peuvent consulter.

Aider les apprenants à demander de l'aide en les amenant à exprimer leur réticences à demander de l'aide


Amener les apprenants à exprimer les raisons de leur non sollicitation ou même de leur refus de l'aide disponible est une action à mener par le tuteur afin de mieux les comprendre et donc d'être en mesure de penser des interventions qui leurs soient adaptées. Elle peut permettre de (re)nouer l'échange un peu à la façon qu'utilisent les négociateurs d'entités en conflit pour poser un diagnostic partagé sur l'objet et les manifestations du dissensus. Les constats établis peuvent alors ressembler à ces formules : « Vous ne souhaitez pas recevoir l'aide que je vous propose pour telle et telle raison. » ; « Vous trouvez mes interventions d'aide inappropriées lorsqu'elles prennent telle ou telle forme » ; « Vous préférez être l'initiateur plutôt que le récepteur d'une intervention d'aide. », etc. Une fois les constats posés, des aménagements peuvent alors être envisagés et la contractualisation est certainement la méthode la plus appropriée pour rendre constructive la relation d'aide.

Aider les apprenants à demander de l'aide en contractualisant la relation d'aide


Si les chartes tutorales, très souvent produites sans consultation des tuteurs et des apprenants, dressent un cadre indispensable pour la relation tutorale, elles ne peuvent, de par leur nature généraliste et prescriptive, apporter des lignes de conduite pour toutes les situations variées des interactions tutorales. Il est donc nécessaire pour le tuteur et les apprenants d'adapter les dispositions de la charte tutorale, non pas pour en retrancher des éléments nécessaires à l'institution mais pour l'enrichir afin de mieux répondre aux caractéristiques des apprenants et des tuteurs. Il s'agit, comme les formateurs le font régulièrement, de passer de la commande du client (ici l'institution) à l'autocommande (ici co-élaborée par les apprenants et le tuteur). La charte est assimilable à la loi générale au sein de laquelle des amendements peuvent être aménagés dès lors que l'esprit initial n'est pas trahi. C'est parce que les tuteurs se seront ouverts à la contractualisation de la relation d'aide avec leurs apprenants que ces derniers pourront plus facilement demander de l'aide. Cette contractualisation peut porter sur les différents éléments qui composent la relation tutorale : temps, fréquence, modalités, outils, traces produites etc. Tout comme il est intéressant pour un groupe de mesurer sa cohésion et sa productivité, il est opportun pour le tuteur et l'apprenant d'évaluer leur relation en terme de confiance établie et de résultats produits.

Les démarches évoquées, ici, sont susceptibles de clarifier et de vivifier la relation d'aide en lui donnant un sens partagé par le tuteur et les apprenants. Ne pas laisser un apprenant sans aide est certes un devoir pour le tuteur, mais bien plus, il s'agit de créer les conditions de l'exercice de son autonomie par l'apprenant, exercice dépendant, entre autres, de la perception et du ressenti que l'apprenant entretient avec la demande d'aide.

vendredi 20 mars 2009

Comment pratiquer un tutorat de qualité ?


Ce livre pratique permet l’entraînement du formateur et du tuteur de jeune enseignant à leur rôle d’accompagnement. Il présente une série d’activités et de procédures qui explorent les rôles et devoirs des tuteurs et entraînent les facultés requises pour aider au développement des jeunes enseignants.

La première partie du livre débat des principes qui sous-tendent les activités et l’approche de la formation, et décrit quelques procédures qui peuvent être utilisées dans tous les domaines de la formation.

La deuxième partie présente une grande variété d’activités pratiques dans un format maniable. Chaque activité inclut une fiche qui renseigne sur l’objectif, le matériel et le temps requis, ainsi que la procédure détaillée.

La partie finale fournit des suggestions et du matériel pour des projets et des travaux, telles que la tâche d’observation et les activités de lecture et d’écriture. Le matériel photocopiable à utiliser pendant certaines activités est présenté dans une partie propre à la fin de l’ouvrage.

Présentant des activités à mettre en pratique dans de nombreuses situations de formation, ce livre est une ressource précieuse pour les formateurs de formateurs et les formateurs d’enseignants.

Comment pratiquer un tutorat de qualité ?
Guide pratique à l'usage des enseignants-tuteurs et des formateurs
Angi Malderez, Caroline Bodoczky
Traduction et adaptation : Armand Henrion
Collection : Guides pratiques

Source : De Boeck

jeudi 19 mars 2009

Peut-on former à la fonction d’encadrement ?


La dernière livraison de la revue Education permanente s'intéresse à la fonction d'encadrement. Peut-être serait-il plus juste de ne pas parler d'une mais des fonctions d'encadrement. Si les articles réunis traitent plus volontiers de l'encadrement au sens du management et moins de la relation d'aide telle que les tuteurs à distance la pratiquent, ceux-ci peuvent certainement trouver un intérêt à la lecture de ce numéro. Ainsi, les articles évoquant la formation du personnel encadrant sont susceptibles de nourrir la réflexion sur la formation des tuteurs.

Présentation du numéro
Les personnes en charge d’encadrer du personnel représentent une population hétérogène : multiplicité des rôles et des métiers, disparité des statuts et des niveaux hiérarchiques, diversité des secteurs d’activité... En dépit de ses contours flous, la fonction d’encadrement représente un enjeu important dans le monde du travail. L’objectif de ce dossier est de tenter de répondre à la question de savoir s’il est possible de former à une fonction qui ne correspond pas à un métier, mais qui englobe un ensemble de responsabilités et de rôles, dépendants des organisations et des contextes socioprofessionnels. Réfléchir aux formations proposées pour préparer et accompagner à l’exercice de la fonction d’encadrement nécessite de s’attacher à deux axes majeurs : l’un concerne la fonction elle-même, ses caractéristiques et ses évolutions, dans un contexte d’importants changements du travail ; l’autre concerne les contenus et les modalités de ces formations, souvent déclinées en fonction du niveau hiérarchique des personnes à former : dirigeants, cadres, agents de maîtrise.


Ce dossier regroupe des contributions de chercheurs en sociologie, en sciences de l’éducation et en sciences de gestion, et de praticiens. La fonction d’encadrement y est observée dans une diversité de niveaux hiérarchiques, de secteurs d’activités –technique et industriel, social, médical, militaire – et d’organisations : entreprises publiques et privées, entreprises d’économie sociale, hôpitaux, armée.

Peut-on former à la fonction d’encadrement ?
Education permanente n° 178, 2009-1, 216 p., 21 euros.

mercredi 18 mars 2009

Aider et évaluer les apprenants... Par Jacques Rodet

Sam Francis, Long Blue (SF-55) (L-72), 1964

Aider et évaluer, entre ces deux fonctions confiées au tuteur à distance, il existe une certaine tension. Pour mieux la saisir, il suffit de se mettre quelques instants à la place de l'apprenant. Est-ce que je suis naturellement disposé à demander de l'aide à celui qui va porter un jugement sur mes productions ? Est-ce que je ne vais pas éprouver quelques réserves à exposer ainsi mes difficultés au regard de celui qui va m'évaluer ? Est-ce que je peux compter sur mon tuteur pour qu'il fasse la part des choses entre ma demande d'assistance et l'appréciation de mes travaux ?

Les réponses de l'apprenant à ces différentes interrogations dépendra fortement de la relation établie avec son tuteur. Aussi, ce dernier à tout intérêt à bien signifier de quelle place il s'exprime, celle de l'accompagnateur ou celle de l'évaluateur.

A mon sens, les interventions d'évaluation du tuteur à distance doivent être circonscrites à la correction et à la rétroaction aux travaux. Tant que l'apprenant n'a pas remis son travail, le tuteur est dans son rôle de guide, de conseiller, d'accompagnateur. Il est donc nécessaire pour le tuteur de se tenir à une déontologie précise et énoncée : toutes les demandes d'aide et les interactions précédant la remise d'un travail évalué ne seront pas prises en compte négativement au moment de porter jugement sur la qualité du travail, mieux elles ne pourront être prise en compte que de manière positive pour l'apprenant lorsque par exemple elles traduisent une évolution intéressante de l'apprenant dans son processus d'apprentissage.

Le statut de l'évaluation pèsera aussi sur la décision de l'apprenant à demander de l'aide ou non à son tuteur. Si l'évaluation est considérée comme l'activité qui clôture un parcours de formation, qui permet de délivrer une sanction (diplômé, non diplômé), qui sélectionne (reçu, recalé, ajourné...), qui quantifie (note), bref si l'évaluation a des visées plus sommatives que formatives, c'est bien le rôle d'évaluateur sur celui d'accompagnateur qui primera dans les représentations des apprenants sur leurs tuteurs. A contrario, si l'évaluation a pour objectif l'approfondissement de leurs apprentissages par les apprenants, qu'elle donne lieu à des rétroactions consistantes et signifiantes, que celles-ci permettent à chaque apprenant de mieux se situer dans son parcours, bref si l'évaluation a des visées plus formatives que sommatives, les apprenants nourriront moins de réticences à contacter et à demander de l'aide à leurs tuteurs.

Entre évaluation sommative et formative, il y a, du moins en France, plus que des exigences institutionnelles, il y a une certaine culture, un habitus, qui pousse le plus grand nombre, mis en situation d'évaluer, à insister davantage sur les carences de l'objet évalué que sur ses points positifs. Plus grave, c'est souvent le producteur et non la production qui est ainsi jugé. En formation à distance, peut-être plus qu'en présentiel, le tuteur-évaluateur, parce qu'il est le mieux placé pour le faire eu égard à la relation entretenue avec l'apprenant, devrait toujours accompagner son évaluation de commentaires permettant de relever, à côté des manques, les réussites, même partielles, d'une production. Choisir l'évaluation formative, et donc la rétroaction plutôt que la correction, est certainement une des manières pour le tuteur de concilier plus facilement ses rôles d'évaluateur et d'accompagnateur.

Aller plus loin
Rodet, Jacques (2000), La rétroaction, support à l'apprentissage ? Revue DistanceS, CQFD, Québec, 2000.

lundi 16 mars 2009

Coup de pub : nouveau site professionnel de Jacques Rodet



Une fois n'est pas coutume, ce blog devient support de pub...

Nous signalons le lancement du nouveau site professionnel de Jacques Rodet : http://sites.google.com/site/jacquesrodet/

Celui-ci
comporte de nombreux liens en relation avec son activité au sein de t@d, en particulier par la mise à disposition dans la rubrique
Mes documents d'articles, d'entretiens, d'un livre, de diaporamas et de vidéos qu'il a consacrés à la FOAD et au tutorat à distance.

Dans la rubrique Mes revues, sont accessibles les numéros parus des Fragments du Blog de t@d et de Tutorales.

Vous trouverez également sur ce site des informations qui présentent plus complètement le champ de ses activités professionnelles dans les rubriques : Mon métier
, Mon offre (assistance à maîtrise d'ouvrage, conduite du changement, formation) et Mes interlocuteurs (partenaires et références).

L'accès à l'ancien site (http://jacques.rodet.free.fr) est toujours actif mais celui-ci n'est plus mis à jour.

jeudi 12 mars 2009

Pratiques tutorales socioconstructivistes ? par Jacques Rodet


Jean Dubuffet, Lunaison claire, 1954


Le socioconstructivisme est de plus en plus en vogue mais est-il toujours compris ? Beaucoup arrivent à considérer que toute forme de collaboration à distance est le garant d'une FOAD socioconstructiviste. Ce qui n'est bien évidemment pas le cas. Tout comme, d'ailleurs, il est abusif de qualifier de collaborative toute forme de travail collectif. Il est donc important de faire la part des choses entre discours et pratiques, et d'étudier ces dernières à la lumière des fondements théoriques (1). De la même manière, le tuteur peut interroger sa pratique pour repérer si celle-ci est socioconstructiviste ou non.

Tout d'abord, il faut bien reconnaître qu'il sera difficile sinon impossible à un tuteur de positionner son action comme socioconstructiviste au sein d'un dispositif qui ne le serait pas. En effet, comment instaurer la collaboration dans un dispositif visant à mettre en concurrence et à sélectionner les apprenants ? Quelle efficience pour un encadrement se voulant socioconstructiviste, et à ce titre, basé sur des interventions tutorales favorisant un point de vue pluri-référentiel, si l'évaluation des acquis de l'apprenant est basée sur la mémorisation d'un contenu identifié comme seul valide ?

Il s'agit donc pour le tuteur, par delà les présentations institutionnelles du parcours dans lequel il intervient de repérer les éléments qui témoignent d'une pratique effectivement socioconstructiviste de la formation. Marie-France Legendre dans son article, paru dans la revue de l'Alcef, Education et francophonie, « Un regard socioconstructiviste sur la participation des savoirs à la construction du lien social » nous donne en quelque sorte une grille d'analyse : « Opter pour un tel paradigme a nécessairement des incidences sur le type de rapports aux savoirs que l'école tente d'instaurer : rapport actif puisqu'il suppose un engagement personnel, rapport constructif, puisqu'il transforme, rapport émancipateur, puisqu'il outille, rapport critique puisqu'il favorise une mise à distance, rapport contextualisé puisqu'il est relié à des usages sociaux et indissociable de rapports à autrui. »

De la même manière, les pratiques tutorales peuvent être qualifiées de socioconstructivistes lorsqu'elles tendent à :
  • Pousser l'apprenant à agir et à trouver par lui-même plutôt que lui transmettre des réponses standards.
  • Organiser des interactions entre apprenants et personnes ressources pour vivre les conflits cognitifs et les surmonter par ré agencement des connaissances construites.
  • Doter les apprenants d'outils méthodologiques et techniques afin d'enrichir leurs stratégies cognitives et les faire progresser dans l'exercice de leur autonomie.
  • Amener les apprenants à porter un regard distancié et critique tant sur les contenus du cours que sur leurs pratiques d'apprenants.
  • Proposer des activités d'apprentissage pouvant être réaliser dans le contexte dans lequel l'apprenant évolue et faciliter ainsi le transfert des connaissances.
____________________

(1) sur les fondements théoriques du constructivisme et du socioconstructivisme, je renvoie aux billets suivants parus dans ce blog :


mardi 10 mars 2009

Aider les apprenants à faire face aux échéances. Par Jacques Rodet


Le tuteur à distance se voit fréquemment être aussi en charge de l'évaluation des travaux des apprenants qu'il accompagne. Ceux-ci ont des échéances à tenir pour la remise de leur travaux. Pourtant, très fréquemment, peut-être à cause de difficultés rencontrées dans la planification de leur formation (cf. Aider les apprenants à planifier leur parcours d'apprentissage) ou de raisons externes, des apprenants demandent à leurs tuteurs des reports d'échéance. Quelles sont les attitudes à adopter par le tuteur dans ce cas ? Avant de répondre à cette question, il est possible de dégager quelques principes et modalités d'action visant à aider les apprenants tenir les échéances.

L'échéance doit tout d'abord être communiquée

Comme pour toute information, la redondance du message constitue un facteur non négligeable de sa réception. Ainsi, les échéances des travaux devraient être indiquées dans les guides d'études et autre documents présentant la formation aux apprenants. Dans le cas d'une interaction initiale (regroupement présentiel, audio ou visioconférence) le tuteur doit également aborder la question des échéances. De même, la fiche de présentation de l'activité, outre les énoncés, consignes et produits à réaliser, devrait également toujours indiquer la date d'échéance. Au moment du lancement du travail, à mi-parcours de la période dédiée à la réalisation du travail, quelques jours avant l'échéance, des messages proactifs peuvent être envoyés aux apprenants rappelant l'échéance. D'autres méthodes plus interactives peuvent être choisies comme l'envoi d'un test portant précisément sur la date de remise du travail ; par exemple : parmi ces trois dates, à laquelle devez-vous avoir terminé votre travail ?

L'échéance peut être négociée
L'échéance d'un travail est fonction du temps nécessaire à sa réalisation, temps estimé par le concepteur de l'activité. Or, chaque apprenant apprend et travaille à un rythme différent. Cela peut être directement lié à ses préférences cognitives et à son style d'apprentissage ou au temps dont il dispose pour sa formation. Une échéance qui se veut équitable n'est donc pas forcément la même pour tous (excepté le cas du concours où l'échéance doit être impérativement la même pour tous du fait que les apprenants sont mis en concurrence). Dans la plupart des cas, l'échéance peut donc faire l'objet d'une négociation entre le tuteur et l'apprenant. La marge de manœuvre du tuteur lui étant alors donnée par le règlement que l'institution lui demande d'appliquer. Le temps de la négociation doit être identifié et se situer en amont de l'échéance du travail. Ouvrir et conclure la négociation de l'échéance au moment du lancement de l'activité est certainement la meilleure pratique car ne se situant ni trop en amont, ni trop tard. Négocier veut dire pour l'apprenant de mettre en avant des arguments et non de formuler une simple demande. Le tuteur doit donc amener l'apprenant à préciser les raisons de sa requête et faire en sorte qu'il exprime celle-ci de manière quantitative, en nombre de jours de délai demandé. L'intérêt de la négociation d'une échéance est celui de la contractualisation. Elle a pour principal effet que l'apprenant négociateur se sentira tenu de respecter les conclusions de l'accord obtenu avec son tuteur.

L'échéance peut être reportée
Malgré l'information et la négociation, il arrive parfois, qu'à la veille de remettre son travail, un apprenant demande à son tuteur un délai. Là encore, le tuteur peut, pour déterminer sa conduite, s'appuyer sur les dispositions réglementaires de son institution ou sur les termes de la négociation qui a éventuellement été menée au préalable. La mise en place d'une procédure de « reporté », adjointe à la charte tutorale par exemple, est une pratique à retenir dans la mesure où elle permet aux apprenants et aux tuteurs de connaître précisément ce qu'il est possible de demander et d'accorder. Ces précautions n'arriveront pas au bout de tous les cas de figure. Pour ceux-là, il s'agira toujours pour le tuteur d'évaluer si la demande est légitime ou abusive et d'agir en conséquence.
L'image dans son contexte, sur la page : celinn.wordpress.com/2007/10/01/30-days-to-go/


lundi 9 mars 2009

Tutorales en chiffres... et en mots


Depuis le lancement de Tutorales, les messages de sympathie sont nombreux. Les témoignages d'usage le sont moins même si certains d'entre vous m'ont fait savoir qu'ils utilisaient les articles publiés dans leurs actions de formation. A noter également que Tutorales est désormais mis à disposition dans certaines bibliothèques universitaires.

En ce qui concerne les téléchargements, le n°1 en totalise 2753 depuis sa parution (mi-décembre 2008) et le n°2, 333 durant la dernière quinzaine de février.

Une soixantaine de personnes ont fait le choix de recevoir les prochains numéros par mail.

Le n°3 est en cours de rédaction ainsi que les n°4 et 5. J'étudie actuellement la possibilité de la sortie d'un numéro hors série pour l'été.

L'équipe d'accompagnement des auteurs dans leur rédaction est entrain de se renforcer.

Ci-dessous quelques liens vers des billets qui ont fait la promotion de Tutorales :

vendredi 6 mars 2009

Thèse de Marie-France Peyrat "Tutorat et apprentissage coopératif : comparaison de deux méthodes pédagogiques"


Marie France Peyrat a soutenu sa thèse "Tutorat et apprentissage coopératif : opposition ou complémentarité de deux méthodes pédagogiques" le 24 juin 2008.

Marie-France Peyrat est membre du
DEFP (Groupe de Recherche : Dynamiques d'Education de Formation et de Professionnalisation) dirigé par Alain Baudrit.

Durant neuf semaines, 149 élèves de 6ème travaillent sur des tâches de Français, soit individuellement, soit en groupe. Les élèves ont l'occasion d’échanger leurs points de vue, d'avoir accès à la parole plus souvent et de manière plus libre au niveau des travaux collectifs. Comparer des méthodes pédagogiques, c'est évaluer si l'asymétrie des compétences nécessitée par le tutorat, est plus ou moins efficace pour les progrès des élèves, que la symétrie, mise en œuvre au niveau de l'apprentissage coopératif. C'est aussi tenter de savoir, si le laps de temps passé à être ensemble influence ou non les progrès. Les théories sur le développement cognitif de l'enfant permettent d'interpréter les observations et les résultats des travaux de groupe mis en place.

N'ayant pas réussi à mettre la main dessus, je ne peux en dire plus sinon que j'aimerais bien la lire...

jeudi 5 mars 2009

Un exemple de rémunération d'un tuteur à distance


L'Université de Paris 3 -Sorbonne Nouvelle a recruté cette année deux tuteurs à distance pour son diplôme de Master 2 AIGEME, spécialité Ingénierie de la formation à distance en sciences humaines. Voici très brièvement l'offre émise dans le cadre de ce recrutement :


  • Rémunération : 150 € nets par mois
  • Type de tutorat : Deux fois par semaine (sauf pendant les vacances universitaires), répondre aux questions posées par les étudiants sur le forum public ou par la messagerie privée. Une fois par mois, proposer un exercice sur le forum (15 jours d’attente, correction générale, discussion), relancer les étudiants ne se connectant pas à la plate-forme ou ayant obtenu 10/20 au dernier devoir. Quatre fois par an, organiser une séance de travail à distance avec les étudiants d'une durée d'1h30 pour les entraîner aux exercices (méthodologie et pratique), et éventuellement pour faire un retour sur un point de cours, et répondre aux questions. En fin de semestre, mettre à jour de la foire aux questions à partir du forum et de la messagerie, compiler les questions et réponses susceptibles d’intéresser les étudiants de l’année suivante. Si la charge de travail représentée par un tutorat s’avère très inférieure à ce qui était estimé en début d’année (ex. forum peu suivi, etc.), un travail complémentaire sera demandé sous forme de document méthodologique (conseils de méthode/devoir corrigé et commenté/retour sur un point du cours, etc.) pouvant servir aux étudiants de l’année suivante.
  • Durée : 9 mois
  • Taille du groupe : Non spécifiée mais en moyenne 10 étudiants.
  • Commentaires : La charge de travail est la même pour tous les tuteurs de cette université mais j'ignore s'il en est de même pour le traitement salarial. Cela peut aussi ne pas être le cas, dans le mesure où ce diplôme est soutenu par le programme de formations ouvertes et à distance (FOAD) de l'Agence universitaire de la francophonie.

lundi 2 mars 2009

Paroles de chercheur : Jean-Jacques Quintin


C'est avec un grand plaisir que nous voyons la rubrique Paroles de chercheur s'enrichir d'une nouvelle contribution. Après Nathalie Deschryver, c'est
Jean-Jacques Quintin qui nous a accordé un entretien à propos de sa thèse "Accompagnement tutoral d’une formation collective via Internet. Analyse des effets de cinq modalités d’intervention tutorale sur l'apprentissage en groupes restreints" (cf. la présentation que nous en avons faite au mois de janvier dernier).

Le travail de Jean-Jacques Quintin m'avait vraiment impressionné tant par son ampleur et la rigueur dont il fait preuve que par les modélisations pertinentes qu'il propose. A la lecture de sa thèse, différentes questions me sont venues et c'est avec beaucoup d'amabilité et de soin que Jean-Jacques a pris le temps de formuler ses réponses. Celles-ci sont claires et précises et vous permettront, j'en suis certain, de vous faire une bonne idée de son travail et de ses apports.

Télécharger la thèse de Jean-Jacques Quintin


PETITE BIOGRAPHIE

Jean-Jacques Quintin a été chercheur à l'Unité de Technologie de l'Éducation (Université de Mons-Hainaut) durant une quinzaine d’années. Il travaille actuellement en tant qu’enseignant-chercheur à l’université Stendhal Grenoble 3. Ses recherches portent sur les modalités d'encadrement et de scénarisation pédagogique dans les dispositifs de formation à distance ainsi que sur la conception des environnements numériques de formation.


Courriel : Jean-Jacques.Quintin@u-grenoble3.fr
Toile : http://w3.u-grenoble3.fr/lidilem/labo/




ENTRETIEN


Jacques Rodet : Bonjour Jean-Jacques. Pour commencer cet entretien, j'aimerais savoir ce qui vous a amené à vous engager dans la recherche doctorale qui a été la vôtre. Quels sont les ressorts qui vous ont poussé à vous lancer dans cette aventure intellectuelle ? Comment avez-vous défini votre problématique ? Par quels moyens avez-vous trouvé votre directeur de thèse ? Réuni votre jury de soutenance ?

Jean-Jacques Quintin : Je m’y suis pris assez tard à vrai dire. Pendant des années, de 1989 à 2004, je me suis investi dans des activités liées à la recherche-développement (conception d’environnements d’enseignement-apprentissage médiatisés), à l’évaluation de dispositif de formation à distance et au tutorat à l’université de Mons-Hainaut (UMH). Cela faisait des années que mes collègues et amis me poussaient à entamer une recherche doctorale mais je n’en voyais pas vraiment l’utilité personnelle, juste une épreuve académico-sociale de plus ;-). Il y a quelques années, à l’occasion d’un changement professionnel (je travaille maintenant au Lansad, à l’université Stendhal Grenoble 3) et d’une rencontre « décisive », je me suis enfin décidé à me lancer dans cette belle « aventure ». Belles aventures au pluriel je devrais dire car il s’agissait de suivre d’abord un DEA. Mais la motivation y était tout à coup. Un déclic, le besoin d’aller voir ce qui se passe « au-delà du miroir », que sais-je.

La problématique choisie ne s’est pas imposée d’emblée. Plutôt concerné au départ par les questions de méthode d’enseignement-apprentissage, je me suis tourné dans un premier temps, à l’occasion du mémoire de DEA, vers l’analyse des effets d’interaction entre le scénario d’apprentissage et le scénario d’encadrement. Cette première recherche a révélé que les scénarios de type collaboratif-coopératif semblaient particulièrement sensibles au mode de tutorat. C’est donc principalement pour cette raison que je me suis décidé à explorer plus avant l’impact de différentes modalités d’intervention tutorale dans des conditions de travail en groupes restreints.

Alors, pour répondre à la question de l’encadrement de ma thèse… Le premier de mes directeurs (il faut dire que ma thèse s’est déroulée en co-tutelle) était tout désigné : ce fut Christian Depover avec qui j’ai collaboré pendant une quinzaine d’années à l’université de Mons-Hainaut. Le second, François Mangenot, professeur à l’université Stendhal, s’est trouvé sur le chemin de mon nouveau lieu de travail. Je le connaissais par ses publications. Il me semblait très intéressant d’avoir les conseils de quelqu’un qui avait de l’expérience dans le domaine de l’analyse qualitative des interactions ligne, aspect que je devais et voulais aborder dans la thèse. En ce qui concerne le jury, je n’y suis pas pour grand-chose. Ce sont mes co-directeurs qui se sont occupés de sa composition et cela me convenait parfaitement. Déterminer soi-même la composition de « son » jury me paraitrait en effet un peu étrange pour un candidat dont le travail doit être évalué le plus objectivement possible.

J.R. : En quelques mots, pouvez-vous nous résumer les principaux objectifs et hypothèses de votre recherche ?

J.-J.Q. : La problématique générale de la recherche s’inscrit dans celle de l’efficacité des actions des tuteurs dans leur tâche de soutien et d’encadrement des étudiants travaillant à distance via Internet. Instituteur à la base, puis tuteur à distance, la question des effets des interventions des enseignants dans un processus d’enseignement-apprentissage me semblait essentielle mais, comme je vous l’ai précisé, je n’avais pas eu l’occasion jusque là de m’y intéresser au niveau de la recherche. En tant que praticien, ce sont naturellement des questions que l’on se pose constamment sur le terrain de la formation. Bruno De Lièvre, à l’UMH, s’était déjà intéressé à cette problématique en étudiant les effets de deux modes généraux d’intervention tutorale : proactif et réactif et ses résultats indiquaient une tendance en faveur de la première modalité d’intervention tutorale, tendance confortée ultérieurement par d’autres recherches. La recherche réalisée dans le cadre de mon DEA montrait par contre que cette modalité proactive exerçait ses pleins effets dans une situation de travail en groupes restreints alors que dans des conditions d’apprentissage individuelles, les différences s’avéraient statistiquement non significatives. Je voulais en savoir plus.

Pour cette raison, je me suis donc orienté vers l’étude des effets des interventions tutorales en situation de travail de type « Co- », je veux dire co-opératif, co-llaboratif ou co-llectif, bref, en petits groupes ou groupes restreints (3 étudiants dans la situation prise comme objet d’étude de la thèse). L’idée de base de la recherche consiste à étudier les effets de différentes formes d’intervention proactive (qualifiées de « pédagogique », « socio-affective, « organisationnelle » et proactive classique, ici appelée « proactive non ciblée ») en comparaison de la modalité réactive. Au vu des résultats engrangés par les études dans ce domaine, on s’attendait à obtenir des résultats supérieurs en faveur de la modalité proactive non ciblé, résultats que je voulais préciser par l’analyse des données issues de l’application de formes « dérivées » de cette modalité générale : proactive ciblée sur des interventions pédagogiques, socio-affectives ou organisationnelles selon les cas. C’est ça qui m’intéressait, préciser l’effet positif généralement constaté lorsqu’on applique un tutorat proactif.

J.R. : Vous distinguez plusieurs modalités d'intervention tutorale (MiT) : pédagogique (Péda), socio-affective (Soc), organisationnelle (Org), réactive non ciblée (Réa), proactive non ciblée (Pro). Afin de mieux les situer, pouvez-vous pour chacune d'entre elles nous donner quelques exemples de messages tutoraux ?

J.-J.Q. : Une petite précision d’abord pour bien comprendre la manière dont cette recherche a été conçue. Deux des cinq MiT utilisées sont qualifiées de « non ciblées » dans la mesure où elles ne privilégient pas un type d’intervention en particulier, mais se distinguent d’après la manière dont l’intervention du tuteur se déclenche, soit uniquement en réaction à une demande d’un étudiant en ce qui concerne la MiT réactive, soit à la fois en réaction à une demande mais aussi, et c’est ce qui la distingue de la première, à l’initiative du tuteur. C’est la MiT proactive que l’on a qualifiée ici de proactive « non ciblée ». Ce sont les deux modes de tutorat que l’on trouve classiquement dans les études. Les trois autres modalités ont été élaborées spécifiquement pour les besoins de cette recherche. Elles sont également de type proactif mais, à la différence de la MiT proactive non ciblée, elles privilégient un type particulier d’intervention, dans le sens où le tuteur intervient plus particulièrement dans l’une des trois catégories d’intervention que nous avons choisies d’analyser, à savoir la catégorie socio-affective, organisationnelle et pédagogique. Les consignes transmises aux différents tuteurs étaient relativement générales. Pour donner quelques précisions à ce sujet, je dirais que la MiT socio-affective, telle qu’elle a été « prescrite » pour application, se distingue des autres par des interventions destinées à établir et à maintenir un climat relationnel propice au travail d’équipe, à favoriser la cohésion et l’entraide entre les membres, à soutenir les étudiants dans l’effort, à valoriser le travail individuel et collectif. La MiT organisationnelle, quant à elle, se distingue des autres MiT par des interventions qui sont destinées essentiellement à soutenir l’organisation du travail collectif au niveau de la répartition des tâches et de leur planification, à rappeler les échéances, à aider le groupe à planifier ses activités, à inciter la réflexion sur l’organisation de l’équipe etc. Enfin, la MiT pédagogique intervient principalement pour rappeler et expliciter les objectifs et les critères d’évaluation, pour soutenir l’apprentissage par étayage sur les contenus, pour apporter un soutien méthodologique, pour susciter la réflexion métacognitive et soutenir les conflits sociocognitifs.

Sans entrer trop dans les détails, je voudrais néanmoins préciser que les MiT telles que je viens de les présenter sont en réalité des MiT théoriques ou encore des MiT « prescrites » aux tuteurs pour application et qu’un travail d’analyse et de formalisation a été réalisé pour vérifier si l’application était conforme aux orientations théoriques, ce qui s’est révélé être le cas, et pour faire ressortir leurs spécificités lors du suivi assuré lors de la formation. A cet égard, il est apparu que la MiT socio-affective, pour prendre cet exemple, se distingue d’un point de vue quantitatif (nombre d’actes de parole), essentiellement par des interventions se situant sur deux plans : le renforcement du sentiment d’appartenance des membres au groupe restreint et la valorisation collective. Si je continue à détailler les spécificités des autres MiT ciblées, je risque d’être un peu long mais vous trouverez plus de détails dans la thèse bien sûr mais également dans un article publié dans la revue STICEF, accessible en ligne (http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2008/04-quintin/sticef_2008_quintin_04p.pdf). Des exemples d’interventions tutorales se trouvent également dans cet article.

J.R. : Afin de vérifier vos hypothèses, vous avez procédé à une analyse quantitative des interventions (nombre et longueur des messages). Ces critères quantitatifs sont intéressants, dans la mesure où ils peuvent permettre aux concepteurs de repérer les MiT les plus économes en temps-tuteur et faciliter le dimensionnement de leur système tutoral. Quelles sont donc les MiT qui consomment le moins de temps-tuteur ?

J.-J.Q. : Oui, effectivement, outre la spécificité de chacune des modalités d’intervention tutorale et probablement à cause de leurs spécificités, on se rend compte que chacune d’entre elle demande au tuteur un « investissement » variable et, dans certains cas, significativement (au sens statistique du terme) différent. Ainsi, il est intéressant de relever que les modalités proactive non ciblée et pédagogique exigent un investissement plus important alors que la modalité socio-affective et la modalité organisationnelle se révèle plus économique. Si l’on considère l’efficacité de la MiT socio-affective, sa bonne acceptation par les tuteurs ainsi que sa probable facilité de mise en œuvre, la MiT socio-affective s’avère très intéressante, du moins dans les conditions dans lesquelles la formation a été conduite. Bien entendu, la modalité réactive est de loin la MiT la moins consommatrice de temps. Cependant, au vu des résultats de cette recherche, il se confirme qu’elle est, de loin également, la moins efficace.

J.R. : Dans une démarche plus qualitative, vous vous êtes également intéressés à l'influence des interventions tutorales sur les performances des étudiants. Quelles sont les MiT qui ont le plus aidé les étudiants à atteindre les objectifs académiques du parcours et leurs objectifs personnels de formation ?

J.-J.Q. : En réalité, je me suis surtout centré sur cet aspect, à savoir l’analyse des effets de ces différentes MiT sur les performances académiques individuelles des étudiants et sur la « qualité » des différentes activités d’apprentissage réalisées en groupes restreints. Les grandes tendances qui se dégagent des analyses sont particulièrement convergentes. Si tous les résultats ne révèlent pas systématiquement des différences statistiquement significatives, certains l’indiquent cependant et toutes vont globalement dans le même sens, à savoir une supériorité de la modalité proactive non ciblée et de la modalité socio-affective par rapport aux autres MiT. Prenons le cas de la modalité socio-affective qui permet aux étudiants et aux groupes restreints d’obtenir souvent les meilleurs résultats. Ainsi, la modalité proactive ciblée sur la composante d’intervention socio-affective a permis aux étudiants d’obtenir des résultats supérieurs aux autres (performance individuelle et participation) ou, pour l’une des variables considérées (assiduité), équivalents à ceux des groupes « proactif non ciblé ». De plus, tout comme la MiT proactive non ciblée et à l’inverse des autres MiT, cette modalité de suivi a conduit les équipes à améliorer la qualité de leurs activités d’apprentissage entre la première et la seconde partie de la formation. Il n’est pas impossible que la modalité socio-affective agisse de manière favorable sur des variables intermédiaires, telles la motivation, la persistance dans l’effort, la cohésion de groupe, ou le climat socio-relationnel, variables qui, en retour, contribueraient à améliorer les résultats que nous avons enregistrés. A ce stade, cela reste une hypothèse, mais qui, d’une part, semble confortée par la littérature et qui, d’autre part, va dans le sens des analyses complémentaires que j’ai effectuées récemment, à partir du même corpus, sur la perception des étudiants du climat de leur groupe. Il ressort, en effet, et c’est très intéressant, que les membres de groupes soutenus socio-affectivement ont une meilleure perception de la qualité du climat socio-relationnel de leur équipe.

J.R. : A la suite de la discussion de vos résultats de recherche, vous émettez l'hypothèse qu'il existerait une certaine corrélation entre l'investissement tutoral et la participation des étudiants. Plus les tuteurs interviennent, notamment selon la modalité proactive non ciblée, plus les étudiants sont enclins à participer à des échanges écrits asynchrones. Ne s'agit-il pas là de l'effet de l'animation essentielle à la réussite des forums ?

J.-J.Q. : Il est vrai que, dans cette recherche, il y a une certaine relation entre la quantité d’interventions tutorales et la participation des étudiants si celle-ci est estimée par le nombre et la longueur des messages. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’une plus grande quantité d’interventions des tuteurs, quelle qu’en soit leur nature, entraîne une plus grande participation des étudiants. Dans la modalité réactive ce serait même le contraire, ce sont très probablement les interventions des étudiants qui entraînent la participation des tuteurs. Par contre, il semblerait que la proactivité agisse favorablement sur la participation des étudiants dans les forums, ce qui a été montré dans cette recherche et dans d’autres études. En pareille situation, il y aurait un effet qui relèverait, il me semble, de l’incitation à s’impliquer dans les échanges. Ce n’est donc pas à proprement parler la quantité d’interventions tutorales qui interviendrait mais plutôt la modalité d’intervention, celle-ci ayant par ailleurs des conséquences sur le nombre d’interventions. La causalité n’est jamais simple à mettre en évidence.

A noter, au passage, qu’on ne trouve dans aucune recherche, du moins à ma connaissance, de lien avéré entre la participation des étudiants aux échanges asynchrones et leurs résultats académiques. Là aussi, il s’agirait, à mon sens, de chercher plutôt du côté qualitatif que quantitatif. En somme, c’est probablement le moment adéquat de l’intervention, la manière dont les acteurs interviennent et ce qu’ils « disent » qui se montrent déterminants et non la quantité seule des paroles échangées. Ceci dit, aucun effet positif ne peut être raisonnablement espéré si les acteurs ne s’engagent pas a minima dans les interactions. A ce titre, et pour en revenir spécifiquement aux effets des interventions des tuteurs, j’avance l’idée d’une double condition nécessaire à l’efficacité d’une intervention tutorale dans des échanges asynchrones, quantitative et qualitative : 1) la présence d’une quantité d’intervention tutorale minimale (le « seuil quantitatif d’intervention ») et 2) la présence d’interventions, qui par leur nature, sont qualitativement appropriées (« l’adéquation qualitative ») : adéquates au vu de l’évolution du groupe, de sa constitution, de sa genèse ; adéquates par rapport au déroulement de la formation ; et enfin, adéquates au vu des besoins et des difficultés rencontrées dans le groupe.


J.R. : A la suite d'autres auteurs, vous indiquez que la proactivité permet aux étudiants de mieux réussir en particulier dans une démarche d'apprentissage en groupe restreint. Pensez-vous que la modalité réactive doit-elle être abandonnée ? Si cette dernière est moins efficace pour l'accompagnement d'un groupe restreint, ne reste-t-elle pas valide pour un encadrement individuel ?


J.-J.Q. : C’est en effet un résultat qui est conforté de recherche en recherche. Dans la plupart des études récentes, on arrive à la conclusion que la proactivité aboutit à des résultats meilleurs. C’est rassurant pour nous, enseignant. Plus on travaille, meilleur sont les résultats. Mais ce n’est pas aussi simple effectivement. La réalité est un peu plus complexe. Première remarque : on n’est pas strictement assuré que cette différence tient du mode d’intervention (réactif vs. proactif) ou du temps investi par le tuteur, les deux facteurs se confondant sur le terrain. La recherche en question permet au moins de dire qu’un tutorat proactif n’a pas les mêmes effets selon la manière dont ce tutorat a été élaboré et pratiqué. Seconde remarque valable pour toutes nos recherches : ces études ont été menées dans des conditions bien particulières et il est difficile de généraliser les résultats à des situations de formation foncièrement différentes. Cela rejoint votre question et je vais y répondre mais pour poursuivre mon raisonnement, je voudrais donc souligner que souvent les formations analysées en matière d’intervention tutorale se déroulent sur un temps relativement court (6 semaines dans le cas de ma recherche). Ainsi, il n’est pas impossible qu’au bout d’un « certain temps » les effets d’un tutorat donné change ou, pour envisager les choses par l’autre bout de la lorgnette, les besoins d’aide changent. Il me semble que ce fait est particulièrement valable pour l’encadrement, le soutien, non pas individuel mais en petits groupes car, dans ce cas, la formation, la « genèse » d’un groupe formé d’individus qui ne se connaissent pas ou peu ou qui n’ont, du moins, pas l’habitude de travailler ensemble, qui plus est, à distance, joue très vraisemblablement un rôle déterminant. Lorsqu’un climat, un fonctionnement efficace, des relations harmonieuses sont installés au sein de l’équipe, peut-on imaginer que ce groupe ait besoin d’un autre type de soutien, voire d’un encadrement plus léger, plus pédagogique, voire…. plus « réactif » ?


J.R. : Vous tirez une autre conclusion de votre recherche relative à l'efficacité des interventions socio-affectives qui permettent d'établir un climat de confiance favorable à la participation des étudiants. Iriez-vous, à la lumière de votre recherche, jusqu'à avancer qu'un soutien socio-affectif peut suffire aux étudiants pour atteindre leurs objectifs de formation ? Qu'un tuteur, dès lors qu'il investit le plan socio-affectif, peut être un « maître ignorant » ? Et si c'est le cas, ne faudrait-il pas redéfinir le profil professionnel des tuteurs qui seraient alors plus des professionnels de l'aide que des enseignants ?


Dans les conditions de la recherche, on peut juste conclure qu’un soutien socio-affectif semble efficace, plus efficace qu’une modalité réactive en tous cas et certainement aussi efficace qu’un tutorat proactif non ciblé, au niveau des performances académiques individuelles, des activités en groupes restreint de type confrontation d’idée (un débat par exemple) et que cette modalité, tout comme la modalité proactive non ciblée, soutien probablement mieux les étudiants dans leur effort (motivation, persistance). Il est possible, au vu des particularités de ce mode d’intervention, que ce type de tutorat ait favorisé un « meilleur » climat socio-relationnel (appelons-le ainsi, la littérature est assez floue à ce sujet pour l’instant) favorable à l’engagement des étudiants et du groupe dans la formation. A ce stade des recherches, ce n’est qu’une hypothèse. Elle me semble intéressante d’autant plus que certaines analyses que j’ai effectuées sur la perception des étudiants du climat au sein de leur groupe restreint. Il s’avère en effet que les étudiants qui ont été soutenu « socio-affectivement » ont une perception plus marquée positivement du climat de leur équipe.

Maintenant, pour répondre à la seconde partie de votre question, on peut imaginer, en effet, que le tuteur qui doit intervenir en début de formation ou dans des formations relativement courtes (disons, approximativement, de l’ordre de quelques semaines), bref, qui est placé dans des conditions où le groupe restreint a besoin d’un soutien pour se constituer, pour se souder, dispose avant tout de compétences que l’on pourrait qualifier de « socio-affectives ». Cela étant dit, il faut malgré tout insister sur le fait que, dans cette recherche et, en réalité, dans toute pratique de terrain, une modalité d’intervention n’est jamais à 100% de tel ou tel type, elle n’est jamais totalement « pure ». Ainsi, la MiT socio-affective comporte également des interventions de type pédagogique et organisationnel même si la majorité d’entre elles est de nature socio-affective. Il me semble donc malgré tout nécessaire que le tuteur placé dans une situation où l’on pense que le soutien socio-affectif est important dispose, malgré tout, d’un « bagage » minimal qui lui permettra de répondre, par exemple, aux questions pédagogiques posées par les étudiants.


J.R. : Avez-vous pu repérer l'influence des interventions des tuteurs dans la dynamique de groupe ? Quelles sont les MiT qui ont plus facilement permis aux étudiants de passer de « l'illusion groupale » (usage du on) à la « phase de conflit » (exacerbation des je) puis à la phase de maturité (émergence du nous) ?


J.-J.Q. : Non et c’est la limite (temporaire je l’espère) de la recherche dont nous parlons. Dans cette étude, il n’y a pas (encore) d’analyse de l’impact des MiT sur la dynamique de groupe. C’est en quelque sorte le chaînon manquant ou, du moins, l’un des chaînons manquants. Certaines données sont là (questionnaire d’opinion et interactions en ligne) et je m’attelle à envisager cet aspect, assez complexe je dois dire. En effet, il s’agit de tenir compte à la fois des effets possibles de tel type de soutien sur certains aspects de ce qui relèvent de la « dynamique de groupe » (climat socio-relationnel, cohésion, formation/constitution du groupe, sentiment d’appartenance, collaboration etc.) mais également de l’impact possiblement différent d’une MiT en fonction à la fois du « moment » de la formation (on observe en effet des cycles d’investissement selon des moment-clés de la dynamique de la formation cette fois) et de la « genèse » du groupe, de sa construction, les deux étant probablement en interrelation, ce qui ne facilite pas les choses. Le but à terme, ambitieux si l’on est seul mais parfaitement envisageable si d’autres recherches s’intéressent à ces aspects, serait de mieux cerner les effets des modes d’interventions tutorale sur la formation du groupe et par là… sur les résultats en termes d’apprentissage.

J.R. : Au terme de cet entretien, quelles est la question que je ne vous ai pas posée et à laquelle vous auriez aimé répondre ?

J.-J.Q. : Oui, je me suis promis de prendre un peu de vacances cette année, les doctorants comprendront ce que je veux dire (rire). Merci en tout cas de l’occasion que vous m’avez offerte de présenter les résultats de ma recherche.

J.R. : Merci Jean-Jacques pour cet entretien.