Afin d'engager le débat autour de la professionnalité du tuteur à distance, nous vous invitons à prendre connaissance du mémoire de maîtrise en sciences de l'éducation que Stéphanie Ceron a rédigé en 2003. Ce document dont la problématique est « Le tutorat à distance, un métier émergent dans la formation supérieure? » est accessible à http://forse.univ-lyon2.fr/IMG/pdf/doc-45.pdf
Nous reproduisons ci-après la dernière partie de sa conclusion qui peut constituer une bonne introduction à nos futurs échanges sur ce thème.
De manière générale, nous pourrions essayer de répondre à ces quelques questions : Peut-on, indifféremment, utiliser les termes de métier, profession, professionnalité ? Qu'est-ce qui fait profession ? La compétence fait-elle toujours profession ?
Plus précisément sur le tutorat à distance : Quelles pratiques tutorales peuvent être qualifiées de métier ? A quelles conditions peut-on parler de métier pour le tutorat à distance ?
Chacun peut commenter ce message et les auteurs enregistrés de t@d, peuvent également publier des contributions sur ce thème de la professionnalité.
Nous rappelons que t@d s'est déjà intéressé à des thèmes voisins et que sont disponibles à la lecture deux ressources : le Dossier t@d n°2 : statut de tuteur à distance et la Grille d'évaluation des conditions de travail des tuteurs à distance, v.2.0
Avec la déferlante « NTIC », de nouveaux métiers apparaissent : dans les campus numériques, on rencontre des concepteurs de contenus, des chargés de T.D. virtuels, des directeurs de recherche en ligne... De nombreux métiers, en lien avec les nouvelles technologies, ont vu le jour. Mais pouvons-nous réellement les qualifier de nouveaux ? Pour certains oui, mais pour la plupart il s’agit plutôt d’une requalification de métiers déjà existants. Prenons l’exemple du webmaster dont le métier est celui « d’un véritable gestionnaire de contenu. Le webmaster doit avoir des compétences rédactionnelles, maîtriser la stratégie de l’entreprise et avoir un esprit de communication. » Il s’agit ici d’une combinaison d’un ensemble de compétences des métiers de la communication, préexistant à Internet. Cependant, Internet est également créateur de nouveaux métiers mais ils ne sont pas aussi abondants qu’on aurait pu le penser. Parmi ces derniers, on peut citer ceux liés à la maintenance. Aussi, il existe des métiers que l’on croit nouveaux car ils demandent de nouvelles compétences, c’est ce qu’exprime A. d'Iribarne, directeur de recherche au CNRS et chercheur au laboratoire d'économie et de sociologie du travail d'Aix-en-Provence, en tempérant la notion de nouveaux métiers : Ceux-ci résultent toujours d'un croisement, ce que j'appelle une "hybridation", entre des pratiques professionnelles déjà existantes et des usages nouveaux, induits par l'évolution des technologies. Ici, nous sommes tout à fait dans la configuration du tuteur à distance puisque cette activité réclame certaines compétences du tuteur en présentiel (donc déjà existantes) et d’autres (nouvelles) liées au mode distanciel de la formation. Peut-on alors parler du métier de tuteur à distance ou reste-t-il une activité ? Pour pouvoir répondre à cette question, il faut se pencher sur la définition des termes « métier » et « emploi ».
Métier : Genre de travail déterminé reconnu ou toléré par la société et dont on peut tirer des moyens d’existence.
Emploi au sens de l’emploi exercé : Tout travail rémunérateur exécuté pour un employeur ou pour son propre compte. 3
Deux critères distinguent l’activité du métier (ou de l’emploi). Il faut que le travail soit :
- reconnu en tant que tel par la société,
- rémunéré.
Le tutorat en présentiel est une activité dans le sens où c’est un travail non rémunéré (cf. étudiant-tuteur) mais dédommagé. Le professeur, qui est aussi tuteur, est rémunéré, il ne l’est pas en tant que tuteur, mais en tant que professeur, dont une de ses fonctions est le tutorat. Qu’en est-il pour le tutorat à distance ? La définition plus approfondie du mot « emploi » émanant de l’AFPA va contribuer à répondre à cette question.
Emploi au sens des emplois repérés : référents standardisés, composés de fonctions uniques ou combinées, correspondant à des situations de travail appelant des compétences identifiées, observables et relativement homogènes.
Dans cette définition on parle de fonctions (« uniques ou combinées »), de compétences (« identifiées »). Or tout au long de ce mémoire, les études théoriques et pratiques ont démontré que « tuteur à distance », était une activité :
- à part entière,
- qui consommait beaucoup de temps (elle est difficilement faisable en plus d’un emploi à temps plein)
- qui était nécessaire, voire indispensable dans certaines formations,
- qui demandait des compétences spécifiques, bien identifiables,
- qui devait être réalisée par des personnes qualifiées et expérimentées. En effet, tous les tuteurs du campus numérique FORSE ont un niveau troisième cycle, de même, ils avaient tous une expérience de tutorat en présentiel ou travaillés avec des tuteurs avant d’être TAD.
Les critères qui définissent un emploi sont présents dans le tutorat à distance. Le tutorat à distance pourrait être en passe de devenir un métier et non plus une simple activité réalisée en plus de son métier. Etant donné l’importance des taux d’abandon dans les formations en ligne, le métier de tuteur à distance pourrait se développer considérablement dans les années à venir. Or, c’est un métier qui demande de nombreuses compétences ; une formation devient inévitable. Tuteur à distance n’est pas un métier technique, mais un métier né de l’utilisation des nouvelles technologies. Qu’est-ce que serait une formation au métier de tuteur à distance ? Dans une telle formation, il ne s’agirait pas de faire du tuteur un professionnel de la pédagogie à distance, ni de lui donner la liste des tâches qu’il est susceptible d’accomplir, mais bien de lui donner les outils nécessaires pour comprendre ce qu’est le tutorat à distance et comment aider au mieux l’apprenant distant. Il s’agirait d’apprendre à repérer les rôles du tuteur en fonction des missions que chaque organisme de formation assigne aux tuteurs. Les tuteurs à distance du campus numérique FORSE n’ont pas reçu de formation, mais ont eu des informations lors de réunions entre tuteurs. Ils s’échangeaient aussi des mails lorsqu’ils rencontraient des problèmes, on peut parler alors de co-formation. Est-ce suffisant ? Chaque tuteur a-t-il bien identifié ses rôles ? Ont-ils rencontré des problèmes ? Lors des entretiens, lorsque je leur demandais de me dire quelles étaient leurs interventions auprès des étudiants, j’ai eu des réponses différentes car chacun a une idée bien spécifique de son rôle. Par exemple, Le tuteur 6 a clairement défini son rôle auprès des étudiants et ceux-ci ne l’interrogent pas sur les contenus. Le tuteur 3 explique aux étudiants que ça ne relève pas de sa compétence de traiter des questions sur le contenu et il les renvoie d’abord à d’autres étudiants puis si les problèmes persistent, aux professeurs compétents. Enfin, le tuteur 8 explique que quand il le peut il répond aux questions sur les contenus, mais dès qu’il est en difficulté il pose la question aux professeurs compétents. Nous sommes confrontés à trois tuteurs qui exercent différemment leur tutorat et pourtant qui devraient fonctionner à l’identique. Le but d’une formation serait aussi d’harmoniser et de réguler les pratiques de la fonction tutorale. Faute de formation, il semble indispensable de prévoir des réunions entre tuteurs comme cela c’est fait pour les tuteurs du campus numérique FORSE. En effet, elles sont l’occasion pour les tuteurs de mettre en commun leurs difficultés et d’essayer de les résoudre. Le tuteur 1 explique quel est l’intérêt de ces réunions : « on a des réunions et j’ai envie de dire que ces réunions nous sont extrêmement nécessaires, en ce sens que, elles nous permettent de mettre à plat un certain nombre de questionnements et certains apportent des réponses, donc on peut appeler ça une formation. On a aussi des échanges par mail qui nous permettent de partager à la fois les savoirs des uns, les ressources des autres et les interrogations de tous, alors on peut parler d’auto-formation. »
Plusieurs tuteurs ont déclaré que la fonction tutorale était un véritable métier ou en tout cas qu’elle prenait la place d’un vrai métier. La non-reconnaissance de celui-ci avec les retombées que cela implique (un statut, un salaire…) risque de poser des problèmes sur plusieurs niveaux.
- Tout d’abord sur ce qu’est véritablement être tuteur à distance. Pour donner les mêmes chances aux étudiants, il faudrait harmoniser les fonctions du tuteur. Voilà ce que répond le tuteur 8 lorsque je lui demande si une formation au tutorat à distance serait utile : « Euh, une formation, ben oui forcément, ben sur le métier, mais comme ce n’est pas encore très défini ce qu’est un tuteur, donc on apprend en faisant, voilà. », plus loin il ajoute : « est-ce qu’un tuteur doit être quelqu’un qui doit être compétent dans toutes les matières pour pouvoir justement apporter de l’aide, ou alors le tuteur doit être simplement quelqu’un qui accompagne, qui a une expérience et qui essaye de faire partager à l’autre, de le rassurer, etcetera, bon, c’est là tout le problème. »
- Le recrutement des tuteurs à distance va être de plus en plus difficile car le défraiement offert ne semble pas à la hauteur du travail effectué. Lorsque je demande au tuteur 8 ce qui a motivé sa candidature il me répond : « C’est pas le fric hein (rires), c’est pas l’argent, c’est l’intérêt du travail […] » De même le tuteur 9 explique que la fonction tutorale représente une charge de travail qui est difficilement conciliable en plus d’un métier : « Ce que je sais, c’est que ça consomme énormément de temps et que c’est une des raisons pour lesquelles je ne sais pas si je vais continuer l’année prochaine. Au niveau du temps c’est beaucoup, alors je ne sais pas, mais disons que, au minimum trois fois par semaine euh, je me mets à répondre aux courriers, à regarder les courriers et puis quand c’est pas tous les soirs, à certaine période de pointe, mais une fois que c’est commencé, c’est un vrai boulot, c’est un vrai métier quoi. » Le tuteur 1 après m’avoir fait part de ses différentes activités (tuteur, correcteur, …) exprime la difficulté qu’il a à les mener de front : « Je n’ai pas le sentiment d’être débordé, j’ai la certitude d’être débordé, je me demande combien de fois je vous ai dit, dans les réponses, que le problème c’était la gestion du temps, on est toujours débordé, même si on se donne des règles, c’était une de vos questions importantes, on est quand même toujours débordé. Euh, on n’est pas capable de mesurer le temps du virtuel. » Le cumul des fonctions peut représenter un handicap et le tuteur pourrait alors décider d’abandonner la fonction tutorale. Aussi faute de temps, certains tuteurs ont l’impression d’assurer un service minimum comme le dit le tuteur 9 : « C’est pour ça que, je trouve que c’est un vrai métier parce qu’il faudrait avoir plus de temps, il y a des gens dont je suis à peu près sûr euh, qui sont un peu en difficultés, je n’ai pas le temps de m’en occuper, voilà. »
Etre tuteur à distance est une activité qui réclame beaucoup de temps et qu’il est difficile de faire en plus de son métier. La reconnaissance du métier de tuteur à distance permettrait d’augmenter l’efficacité du tuteur grâce à une formation adaptée, à un temps adéquat consacré au tutorat, à un salaire plus motivant…
1 commentaire:
Après une première lecture, et sûrement encore par ignorance, je perçois mal la différence de compétences ou de métier entre un tuteur à distance et un formateur, si ce ne sont les conditions de travail et sa capacité à manipuler des outils Web. Je suis depuis peu de temps tuteur à distance et pilote un dispositif d'apprentissage à distance dans l'industrie. Je forme parallèlement une équipe de futurs tuteurs, actuellement formateurs. Finalement, je m'aperçois que, dans la formation et l'accompagnement que nous délivrons, peu d'éléments diffèrent d'une formation de formateur, et de sa pratique. Le métier de tuteur est approché selon les mêmes précepts et il sera reconnu en tant que formateur à part entière, et rémunéré sans distinction. Le terme tuteur est en fait utilisé chez nous pour caractériser ce qui est réalisé à distance.
Dans notre démarche, nous portons à la connaissance des futurs tuteurs les théories récentes ou les modèles d'apprentissage, ainsi que les méthodes actives (Apprentissages collaboratifs, par résolution de problèmes ou par le projet). Cela a l'avantage pour le moment d'induire "naturellement" un comportement et une démarche de soutien à l'apprentissage que l'on pourrait qualifier de tutorale telle qu'elle est régulièrement entendue. Geneviève Jacquinot, souvent mentionnée, relève très bien les compétences attendues d'un tuteur à distance mais, toujours à mon sens, c'est ce qu'est en droit d'attendre aussi un apprenant en activité dans une salle. Finalement je m'interroge : ne serait ce pas plutôt le métier ou la profession de formateur qui devrait être revisée en s'inspirant des procédés tutoraux, surtout à l'ère du life-long learning, cela aiderait la profession à s'émanciper de méthodes encore trop souvent traditionnelles ? Je me demande aussi maintenant si l'emploi du terme de formateur à distance à la place de tuteur n'aiderait pas la profession de tuteur justement à être mieux reconnue ?
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