Comment taire une certaine inquiétude à voir se multiplier dans le discours sur l’éducation ou la formation les appels à repérer les « bonnes pratiques » avec, en sous-entendu, l’appel à traquer les mauvaises pratiques ?
Bien sûr, comme tant d’autres, le souci d’une éducation et d’une formation de qualité me tient au ventre et sert de ressort à mon engagement dans ces filières depuis des années ! Alors à quoi bon ces inquiétudes vis-à-vis de ce terme « bonnes pratiques » ? Elle me vient de la certitude que l’illusion d’une partition du monde entre le « bien » d’un côté et le « mal » de l’autre (l’après 11 septembre et le discours de Georges Bush) qui trouve son prolongement en France par le biais du recours au bon sens avec sa logique « y a ka… pour que » (discours de Raffarin) opèrent une régression conservatrice dans un monde où le manichéisme d’antan doit immanquablement céder la place à la complexité des temps présents. La complexité n’est ni le «relativisme » (tout se vaudrait tant il serait désormais impossible de discriminer le juste de l’injuste) mais bien l’acceptation de cette réalité repérée par Blaise Pascal et devenue vérité scientifique : la partie est dans le tout comme le tout est dans la partie. Par la suite, Edgar Morin a amplifié cette perspective en appelant le monde de l’éducation et de la formation à intégrer à la transmission des savoirs la multiplicité des approches possibles de toute vérité et le caractère extrêmement mouvant de chacune. Dans ce monde volatil sans pour autant être futile, telle pratique pourra être « bonne » dans un contexte particulier et pourra devenir mauvaise dans un contexte apparemment similaire et dans lequel pourtant d’infimes variables viendront invalider les procédures établies et les certitudes admises. Aussi, il me semble que la quête de l’efficacité professionnelle, qui est sans doute le but visé à travers cet appel aux bonnes pratiques, doit-elle s’appuyer sur une expertise bien plus fine et un système d’évaluation bien plus souple (ce qui ne veut pas dire incertain) que cette partition entre « bonne » ou « mauvaise » pratique, cette classification bipolaire entre « bons » ou « mauvais » professionnels.
Cette inquiétude se confirme encore et enfin par le constat de l’émergence, sur ce qui s’apparente de plus en plus comme un marché de la formation, d’officines constituées soit par des institutionnels patentés soit par des de consultants appâtés par de possibles gains. Ces derniers créent leurs propres référentiels de bonne pratique et tentent de les imposer à toute une communauté sans que celle-ci puisse avoir son mot à dire. Alors certes il faut traquer les escroqueries (cf., celle dénoncée dans ce blog le 11 janvier http://blogdetad.blogspot.com/2008/01/mentorat-plutt-que-tutorat-par-philippe.html) , écarter les pratiques irresponsables ou dangereuses (diffusion de savoirs tronqués ou truqués) mais en essayant de recourir pour cela à d’autres pratiques que l’imposition de force de codes, au départ sans aucun doute de bonne intention par leur volonté déontologique, mais qui peuvent dériver vers l’abus de pouvoir et l’atteinte aux libertés et à la créativité. Plutôt que la définition et l’imposition de référentiels de bonne pratique je préconise le recours à la libre circulation de l’information et des usages de sorte qu’une communautés d’utilisateurs et non pas seulement de consommateurs usent de ses savoirs et de ses capacités critiques pour discerner le bon grain de l’ivraie et savoir orienter la demande vers les professionnels ou vers les sites les plus pertinents.
Image dans son contexte original, sur la page www.e-agriculture.org/18.html?&no_cache=1&L=1
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