samedi 26 janvier 2008

Tutorat : terra incognita. Par Patrick Guillemet

Le texte qui suit vise à éclairer certains enjeux de la grève des personnes tutrices à la Télé-université. Rédigé à l'intention du journal interne, ce texte a été censuré par la direction générale, une première dans l'histoire de ce journal.

Quelques Téluq-Express pour rassurer le personnel, la chronique « La Téluq dans les médias » devenue muette : l'information sur la grève des tuteurs en cours à la Télé-université est parcimonieuse. Gêne vis-à-vis d’une chicane de famille ? Moment difficile à passer avant de relever la tête ? Ou plutôt indice d’une difficulté plus profonde ? Quand Radio-Canada annonce le 15 janvier dernier que la Télé-université est au bord de la grève, le communiqué indique que « la direction dit ne pas comprendre la comparaison que les tuteurs font de leur travail avec celui des chargés de cours ». On part de loin et les positions des parties semblent éloignées, quelque 19 mois après le dépôt des demandes syndicales. Pendant ce temps, l’Université de Sherbrooke annonce une entente avec ses chargés de cours avant même l’expiration de la négociation collective, et après seulement cinq rencontres de négociations. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ?

Revenons un peu en arrière. En 2005, la revue Distances & Savoirs consacrait un numéro spécial au tutorat à distance et à ses logiques industrielles. J’avais convaincu la présidente du syndicat des tutrices et tuteurs d’y contribuer et nous avions mené une enquête auprès des personnes tutrices sur la technologisation de leurs interventions auprès des étudiants, à laquelle avaient participé 60 % d’entre eux1. De laquelle ressortait un portrait contrasté : plutôt satisfaits de l’utilisation des nouvelles technologies qui leur permettaient de mieux répondre aux demandes, les tuteurs faisaient également part de leur déception, indiquant que leurs attentes envers une mise à jour des cours plus rapide et un meilleur accès aux professeurs ne s’étaient pas réalisées, les laissant seuls dans leur fonction de médiation entre les besoins changeants des étudiants résultant de la diversité de leurs styles d'apprentissage et de leurs contextes professionnels, et les rigidités administratives ou pédagogiques de la Télé-université.

Cette médiation névralgique méconnue est sans doute au cœur du conflit actuel. D’un côté, la croyance en des cours si bien préparés qu’ils se suffisent à eux-mêmes, de l’autre une séparation entre le professeur et l'étudiant érigée en dogme. Pourtant, s’il est vrai qu’un bon nombre d'étudiants est largement autonome quand le matériel de cours est bien fait, ils ne souhaitent pas pour autant être laissés à eux-mêmes, surtout quand ils rencontrent des problèmes d’ordre technique. Et s’il est vrai que relativement peu d'étudiants recourent aux personnes tutrices quand les difficultés d'apprentissage sont bien dosées, leurs besoins d’assistance sont par contre grands quand le degré de difficulté augmente, les personnes tutrices étant alors appelées, selon le cas, à compléter ou à clarifier la matière enseignée; ceci est particulièrement vrai des étudiants dont le niveau de formation initial est plus faible. Or, il s’agit bien de favoriser la récurrence des étudiants, qui chute de façon importante après trois trimestres.

Plusieurs facteurs prennent ici une importance particulière. Il y a quelques années, l’Université Laval a mis sur pied une plate-forme de formation à l’intention de ses tuteurs en mettant l’accent sur le développement de la capacité d’interaction pédagogique. Pour sa part, la Télé-université semble, malgré les demandes en ce sens des personnes tutrices, préférer leur offrir un perfectionnement lié au contenu des cours. De même, les chargés d'encadrement de la Télé-université qui interviennent dans les cours de deuxième cycle, se voient reconnaître une durée d’interaction près de trois fois plus grande que celle reconnue aux personnes tutrices, alors que le degré d’autonomie de ces étudiants est plus grand. Enfin, alors que le portail offert aux tuteurs pour leurs transactions administratives s’avère un instrument efficace, l’absence du portail censé regrouper l’ensemble des informations et des fichiers relatifs à chaque cours se fait cruellement sentir quand les hyperliens doivent être remis à jour et que les versions des cédéroms se succèdent. Et que dire de tous ces problèmes répétitifs que certaines personnes tutrices finissent par ne plus signaler, faute d’un suivi efficace à leurs interventions ? Il est vrai cependant que le nombre de plaintes dûment signalées diminue en comparaison des années passées. Sans oublier les cas de plagiat et les comportements erratiques de certains étudiants qui envoient leurs travaux aussitôt terminés, sans toujours identifier le cours auquel ils se rapportent.

Toutes ces préoccupations, amplifiées par le fait qu’avec les années les personnes tutrices ont eu la charge d’un plus grand nombre de cours, le nombre moyen d'étudiants par cours de la Télé-université étant à la baisse, se cristallisent dans la négociation actuelle et dans la reconnaissance du rôle des personnes tutrices. Quelle reconnaissance ? Les personnes tutrices se comparent aux chargés de cours dont les qualifications sont similaires et qui ont eux aussi la charge d’évaluer les travaux des étudiants. Certes les personnes tutrices ne conçoivent pas, comme eux, le contenu des cours. En revanche, leur intervention auprès des étudiants est plus intense, car ces derniers ne bénéficient pas, à l’instar des étudiants en présence, de l’assistance de leurs pairs; certes ils ont accès au forum « Stratégies d’étude », mais la participation y est faible et l’assistance mutuelle y apparaît bien anémique. Dans ce débat, la formation à distance affiche sa particularité, décidément bien distincte des pratiques d'enseignement en présence. Et avec leur ouverture sur le réseau des tuteurs francophones ainsi que leurs contacts avec les chargés de cours de l’UQAM, les personnes tutrices s’avèrent des interlocuteurs essentiels.

Pendant ce temps, certains des étudiants de la Télé-université manifestent publiquement leur déception tandis que d’autres migrent vers les cours à distance de l’UQAT ou de l’Université Laval. Il semble cependant que le phénomène soit limité. Souhaitons que la durée de ce conflit le soit également et que le dialogue se poursuive sur la base d’une estime réciproque. En l’occurrence, la Télé-université ne peut se payer un cafouillage, d’autant que l’UQAM, son institution d’attache, est elle-même aux prises avec de très sérieuses difficultés. Puisse donc la raison prévaloir et la Télé-université retrouver le chemin de son efficacité collective.


Patrick Guillemet, Ph.D
Spécialiste en sciences de l’éducation, Télé-université.
Auteur de l’ouvrage « Former à distance – La Télé-université et l’accès à l'enseignement supérieur (1972-2006) »

1 Guillemet P., Pelletier S. (2005) « Le tutorat à la Télé-université – Les voies de l'industrialisation », Distances & Savoirs, Vol. 3, nº 2, p. 207-230.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Les personnes tutrices se comparent aux chargés de cours dont les qualifications sont similaires (...)


Absolument pas. La grande majorité des chargés de cours de l'UQAM ont une maîtrise et, le plus souvent, un doctorat. Et le doctorat ne suffit souvent pas, il faut encore montrer un maîtrise en profondeur la matière du cours.


Certes les personnes tutrices ne conçoivent pas, comme eux, le contenu des cours.

Ni les travaux, ni les examens...


En revanche, leur intervention auprès des étudiants est plus intense, car ces derniers ne bénéficient pas, à l’instar des étudiants en présence, de l’assistance de leurs pairs; certes ils ont accès au forum « Stratégies d’étude », mais la participation y est faible et l’assistance mutuelle y apparaît bien anémique.

C'est n'importe quoi. Un chargé de cours en salle a une intéraction beaucoup plus personnelle et intense avec les étudiants comme le montre bien les taux d'abandon mirobolants de la TÉLUQ.

Le blog de t@d a dit…

"C'est n'importe quoi. Un chargé de cours en salle a une intéraction beaucoup plus personnelle et intense avec les étudiants comme le montre bien les taux d'abandon mirobolants de la TÉLUQ."

Je conseille à tous ceux qui pensent comme Daniel Lemire que "c'est n'importe quoi" d'essayer la formation à distance et la pratique du tutorat.

Ils pourront ainsi s'apercevoir que la distance est créatrice de proximité, que l'action tutorale est principalement fondée sur le développement d'une relation personnalisée.

Patrick G. a dit…

Daniel Lemire écrit

>La grande majorité des chargés de >cours de l'UQAM ont une maîtrise >et, le plus souvent, un doctorat

Or, 28 % des chargés de cours de l'UQAM ont un baccalauréat, 52 % une maîtrise et 20 % un doctorat (avril 2005). En comparaison, 34 % des personnes tutrices de la Télé-université ont un baccalauréat, 55 % une maîtrise et 11 % un doctorat (décembre 2005).

>Un chargé de cours en salle a une >interaction beaucoup plus >personnelle et intense avec les >étudiants comme le montre bien >les taux d'abandon mirobolants de >la TÉLUQ

Daniel m'indiquait hier dans un message qu'il n'avait pratiquement pas d'interaction dans son cours dont il est le tuteur. Sans doute est-ce parce que ce cours est très bien construit et que les étudiants n'éprouvent pas le besoin de l'appeler. Mais il ne peut généraliser sur la base de son expérience. D'autres témoignages soulignent que l'intervention du tuteur à distance peut être très soutenue, notamment pour donner confiance à l'étudiant et soutenir sa motivation.

Quant au taux d'abandon élevé, je crois qu'il implique de mettre tout autant en cause le contenu des cours, leur approche pédagogique et leur pertinence en termes de transfert professionnel que la relation de tutorat. J'en sais quelque chose, moi qui ne suis pas tuteur, mais dont le métier consiste à conseiller les professeurs (quand ils le veulent bien) et à réparer des cours qui posent problème, la plupart du temps en palliant les faiblesses du contenu ou de l'approche pédagogique par des activités d'apprentissage appropriées.